des ramilles pour chauffer son four. Il est accompagné d’un mâtin aussi grand qu’il est maigre et famélique, doté d’un collier à pointes, attaché à une chaîne. Le paysan, qui tient le chien, le détache aussitôt quand il voit le goupil arriver, et le lance à sa poursuite en criant. Renart s’en aperçoit et il est bien ennuyé. Ça le rend fou de rage, car il ne sait ni quoi faire ni quoi dire. Il n'ose ni continuer en direction du chien, ni retourner en arrière vers le cortège royal, qui le poursuit à grands pas. Tardif arrive en tête, la bannière dressée. Renart tourne d’un coup de bride pour passer à travers l’enclos, sans laisser tomber Chantecler, alors complètement effrayé. Le mâtin ne perd pas de temps et le poursuit à toute vitesse. Renart se dit alors : « Si je laisse Chantecler partir, que ferai-je ensuite ? je n’aurai rien pour souper ce soir. Et si celui qui est à ma poursuite parvient à me prendre, il me montrera aussitôt comment il se sert de ses dents pour trancher. Je dois accorder moins d’importance à ce coq qu’à moi-même. Tardif arrive de l’autre côté avec tous ceux qu’il emmène sous sa bannière. Et s’ils me ramènent chez eux, je passerai un sale quart d’heure, car le roi est furieux contre moi à cause de Chantecler qu'il apprécie tant. Je regrette d’avoir fait cette belle prise, qui va pourtant me porter malheur. » Il dit alors à Chantecler : « Par ma tête, je suis contraint de vous abandonner. Ce mâtin n’a pas l’air content, et il me suit trop facilement, vas-t'en rapidement. Quand tu seras à la cour, mon ami, puisque je ne t'ai ni blessé ni maltraité, fais preuve d’indulgence à mon égard, et n’aggrave pas mon cas auprès du roi. — N’ayez crainte, répond-il, mon cher maître. » Il saute aussitôt dans un arbre sur la droite, et laisse éclater sa joie, tandis que Renart s’enfuit à toute vitesse. Mais le chien lui bondit dessus et retrousse la peau de son dos jusqu'à croupe. Le goupil est en grand danger de perdre la vie, mais Tardif tombe à pic car il veut à tout prix le prendre vivant. Il le sauve des pattes du mâtin, au prix de nombreux coups pour le récupérer. Renart se retrouve aussitôt entouré de la belle et noble compagnie que le riche empereur a envoyée à ses trousses. Ils le saisissent et l’attachent sur-le-champ, puis l’emmènent devant le roi. Noble, fou de rage, jure qu'il le fera exécuter, brûler, écorcher, écarteler, ou livrer à de cruelles tortures. Chantecler ne manque pas de se plaindre des misères qu’il lui a causées. Le roi lui répond qu’il aura réparation à la hauteur de ce qu’il demandera, pour le terrible outrage qu’il lui a fait. « Pas question qu’il aille en prison ! je le ferai au contraire écorcher vif. Je ne pourrai tirer meilleure vengeance. — Sire, fait Renart, écoutez-moi, écoutez ma version des faits. Certes, je me plierai au jugement, tout en comptant sur votre miséricorde. Jamais aucun mortel n’a été condamné sans un traitement loyal. S’il y a quelqu’un dans cette cour qui souhaite prouver que j’ai commis une perfidie, une trahison ou un mensonge, alors je suis prêt à me défendre. Ceux qui m’ont mis en terre ne me veulent que du mal, et font peu de cas de ma personne. Pour quel crime, j’aimerais l’entendre, me fait-on enterrer vivant ? Donnez-moi donc vos raisons, m’a-t-on pris en train de voler ? La cour mérite bien des reproches, Bruyant le taureau, Brichemer et les autres, que j’aime et apprécie par ailleurs, méritent d’être réprimandés pour ce forfait. C’est vous Chantecler, je n’en doute pas, qui avez préparé cette trahison en me pourchassant, voilà mon avis. Vous avez manigancé bien des crimes, c’est lui que l'on doit blâmer. Je veux prouver par un duel qu’il m’a causé aujourd’hui un terrible préjudice en m’enterrant vivant. Il n’aurait jamais dû entreprendre de me causer de tels ennuis. Et si je n’arrive pas à le vaincre aujourd’hui, alors faites-moi crever les yeux, à qui n’en déplaise. — Renart, Renart, dit Chantecler, par la foi que je dois à Bernard l'archiprêtre que je vois là, les choses ne se sont pas du tout passées comme vous le dites. Vous ne vous en tirerez pas à si bon compte aujourd’hui comme vous pensez le faire. Ah ! sainte Pinte, aidez-moi ! Aussi vrai que je m’en rappelle, Renart vous a tuée en traître, tout comme je n'ai rien à me reprocher de ce qu’il m’accuse. — Vous mentez, répond Renart, traître, c’est à cause de vos mensonges que j’ai été enterré vivant, je vous le garantis. Je vous le ferai avouer avant la fin de la journée, vous serez brisé ou blessé à mort. Vous n’y couperez pas, c’est comme ça. — Sire, accordez-moi ce duel, demande Chantecler à l'empereur, et faites pendre ou démembrer celui qui sera vaincu. Mais n’oubliez pas tous les ennuis qu’il vous a causés. Par Dieu, le vaincu sera pendu ou exécuté, il n’en sera pas