lundi 23 septembre 2019

La mort de Renart - L'évangile de Ferrant




Brichemer termine l'épître,
B


richemer l'espistre fina
et Ferrant le cheval de trait,
qui n’a pas son égal pour les plaisanteries,
commence la lecture de l'évangile :
« Voici donc
un petit évangile
selon Renart le goupil !
Écoutez donc, seigneur Bernard,
grand archiprêtre,
écoutez donc, grands et petits,
rois et barons.
Renart est mort,
comme vous pouvez le constater ici même.
Dame Hersent, l’épouse d’Ysengrin le loup,
est bien malheureuse,
car Renart la prenait souvent
par-derrière dans l’intimité,
en lui donnant de grands coups
dans la fente.
Ah, maudit soit cette fente
où se perdent tous les coups qu’on y porte !
Il a tout autant battu
le trou de dame Fière,
qui regrette encore d’en avoir eu si peu.
À l’entendre, son trou ne s’est jamais lassé
de prendre des coups de bite.
Mais on aurait dû trancher son cul
pour avoir cocufié le roi,
et brûler la croupe d’Hersent
dont les fesses sont si larges.
Renart, à n’en pas douter,
a fait pénitence de tout cela.
Son âme ira au paradis, mais à reculons,
avec les mulets,
là où tous les ânes vont
en quittant ce monde.
Renart, je lui en fais la promesse,
sera assis à côté de l'ânesse
à sa grande joie et son grand plaisir.
Les poules feront son lit
où il devra se reposer,
mais je tiens à préciser
qu’il ne tendra plus jamais le bout du doigt
pour prendre un oison ou une poule.
Ce sera sa pénitence
après avoir péché toute sa vie durant,
en tuant tant d’oisons.
Il se fera bien avoir finalement, au paradis ! »
Seigneur Bernard l'archiprêtre
chante ensuite la messe pour Renart,
et
pour conclure, le roi
s’adresse à tous haut et fort.
Il appelle Brun l'ours à lui
et lui dit : « Mon ami, allez
sous ce pin, et faites creuser
une fosse, mon très cher ami,
où le corps de Renart sera déposé
et enseveli avec tous les honneurs.
Je vous prie instamment
d’exécuter rapidement
mon souhait et mon ordre. »
L’autre répond : « À vos ordres,
et n’en déplaise à certains,
je ne me déroberai pas.
— Chantecler, prenez l’encensoir
et agitez-le autour du corps.
Brichemer, vous porterez
la bière de ce baron de noble lignée
avec seigneur Belin,
et Ysengrin se fera une joie
de porter la croix.
Chacun aura sa tâche :
le chien battra
le tambour,
et seigneur Ferrant le cheval
jouera un petit air à la harpe
pour mon bon plaisir,
d’ailleurs qu’il commence tout de suite.
Couard le lièvre, Tibert
le chat et Hubert le milan
allumeront les cierges qu’ils porteront.
Les souris sonneront les cloches
au moment de partir l’enterrer.
Enfin, j’invite le singe
à faire quelques grimaces.
Bernard mettra alors le corps en terre,
il n’y a pas meilleur que lui pour le faire. »


25076



25080



25084



25088



25092



25096



25100



25104



25108



25112



25116



25120



25124



25128



25132



25136



25140



25144



25148



25152



25156



25160
Et Ferrant le roncin qui n'a
Compains qui tant sache de guile
Conmença en haut l'evangile,
Et a dit : « Hari gracia
Evangile sequencia
Secundom le gorpil Renart,
Entendez i, sire Bernart,
Arceprestre estes et seignor,
Entendez i, grant et menor,
Le roi et trestouz ses barons.
Renart, que de voir le savons,
Est mort, vez le ci em present.
Dolente en est dame Hersent
L'espousee Ysengrin le leu,
Qar mainte foiz en privé leu
L'a Renart tenue adossee.
Maint grant cop et mainte dossee
Li a donné sor la crevace.
Maudite soit tele fendace
Ou cop ne pert que l'en i fiere,
Si a il a ma dame Fiere
Aussi sovent batu son trou,
Il ne li poise fors du pou.
Onques son trou, s'entendu l'as,
Par coup de coille ne fu las.
Le cul deüst avoir coupé,
Quant ele a le roi acoupé,
Et Hersent a la fesse lee
Deüst la croupe avoir ullee.
Renart, n'en soit mie en doutance,
En a faite sa penitance.
L'ame en ira a reculons
En paradis o les mulons,
Illuec ou les asnes iront
Quant de cest siecle partiront.
Renart, je l'en faz bien pramesse,
Sera assis delez l'anesse
A grant joie et a grant delit.
Les gelines feront son lit
La ou il devra reposser.
Mes itant i voil ge gloser,
Ja n'i osera le doit tendre
A oison n'a geline prandre.
Autre penitance ravra,
Por ce que en sa vie avra
Maint oison mort par son pechié,
Por ce ert en paradis trichié. »
L'arceprestre sire Bernart
Chanta la messe por Renart.
Quant ele fu toute chantee,
Li rois par bone destinee
En haut oiant trestoz parla,
Et Brun l'ors a soi apela
Et li dist : « Amis, vos irez
Desouz cel pin, la me ferez
Une fosse, biau douz amis,
Ou li cors Renart sera mis
A grant heneur enclos en terre,
Si vos voil prïer et requerre
Que vos faciez isnelement
Mon bon et mon conmandement. »
Et cil respont : « Vostre voloir,
Qui onques s'en doie doloir,
Ferai, que ne le voil lessier.
— Chantecler, prenez l'encensier
Dont vos le cors encencerez.
Brichemer et vos porterez
La biere au baron de franc lin
Entre vos et sire Belin.
Ysengrin se deportera
De la croiz que il portera.
Chascun fera de son labor :
Le chien reprendra .I. tabor
De quoi il ira tabourant,
Et le roncin sire Ferrant
Harpera, tiex est mon plaisir,
.I. son galois tot a loisir ;
Ne voil pas qu'il s'en voist tardant.
Li cierge porteront ardant
Couart li lievres et Tyberz
Li chaz et l'escoufle Huberz.
Quant le cors enterrer iront,
Les soriz les sains soneront
Si conme mes conseus le loe,
Et li singes fera la moe.
Bernart metra le cors en terre,
Meillor de lui n'i estuet querre. »
Comment Renart fut empereur Ce est la branche Renart coment il fu Empereres (30)
Notes de traduction (afficher)

