chacun s’exécute sans discuter. Ils transportent le corps en grande pompe après lui avoir découvert le visage. Brun l'ours creuse la fosse avec ses grosses pattes, comme il sait bien le faire. Ils déposent le corps à côté, puis ils retirent le linceul vert qui le recouvre. Brichemer le prend par la tête comme Bernard lui a appris, car il en a déjà enterré beaucoup. Il demande à Belin, qui se trouve devant lui, de prendre Renart par les pieds. Ensuite, ils le déposent dans la fosse et l’étendent délicatement. L'archiprêtre jette prestement de l'eau bénite sur le corps pour que rien de maléfique n’en prenne possession. Quand arrive le moment pour Brun de le recouvrir de terre, Renart se met à ouvrir les yeux. Il ne comprend pas ce qui lui arrive, et prend peur de se faire enterrer vivant. Ce n’est vraiment pas le moment de fermer les yeux ! Il se dit qu’il a dû rester longtemps évanoui, sans savoir ce qu’on a fait de lui, et croit qu’on l’a ensorcelé. À la vue du roi et ses barons, alors qu’il se sent bel et bien guéri, il prend son courage à deux mains, et saute hors de la fosse à pieds joints. Il saisit Chantecler au passage, à pleines dents, alors qu’il est en train de l’encenser, puis part à toute vitesse et s’enfonce dans un enclos. Le roi pique une rage quand il se rend compte que Renart l’a trompé, et il dit : « Tous après lui, mes nobles et braves sujets ! car s’il s’éloigne d’une demi-lieue, je vais perdre mon baron. Celui qui parviendra à attraper ce larron aura ma reconnaissance éternelle. » Ils s’élancent aussitôt tous ensemble au grand galop après Renart, qui emporte Chantecler en toute hâte. Jamais il n’avait dû tant courir pour s’enfuir, avant de s’enfoncer dans un enclos. « Ah ! pauvre misérable, pourquoi fuis-tu ? fait Chantecler, quelle honte ! Dis-leur que tu emportes un gage pour tout le tort qu'on t'a fait à la cour. Ils ne te serrent pas de si près pour que tu ne puisses pas leur dire ouvertement que tu m’emporteras malgré eux et que tu feras ce que tu veux malgré leur grand nombre. Ils me font grand tort à vouloir me délivrer ainsi. Aucun d’eux ne pourrait t’apprendre à courir, même s’il est vif avec ses pattes. Dis-leur donc, ne leur cache surtout pas, de ne pas courir pour rien. » Renart se méfie du discours de Chantecler qui l’a berné par le passé grâce à une ruse. Il hésite beaucoup à lui répondre, et préfère ne pas ouvrir la bouche cette fois. Les autres le suivent de très près, et ne le laisseront pas partir tant qu’il ne leur rendra pas Chantecler, ils le feront galoper bien au contraire. « Tous ces cris doivent certainement te contrarier, ajoute Chantecler. Dis-leur donc de s’en retourner sur-le-champ, et que tu iras à la cour faire réparation pour tout ce qu’on te demandera, et que tu feras de plein gré tout ce que le roi t’ordonnera comme tout fidèle sujet. Tu les feras ainsi abandonner, puis tu rentreras chez toi où tu pourras te distraire en m’emportant avec toi. Tu auras un bon repas ce soir, et si ta femme est en couche, tu auras de quoi la nourrir. » | 25164 25168 25172 25176 25180 25184 25188 25192 25196 25200 25204 25208 25212 25216 25220 25224 25228 25232 25236 25240 25244 25248 25252 25256 | Le font, nul respit ne demande. Le cors aportent a grant feste Qui descouverte avoit la teste. Brun l'ours qui la poe avoit grosse, Ot apareilliee la fosse, Qui mout bien i ot entendu. Le cors ont iluec descendu Qui couvert iert d'un paile vert ; Et quant il l'orent descouvert, Brichemer par le chief le prist Ainsi con Bernarz li aprist Que maint mis en terre en avoit. A Belin que devant lui voit A fet Renart par lez piez prandre. En la fosse sanz plus attendre L'ont mis et couchié doucement, Et l'arceprestre isnelement Geta sus l'eve beneoite Por ce que chose maleoite Ne se peüst au cors bouter. Quant vint a la terre giter De coi Brun l'ours le voult couvrir, Renart prist les iex a ouvrir. Merveilla soi que ce estoit, Paour ot et si se doutoit Qu'en la terre ne fust enclos. Il ne tint mie les iex clos, Que tens n'en estoit ne seson. Mout ot jeü en pamoison, Ne sot ou il avoit esté, Mout cuida bien estre enchanté. Quant vit le roi et le bernage, Cuer prist en soi et vaselage, Au garir mist et cuer et cors, De la fosse joins piez saut hors. Chantecler qui tint l'encensier Prist as denz, ne le volt lessier, A tout s'en vet tout eslessié Et se feri en .I. plessié. Quant li rois a aparceü Que Renart l'avoit deceü, Corouciez en fu et plain d'ire, Tot maintenant a pris a dire : « Or aprés, franche gent loee, Se loing ert demie louee, J'aroie perdu mon baron. Qui porra prendre le larron, A touz jourz mes avra m'amour. » Adont s'eslescent sanz demour Tretuit a grant esperonnee Aprés Renart de randonnee Qui Chantecler en va portant. Ja ot erré et fouï tant Qu'el plessié se fu embatu. « Vi chetis, laz ! pour coi fuis tu ? Fet Chantecler, c'est grant outrage. Di leur que tu emportes gage Du tort que l'en t'a fet a court. Il ne te tiennent pas si court Que tu ne lor puisses moustrer Et tout apertemant conter Que mau gré eulz m'enporteras Et de moi ton vouloir feras Mau gré toute la compaignie. Me font ore grant vilanie Quant ainssi me veullent rescorre. Nus d'eulz ne t'aprendroit a corre, Tant seüst bien du pié aler. Di lor, ne lor dois pas celer, Que por noiant vont acoranz. » Renart qui fu apercevanz De Chantecler ot la parole Que par enging et par parole L'avoit autre foiz engignié, A mout icel dit resoingnié. Ne volt mot dire cele foiz, Que cil le sievent mout destroiz Qui ne le lairont pas itant, Se il Chantecler ne lor rent, Ainz li feront les piez lever. « Certes, mout te deüst grever, Fait Chantecler, ceste huee. Di lor sanz nule demoree Qu'il s'en retornent orendroit. En iras a cort fere droit De ce qu'en te demandera. Que que li rois conmandera Feras de gré et volantiers Conme cil qui est siens entiers. Ainssi les feras remanoir, Puis t'en iras a ton manoir Ou tu te porras deporter, Et moi avecques toi porter ; A anuit a bonne cuisine, Se ta fame fust en gesine, Si eüsses tu pour vitaille. » |
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