autrement, au nom du droit et de la raison, c'est mon avis. » | 25260 25264 25268 25272 25276 25280 25284 25288 25292 25296 25300 25304 25308 25312 25316 25320 25324 25328 25332 25336 25340 25344 25348 25352 25356 25360 25364 25368 25372 25376 25380 25384 25388 25392 25396 25400 25404 | Ramille pour son four chaufer. A une chaaine de fer Ot a sa coroie lïé, Dont li cloet sont delïé, .I. gaignon grant et merveilleus ; Meigres estoir et fameilleus, Le vilein qui le chien tenoit Choissi le gorpil qui venoit ; Le chien deslace, si li huie, Renart le voit, mout li anuie, Tant fu courouciez et plain d'ire, Ne sot que faire ne que dire. Il n'ose vers le chien tourner Ne vers les reaus retourner, Que grant pas le vienent suiant, Tardiz u premier chief devant, Qui tint la baniere levee. Adonc a sa regne tournee Renart au travers d'un plessié, Ne n'a pas Chantecler lessié, Ainz l'emporte mout esmaiez. Li mastins ne s'est delaiez, Ainçoiz le suit de grant eslés. Lors pense Renart : « Se je lés Chantecler aler, que ferai ? Car anuit mes ne trouverai Chose dont me puisse souper ; Et se cil me puet acouper Qui si me chace pour moi prendre, Il me fera encui aprendre Conme ses denz sevent tranchier. Je ne doi pas avoir tant chier Ce coc conme mon cors demeine. D'autre part vint Tardis qui meine .I. mout grant peuple a sa baniere. Et se il me meinent arriere, Je serai mout mal atirié, Que li rois iert vers moi irié Por Chantecler qu'il aime et prise. Mout me poise de ceste prise, Seur moi en venra le meschief. » Lors dit Chantecler : « Par mon chief, A force convient que vous lesse. Cist matin a esté en lesse, Que trop me suit delivrement. Va t'en tost et isnelement. Je ne t'ai blecié ne malmis, Et se tu viens a cort, amis, Ne me soies par ton desroi En nuisance devers le roi. — Non ferai je, fet il, biau mestre. » Lors saut desus .I. arbre a destre, Si a grant joie demenee, Et Renart de grant randonnee S'en va fuiant et a grant corse. Mes li chiens saut qui li rebourse La pel du dos jusqu'au crepon. Ja fust en male souspeçon Li gorpilz de perdre la vie, Quant Tardiz qui a grant envie De lui prandre i est seurvenu. De ce li est bien avenu Que il l'a au mastin rescous, Mes ainz i ot feru mainz cous Que il en eüst la baillie. Tantost est entor lui saillie La compaignie bele et noble Que li riche empereres Noble I envoia pour Renart prandre. Pris et lïé l'ont sanz atandre, Si l'ont devant le roi mené, Qui aussi conme forsené Jure qu'il le fera deffaire, Ardoir, escorchier ou detraire, Ou livrer a cruel tormant. Et Chantecler isnelement Se plaint de la desconvenue Qui li est par li avenue. Li rois dit que droit en avra Tel con il demander savra, Que trop li fist grant mesprison. « Ja ne sera mis en prison, Ainçoiz le ferai escorchier. Ne m'en porrai plus bel vengier. — Sire, fet Renart, entendez, Jugement de moi entendez. Au jugement me contendrai Et vostre merci atandrai. Onques ne fu nul honme né Sanz leal jugement mené. S'en puet en vostre court trouver Nus qui veille vers moi prouver Que j'aie fet desleauté Ne traïson ne fauseté, Aprestez sui de moi desfandre. Trop voldrent envers moi mesprandre Cil qui en terre me metoient, Mon sens espoir petit doutoient. Por quel forfet, ce veil oïr, Me faisoit l'en vis enfoïr ? Or me dites vostre semblant, Estoie je pris en emblant ? La court en fet mout a blasmer, Bruiant li tors et Brichemer Et les autres que j'aim et prise Seront blasmé de ceste emprise. Chantecler, n'en sui pas en doute, Avez trete traïson toute, Ce m'est vis, quise et pourchaciee. Mainte mauvestié as braciee, Ceste li doit l'en reprouver. Encontre son cors veil prouver Que par lui m'est hui avenue Iceste grant desconvenue De moi tout vif en terre metre. Ja ne s'en deüst entremetre De moi faire honte et anui. Se recreant ne l'en rant hui, A qui que il doie grever, Fetes moi les .II. iex crever. — Renart, dit Chantecler, Renart, Par la foi que je doi Bernart L'arceprestre que je voi la, Onques en tel guise n'ala Li afaires con vous le dites. Ne vous en iroiz pas si quites De cest jour d'ui con vous cuidiez. Ahi ! sainte Pinte, or m'aidiez, Si voirement con je recort Que Renart vous ocist a tort Et si conme je n'i ai coupe Du blasme de coi il m'encoupe. — Vos mentez, fet Renart, traïtres, Por vostre mençonge feïstes Qu'enterré fui, ce vous creant, Si vous en rendré recreant, Ainçoiz que li jours soit passez, Ou a mort plaiez et quassez. Ne poez faillir, ainssi n'aille. — Sire, otroiez moi la bataille, Fet Chantecler a l'emperere, Et celi qui recreant ere Faites ou pendre ou desmembrer. Il vous devroit bien remembrer Des anuiz que il vous a fez. Par Dieu, penduz iert ou desfez Iceli qui vaincu sera, Ja autrement n'en passera, Et c'est droiz et reson, me semble. » |
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