mercredi 11 septembre 2019

La mort de Renart - Le sermon de Bernard




Renart, qui vient de trépasser,
R


enart qui la vie a finee,
a mené l’essentiel du temps
une vie de martyr et d'apôtre.
Espérons que nous mènerons tous
une vie de repentir aussi bonne que lui,
car je n’ai aucun doute
que l’issue soit la bonne pour lui.
Il n’a jamais été tenté
par la méchanceté ou la folie,
et a toujours vécu sans perfidie,
ni malice, ni orgueil.
Jamais personne n’a vu
de prince de sa trempe.
Et s’il a volontiers baisé,
il ne faut pas en faire une histoire.
Il n'y a pas en ce monde de roi ou de comte
qui n'a jamais baisé ou qui ne baise plus,
ça ne fait aucun doute.
Il convient, à mon humble avis, de baiser,
car je vous le dis à tous,
baiser n’a jamais été défendu,
c’est pour cela que le con est fendu.
Je recommande à chacun, ici même,
lorsque sa verge est dure et raide,
de trouver un con disponible
et de le baiser, car il sera pardonné
et rien ne lui sera reproché.
Quand la verge est bien séparée des couilles,
baiser n'est pas un péché,
pas plus que de faire des andouilles,
boyaux après boyaux.
Tout le monde joue avec ce jouet,
et Renart a baisé de bon gré.
Son cœur a été tout entier
pour dame Fière,
et je n’ai pas peur qu’il me frappe
de le dire ici puisqu’il est mort.
Mon cher roi, au nom de Dieu,
faites crier dans tout votre empire
que ceux qui baisent ne sont pas les pires.
Je pardonnerai leurs péchés,
et si je pouvais les récompenser
avec de l’argent, je le ferais volontiers
tout en les pardonnant.
Ce n’est pas une promesse en vain,
car ici même et devant Dieu,
je leur pardonne de baiser.
Ils auront pour pénitence,
de manger de la viande
à volonté pendant une semaine.
Ceux qui ignorent mon commandement,
hommes, femmes ou bêtes,
et qui ne baisent pas de plein gré,
seront couverts de chaînes en fer
de la tête aux pieds
dans les tourments de l'enfer !
Alors que ceux qui m’écoutent
iront au paradis avec Dieu. »
Une fois le sermon
terminé,
le bon archiprêtre Bernard
continue la cérémonie,
par un confiteor
puis prononce l’oraison funèbre de Renart :
« Ah, Renart, mon ami, fait-il,
vous avez visité tant d’endroits,
bois, forêts, plaines,
pour remplir votre ventre
et apporter à Hermeline,
votre femme, un coq, une poule,
un chapon, une oie ou un oison gras.
Ils tombaient toujours à point
quand vous pouviez en attraper.
Mais vos actes de bravoure
et vos bonnes actions
n’auront plus lieu.
Jamais plus de tel prince ne verra le jour !
Seigneur Renart, Hermeline
va se sentir bien seule.
Elle n’aura plus de bon traitement,
comme vous saviez bien lui donner.
Elle devra maintenant se contenter
de se frotter le bas-ventre avec les mains :
elle allait au mieux, maintenant elle ira mal.
Une queue de cerise n’y changerait rien
puisqu'elle a perdu votre soutien. »
Après que Bernard, à sa façon,
a bien terminé son oraison
et captivé son auditoire,
Brichemer commence l'épître haut et fort
pour que tous et toutes l’entendent bien :
« Renart, fait-il, vous avez effrayé
sans aucun doute
bien des poules et des oies
dans leurs granges ou leurs abbayes,
puis joué de la mâchoire sur elles
tout autant.
Vous avez aussi reçu de nombreux coups
sur le dos et la croupe.
Vous avez trompé les moines blancs,
qui ont dû se coucher tard et se lever tôt,
pour vous guetter en cachette,
ce qui leur a été très pénible.
Tu leur as volé en traître
nombre de poules et de poussins,
mais nous te pardonnons
pour tout ce que tu leur as pris.
Renart, reçois l’absolution !
Je prends tes péchés sur moi,
et ainsi, je t’absous mon ami. »
24964



