vendredi 6 décembre 2019

La mort de Renart - Rohart perd une patte




Une grande foule se presse autour de lui
E


ntour lui ot aussi grant presse
comme si c’était une curiosité.
Rohart et Brune la corneille
arrivent de ce pas devant le roi
et lui disent : « Sire, laissez donc
Renart à son sort, il va mourir sans aucun doute.
Il est sorti trop vilainement amoché
de ce combat.
Il se retrouve maintenant dans ce fossé
aussi mort qu’une souche,
et on pourrait vous reprocher
de vous en prendre encore à lui.
D’ici demain, les bestioles auront fini
de le dépecer et de le dévorer entièrement.
Inutile donc, de s’attarder ici
puisqu’il a été bel et bien vaincu ! »
Le roi Noble rentre alors dans son palais,
tandis que les barons retournent chez eux,
et tous manifestent leur joie
sans retenue.
Renart est abandonné
dans le fossé, la gueule ouverte,
comme si son âme l’avait quitté,
au grand plaisir de ses ennemis.
Puis, le corbeau et dame Brune la corneille
prennent congé du roi
sans rien dire à personne.
Ils arrivent au fossé en courant,
où Renart, avec son oreille et son œil en moins,
se meurt de faim.
« Rohart, dit la corneille, je veux
qu’on aille voir ce crève-la-faim
de plus près.
Par les saints de la Galice,
nous allons lui arranger sa pelisse,
car maintenant qu’il est mort, on ne craint plus rien. »
Renart, blessé, les entend et les observe,
tout en feignant d’être mort,
et se retient de leur répondre.
Il pensait rester là tranquillement
jusqu’à la tombée de la nuit,
mais ces deux-là, arrivant au pas de course,
en ont décidé autrement,
sans toutefois ne se douter de rien.
Ils lui montent tous les deux dessus,
puis Rohart se risque en premier,
lève haut son bec,
et lui plante dans la chair.
Renart donne aussitôt un coup de dents,
l’attrape par la cuisse et le tire
à lui, comme le dit l’histoire.
Il l’a bien trompé
et lui brise la cuisse au ras du cul,
le corbeau est salement amoché.
Rohart réussit à s’envoler péniblement
de l’autre côté du fossé,
et la corneille se retrouvant seule sur Renart,
saute pareillement sur le côté.
Renart bondit sur ses pattes,
prend la cuisse, et s’en va,
laissant Rohart complètement désespéré.
Il part en fuyant comme un fou
sans perdre de temps,
avec son œil crevé et son oreille coupée.
Heureusement, la porte
de sa forteresse est ouverte,
et il se jette à l’intérieur, mais avec grand-peine.
Hermeline n’aurait pas été plus joyeuse
si on lui avait donné tout Choisy,
quand elle l’entend arriver.
Mais en voyant sa tête
aussi vilainement arrangée,
elle est prise d’une grande douleur,
tout comme les renardeaux.
Grands sont les pleurs et les cris !
Ils le couchent alors sur un lit.



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Conme se il fust gent develle.
Rohart et Brune la corneille
Vindrent au roi tot pié estant
Et li distrent : « Sire, a itant
Lessiez Renart ; mors iert sanz faille.
Mout li est de ceste bataille
Hui vilainement mescheü.
Or est en ce fossé cheü
Tout mort aussi conme une çoche.
Blasme i avrïez et reproche,
Se l'en metoit plus seur li mein.
Males choses l'aront demein
Tout despecié et devouré,
Et vous avez ci demouré
Que son compaignon a outré. »
Li rois Nobles vint a son tré
Et li barnages s'en tourna
En son hostel. Cil qui tourna
S'en entra joie demenant.
Renart lessierent remanant
U fossé la gueule baee
Si con l'ame s'en fu alee,
Que ses anemis en fu bel.
Du roi se depart le corbel
Et la cornille dame Brune,
C'onques nel sot beste nesune.
U fossé s'en vindrent courant
Ou Renart iert de fein mourant,
Que l'orille ot perdue et l'ueil.
« Rohart, fet la cornille, or veil
Que nous aillons veoir Renart
Encore anuit ce famelart.
Par les sainz qu'en quiert en Galice,
Li afaiterons sa pelice ;
Mors est, nous n'avons de li garde. »
Renart les ot et les regarde,
Que blecié fu et se feingnoit,
Ne a elz parler ne daignoit.
Tant se cuidoit iluec tenir,
Que il veïst la nuit venir.
Mes cil souffrir nel voldrent pas
Qui li vindrent plus que le pas,
Que de noient ne se douterent.
Ambedui desus lui monterent ;
Rohart premerainz s'avança,
Le bec avant primes hauça,
En la char li embat dedenz ;
Et Renart a geté les danz,
Si le prist par la cuisse et tret
A soi, si con l'escrit retret,
Que cil li a lobee toute
Et la cuisse emprés le cul route ;
Vileinement l'a afolé.
Rohart est d'autre part volé
Seur le fossé mout angoisseus.
La cornille vit Renart seus,
Avecques li a tressailli,
Et Renart est en piez sailli,
La cuisse prant, a tout s'en torne,
Et Rohart lessa tristre et morne.
Aussi conme beste esperdue,
Fuiant s'en va sanz atandue
L'ueil crevé, l'oreille cospee.
Il ne trouva pas estoupee
La porte de sa forteresce,
Ainz s'i feri a grant destresce.
Quant Hermeline le choisi,
Qui li donnast quite Choisi,
N'eüst tel joie ne tel feste.
Quant ele a aparceu la teste
Qu'il avoit si mal atournee,
Adonc a grant doulour menee ;
Ausi firent les renardiax,
Grant fu la crïee et li diax ;
En .I. lit l'ont couchié et mis.
Comment Renart fut empereur Ce est la branche Renart coment il fu Empereres (30)
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