et s’en plaint à la corneille : « Dites-moi ma chère amie, comment ferai-je maintenant pour aller à la cour ? Renart m’a broyé le corps, je ne peux plus rien faire. — Je vous porterai dans mes bras, répond la corneille, je vous le promets. Je suis aussi chagrinée que fâchée pour ce terrible malheur qui vous accable. » Brune se retrousse alors les manches, et l’emmène avec tristesse et amertume à la tente du roi, où elle implore sa pitié : « Je vous apporte votre ami Rohart le corbeau, qui est bien mal en point. Ce qui me déplaît encore plus, c’est que ce sale brigand de Renart s’est enfermé à doubles tours dans son repaire à Maupertuis, en emportant une cuisse de Rohart, qu’il a dû avaler depuis. Noble roi, n’attendez pas davantage et vengez-vous de la honte et de l’affront que Renart vous fait, cela ne peut plus durer ! Il a démembré votre baron, et si vous vous rappelez bien, c’est maintenant la quatrième fois qu’il le fait. Ce traître doit être taillé en pièces pour ce nouveau crime. » Rohart prend ensuite la parole : « Sire, ayez pitié de moi, car je suis blessé à mort. J’ai perdu un pied et une cuisse, je suis désespéré, je crois que je vais bientôt mourir. Mais si je ne suis pas vengé de cet infidèle, de ce traître qui m’a mis dans ce triste état, on pourrait vous le reprocher à juste titre. » À ces mots, le roi se dresse sur ses pattes et répond : « Rohart, vous êtes gravement blessé, mais celui qui vous a arrangé de la sorte ne perd rien pour attendre. » Il ordonne aussitôt à tous, barons et soldats, de se préparer, et ajoute : « Par les saints de Rome, je ne passerai pas l’hiver ni l’été sans aller à Maupertuis. Je ferai sortir Renart par la force puis jeter à terre. Il sera pendu comme un bandit, sous les yeux de tous mes barons, et ne s’en sortira pas autrement. — Très cher sire, inutile de vous déplacer, fait seigneur Grimbert le blaireau. Si vous êtes d’accord, Frère Guibert et moi-même irons ensemble chez Renart à Maupertuis pour lui transmettre votre message avec fidélité. Nous lui dirons de venir à vous comme vous le demandez, et nous vous rapporterons sa réponse. » Le roi, toujours debout, répond exaspéré : « D’accord, mais faites vite, c’est tout ce que je veux ! Et dites-lui, s’il veut garder son œil droit, de venir m’expliquer pour quelle raison il a mis mon baron dans cet état. » Ils partent sans discuter son ordre, bien au contraire. Tardif le limaçon a déjà pris les devants pour trouver un bon gîte. Les autres chevauchent derrière mais ne prennent pas la peine de s’arrêter. Bref, inutile de raconter le détail de leur voyage ! Ils finissent par arriver à Maupertuis où Renart se trouve cloué de douleur dans son lit. Hubert et Grimbert frappent à la porte pour livrer leur message, et l’appellent à haute voix : « Ouvrez aux messagers du roi. » Renart entend le tapage, et ordonne au portier le plus vaillant d’aller voir à la porte et de répondre à ceux qui crient de la sorte. | 25588 25592 25596 25600 25604 25608 25612 25616 25620 25624 25628 25632 25636 25640 25644 25648 25652 25656 25660 25664 25668 25672 25676 | A la cornille se demante : « Dites, fet il, amie gente, Conment porrai aler a cort ? Trop durement m'a tenu cort Renart, ne sai que j'en ferai. — Entre mes braz vous porterai, Fet la cornille, par mon chief. De l'anui et du grant meschief Sui mout dolante et correciee. » A tant s'est Brune rebraciee, Si s'en ala triste et dolante Au roi qui se sist en sa tante, Criant a sire roi merci : « Tout mahaignié vous aport ci Rohart, vostre ami le corbel, Et si ne m'est mie encor bel Du larron Renart deputere Qui a Malpertuis, sen repere, S'est mis et a fermé sa porte, Que la cuisse Rohart emporte ; Mengiee l'a et devouree. Frans rois, ne fetes demouree, Vengiez la honte et la laidure Que Renart vous fet, qui trop dure. Vostre baron a desmembré ; Se vous estes bien amembré, Destroiz quatre foiz vous a fez. Detranchiez sera et deffez Li traïtres de ceste emprise. » Rohart a la parole emprise Et dist : « Sire, merci aiez De moi, car a mort sui plaiez. Le pié et la cuisse ai perdue Dont j'ai la pensee esperdue, Morir en cuit procheinement. Mes se je n'en ai vengement Du desleal, du traïtour Par qui sui en ceste tristour, Blasme en seroiz et a droit. » Li rois se leva en piez droit, Quant la parole ot et entant, Et respont, que plus n'i atant : « Rohart, vos estes mehaingnié, Ne cil n'i a riens gaaingnié Qui ainsi vous a atorné. » Tantost conmande qu'atourné Soient si baron et si honme, Que par les sainz qui sont a Ronme, « Ne m'i tandra yver n'esté, Tant qu'aie a Malpertuis esté. A terre abatre le ferai Et Renart par force en trerai. Pendu sera conme larron, Si que le verront mi baron, N'en puet partir par autre pas. — Biau sire, si n'ira il pas, Fet le tesson sire Grinbert, Entre moi et frere Guibert Iron, mes qu'il ne nous desplese, De Malpertuis passer la hese, Et a Renart conme honme sage Raconterons vostre mesage Et li dirons, sel conmandez, A vous viengne, ce li mandez, Et selonc ce que entendon Response de li vous randon. » Li rois qui fu em piez drecié Respondi conme courroucié : « Alez i tost, ainssi le voeil, Et li dites, seur son destre oeil, Qu'il me viengne randre reson Por coi et pour quele achoison Il a mon baron mehaignié. » Sil n'ont le conmant desdaingnié, Ainz s'en tornent sanz plus atandre. Au devant pour bon hostel prandre Ala li limaçons Tardis ; Cil chevauchent aprés tandis Qui ne s'i voldrent arrester. Ne vous veil toutes aconter Lor journees, ne qu'il devindrent. Tant errent qu'a Malpertuis vindrent Ou Renart jut sanz nul delit A grant dolor dedanz son lit. Hubert qui le mesage aporte Et Grinbert vindrent a la porte, Si huchierent par grant desroi : « Ouvrez au mesage le roi. » Renart qui entendi la noise Conmande qu'a la porte voise Li portiers qui n'est pareceus, Et maintenant parole a ceus Qui si huchoient fierement. |
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