24968



24972



24976



24980



24984



24988



24992



24996



25000



25004



25008



25012



25016



25020



25024



25028



25032



25036



25040



25044



25048



25052



25056



25060



25064



25068



25072
Si a a son tens demenee
Vie de martir et d'apostre.
Einssi feïssent tuit li nostre,
Et aussi bonne repentance,
Qar de lui ne sui en doutance
Qu'il ne soit a bone fin pris.
Onques nul jor ne fu espris
De mauvestié ne de folie.
Il a esté sanz vilanie
Et sanz malice et sanz orgoil.
Onques nul jor ne virent oil
Prince qui fust de sa vertu.
Se il a volentiers foutu,
L'en n'en doit tenir plet ne conte.
Il n'a el monde roi ne conte
Qui n'ait foutu ou qui ne foute,
De ce ne sui je pas en doute.
Foutre covient, si con moi semble,
Por ce vos di a touz ensemble
Que foutre n'ert ja desfendu.
Por foutre sont li con fendu.
Je conmant a touz orendroit ;
Qui avra le vit dur et roit,
S'il a le con abandonné,
Le foutre li soit pardonné,
Ja ne li sera reprouchié,
Qar de foutre n'est pas pechié,
Puis que vit soit partiz de coille,
Ne que il est de fere andoille
Qui vet de bouel en bouel.
Tuit se gieuent de cest jouel.
Renart a foutu volentiers.
A Renart a esté entiers
Ses cuers et a ma dame Fiere,
Mort est, n'ai peor qu'il me fiere
Por chose que je racont ci.
Biau sire rois, por Dieu merci,
Faites crïer par vostre empire
Que qui foutra ja n'en soit pire.
Le pechié lor voil pardonner,
Et se lor pouoie donner
Rentes, volentiers lor donroie,
Et le pechié lor pardonroie.
Ne lor pramet pas en pardon
Ci et devant Dieu lor pardon
Quant que a foutre mesprandront.
Tele penitance enprandront
Que il mengeront a estraingne
Char toute longue la semaingne,
Et qui de mon conmant istra
Et qui volentiers ne foutra,
Soit home, soit fame, soit beste,
Et piez et mains et cors et teste
Li soit de cheennes de fer
Lïez el grant torment d'enfer.
Et cil qui mon conmant feront
En paradis o Dieu seront. »
 Quant l'arceprestre ot finé
Son sermon et determiné,
De son servise s'avança.
Son confiteor conmença
Le bon arceprestre Bernart,
Puis dist l'oroison por Renart :
« Haï, dist il, Renart, amis,
En maint pertuis vos estes mis
En bois, en forest et en plain
Por avoir vostre ventre plain,
Et por porter a Hermeline
Vostre fame coc ou geline,
Chapon ou oue ou cras maton ;
Tot jors estoient en saison,
Qant vos les pouiez tenir.
Or estuet a noient venir
Les granz hardemenz c'avez fait
Et les biens dont estes retrait.
Ja mes tel prince ne morra.
Sire Renart, or demorra
Hermeline mout esgaree,
Ja mes n'avra de bien denree.
Bien le saviez procurer,
Or li covient metre tremper
Son ventre oveques ses mains :
Du plus estoit, or est du mains.
N'avra mes vaillant une alie,
Puis qu'ele a perdu vostre aïe. »
Quant Bernart ot en sa reson
Bien definee s'oroison
Et aproprié son chapistre,
Brichemer conmença l'espistre,
Que bien l'oïrent toz et toutes :
« Renart, fait il, sanz nule doutes
Por vos ont esté esbaïes
En granches et en abaïes
Mainte geline et mainte oe.
Mainte foiz vos en est la joe
Remuee et touz les os
Maint coup en avez sor le dos
Et sus le crepon receü.
Maint blanc moine avez deceü
Et fait, dont mout lor doit grever,
Tart couchier et matin lever
Por agaitier en larrecin.
Mainte geline et maint poucin
Leur as emblé conme felon,
Mes de tout ice t'asolon.
De quant que tu lor as tolu,
Renart, soies tu asolu.
Li pechiez en soit sor moi mis,
Einssi asou ge mes amis. »
Comment Renart fut empereur Ce est la branche Renart coment il fu Empereres (30)
Notes de traduction (afficher)