car il n’est plus question de se défiler. Tardif, le milan, Ferrant, le grillon et la fourmi tous de bons amis, preux, hardis et raisonnables, font l’arbitrage au nom du roi, avec efficacité et sagesse. Une fois le serment fait, ils les laissent ensemble s’élancer l’un contre l’autre. Renart attaque en premier, et donne un gros coup de patte, mais Chantecler riposte d’un coup de bec, et lui fait une entaille si profonde que son sang jaillit, lui brouille la vue et coule jusqu’au talon. Pendant un instant, il avance sans voir où il va. « On dirait bien que vous avez la chair à vif, fait Chantecler qui le serre de près, avec tout ce sang rouge qui coule. Quelle folie de s’en prendre à moi ! Je vais vous montrer aujourd'hui comment je sais me défendre. Si tu te sens prêt pour aller dans l’au-delà, alors je te conseille de te déclarer vaincu. Et je te ferai pendre car tu n’as que trop vécu. » Renart entend la menace, et essuie le sang qui lui coule sur le visage, et lui recouvre les yeux. Quand il peut à nouveau les ouvrir, il dit à Chantecler : « Traître ! Dieu m’en soit témoin, malheur à vous de me demander de me rendre. Si je dois m’en sortir sain et sauf aujourd’hui, je vais vous donner une telle leçon que vous perdrez l’envie de vous battre. » Il se précipite alors sur lui et le frappe de colère d’un coup de patte à sa hanche qu'il entaille jusqu’à la chair. Il lui a fait une bien vilaine plaie ! Un plein boisseau de sang jaillit à travers les plumes de son haubert, et ruisselle dans le champ, suffisamment pour faire tourner un moulin. Mais Chantecler a la ferme intention de lui rendre cette bonté. Il lui grimpe alors sur le dos, l’éperonne violemment, le pince et lui mord la tête avec le bec jusqu’à l’os, puis lui arrache l’oreille droite et lui crève l'œil gauche, et lui dit : « Vous voilà bien mal en point, seigneur Renart, à mon avis, vous ne sortirez pas vivant de ce champ, sinon en bien mauvais état. Voilà dame Pinte bien vengée, ainsi que sa tante dame Coupée ! Si Épinard, le médecin du roi, veut bien s’occuper de vous, il va devoir mettre beaucoup de plantain sur vos plaies pour vous guérir, mais le mal qui est en vous se retournera contre vous. Quand le combat sera terminé et que j’aurai vengé mon chagrin, je crois que vous n’aurez plus besoin de médecin. » En entendant cela, Renart comprend très bien que Chantecler veut le couvrir de honte par pure cruauté, et qu’il ne s’en lassera pas. Renart se dit alors qu’il est préférable de faire le mort, sans répondre à Chantecler, et de le laisser l’insulter. Alors il se laisse tomber, et Chantecler le pince et le mord, mais Renart fait semblant d’être mort, il ne réagit ni ne bouge, et tient la bouche bien fermée pour qu’aucun souffle n'en sorte. Chantecler le voyant ainsi, lui prend la queue avec le bec, et le traîne comme un moins que rien dans un fossé. Renart sait qu’il ne peut compter sur l’aide de personne car c'est la bête la plus haïe du monde. Il sait aussi que ni pour de l’argent, ni par des promesses, en aucune façon, il ne pourra en réchapper, si on s’aperçoit qu’il est vivant. Grâce à sa ruse, il a trompé Chantecler qui le laisse pour mort. | 25412 25416 25420 25424 25428 25432 25436 25440 25444 25448 25452 25456 25460 25464 25468 25472 25476 25480 25484 25488 25492 25496 25500 25504 | N'i vont plus d'aloigne querant. Tardif, l'escoufle et Ferrant, Le gresillon et le fourmi Qui mout estoient bon ami Et preuz et vaillanz sanz desroi, Cil garderent de par le roi Mout tres bien et mout sagement. Quant fet furent li serement, Si les ont ensemble lessié ; Lors s'est l'un vers l'autre eslessié, Et Renart qui premier l'assaut, Enprés Chantecler fet asaut. Granz cos li donne de la poe, Et Chantecler delez la joe Li fet de son bec une roie Si grant que li clers sans en roie, Que jusqu'au talon va la goute, Et des iex ne vit nule goute De l'erreüre d'une live. « Il pert bien, la char avez vive, Fet Chantecler qui le tint cort, Que li sans touz vermaus en cort. Folie vous fist a moi prandre ; Je vous ferai encui aprandre Conment je me sai maintenir. Se pour outre te veulz tenir, Je lo que te cleimes vaincu. Pandre te fai, trop as vescu. » Renart qui entent la menace Tert le sanc contre val sa face, Que les iex li avoit couvers. Lors a les iex andeus ouvers Et dit a Chantecler : « Traïtres, Si m'aïst Diex, mar le deïstes Que je recreant me rendisse. Se sein ne sauf de cest jour isse, Je vos cuit encui donner tele, Mes ne metrez en fu atele. » Lors li cort viguereusement, Si le feri irieement De la poe par mi la hanche Qu'i li derompi la char blanche. Trop li a fet doulereus merc ; Par mi la plume de l'aubert Fist de sanc saillir plein boisel ; Par le champ en court le ruisel Si c'un moulin en peüst moldre. Mes bien le cuide rendre et sodre Chantecler iceste bonté. Lors li est sus le dos monté, Si le fiert des esperons fort, Et de son bec le pince et mort, Que jusques au test li embat. La destre oreille li abat, Et l'ueil senestre li creva, Puis li dist : « Malement vous va, Sire Renart, au mien avis. Ja de cest champ n'estordrez vis Que il du cors ne vous meschiece. Bien est dame Pinte vengiee Et dame Coupee s'entein. De lancelee et de plantein Se voudra en vos plaies metre, S'Epinart se veult entremetre Qui est fisicïen le roi, Bien vous garra ; mes le deroi Qui en vous est vous honnira. Quant la bataille fenira De vous, et vengiee arai m'ire, N'arez, ce croi, mestier de mire. » Renart qui la response entant Au miex que il set i antent La grant honte et la vilenie Que Chantecler par felonnie Li fet, n'encor n'en est lassez. Adonc s'est Renart pourpensez Que la morte vieille fera, N'a Chantecler n'adesera, Que tant li fet et honte et let. A tant seur li cheïr se let, Et Chantecler le pince et mort Et Renart fet semblant de mort, Qu'il ne se crolle ne remue, Ainz tint la bouche close et mue Que voiz n'aleine n'en issi, Quant Chantecler le vit ainsi, Lors l'a conme lierre repris Au bec par mi la keue pris, En .I. fossé le traïna. Or voit bien Renart que il n'a De nului secours ne aïe, Car c'est la beste plus haïe Du monde et de toute gent. Bien set pour or ne pour argent, Por promesse ne pour avoir Ne pourroit raençon avoir, Se il estoit aparceü. Par son savoir a deceü Chantecler qui por mort le lesse. |
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