dimanche 23 octobre 2011

Le jugement de Renart - Brun arrive à Maupertuis




Quand la nouvelle arrive à la cour,
Q


uant a la cort vint la novele,
il y en a certains pour qui elle est bonne,
mais pour Grimbert, elle est mauvaise,
car il parle et plaide pour Renart,
lui et Tibert le chat.
Et si Renart ne trouve pas de ruse maintenant,
il sera bien mal loti s'il est attrapé,
car Brun l'ours est déjà arrivé
à Maupertuis, à travers bois,
par un chemin direct.
Mais, comme son corps est grand,
il lui faut rester dehors,
alors il se tient devant la barbacane.
Renart, qui trompe tout son monde,
s'est retiré pour se reposer
tout au fond de sa tanière.
Il a très bien garni son trou
d'une grosse poule bien grasse.
Et ce matin même, il a mangé
deux belles cuisses de poulet,
maintenant il se repose tout à son aise.
Voilà alors Brun à la barrière :
« Renart, fait-il, répondez-moi,
je suis Brun, le messager du roi,
venez par ici, dehors sur cette lande,
et je vous dirai ce qu'il vous demande. »
Renart sait bien que c'est l'ours,
il l'avait reconnu à sa course.
Il se met alors à réfléchir
comment il pourra se protéger la peau :
« Brun, fait Renart, très cher ami,
dans quelle grande peine vous a donc mis
celui qui vous a fait dévaler jusqu'ici !
Je devais justement aller là-bas,
mais pas avant d'avoir mangé
un merveilleux plat bien français.
Car seigneur Brun, vous ne le savez peut-être pas,
mais on dit à la cour : “Sire, lavez-vous les mains !”
à tout homme riche quand il vient.
Il est à l'abri, celui qui tient ses manches !
Il a d'abord du bœuf au verjus,
puis viennent ensuite d'autres mets,
autant que le seigneur peut en avoir.
Mais un pauvre homme qui n'a pas de biens
est alors comme de la merde du diable.
Il ne s'assoit ni près du feu, ni à table,
et mange plutôt sur ses genoux.
Les chiens viennent autour de lui,
et lui ôtent le pain des mains.
Les pauvres boivent une fois, c'est la moindre des choses,
mais ils ne boiront jamais qu'une fois,
comme ils n'auront jamais qu'un seul plat.
Les valets leur jettent des os,
mais ceux-là sont plus mauvais que le charbon ardent.
Chacun tient son pain dans sa main,
car ils sont tous faits dans le même moule,
les sénéchaux et les cuisiniers.
Leurs seigneurs ont bien peu des choses
que ces voleurs ont en grande quantité.
Mais qu'ils soient donc brûlés et jetés au vent !
Ils volent leur viande et leur pain
qu'ils envoient à leurs putains.
Pour cette raison, comme je le dis,
cher seigneur, j'ai dès mardi
mélangé mon lard et mes pois,
dont je me suis ensuite régalés.
Puis j'ai bien mangé pour deux deniers
de miel nouveau dans des rayons tout frais.
— Au nom du Père et de son fils le Christ,
dit l'ours, par le corps de saint Gilles,
ce miel, Renart, d'où vient-il en abondance ?
C'est vraiment la chose au monde
que j'aime le mieux et désire le plus.
Amenez-y moi donc, très cher seigneur,
pour l'amour de Dieu, mon Dieu, mea culpa ! »
Alors Renart lui fait la grimace
pour l'avoir trompé si vite,
Le malheureux ne s'aperçoit de rien,
et se réajuste la ceinture.
« Brun, fait Renart, si je savais
que je pouvais vous faire confiance,
devenir votre ami et faire alliance avec vous,
par la foi que je dois à mon fils Rovel,
de ce bon miel frais et nouveau,
je vous remplirais le ventre aujourd'hui même.
Car, dès que l'on entre à l'intérieur
du bois de Lanfroi le forestier...
Mais à quoi bon ? tout cela est inutile,
car si j'y vais maintenant avec vous
et me donne la peine de vous satisfaire,
vous ferez bien vite votre mauvais caractère.
— Que dites-vous seigneur Renart ?
Me soupçonnez-vous donc de quelque chose ?
— Oui. — De quoi ? — Ça, je le sais bien :
de trahison et de félonie.
— Renart, comme il est bien diabolique
de me dire de si vilaines choses.
— Je n'ai pas dit ça ! Soyez en quitte maintenant,
je ne vous en porte aucun ressentiment.
— Vous avez raison, car par l'hommage
que j'ai fait à seigneur Noble le lion,
je n'ai jamais eu l'intention
d'agir en tricheur ou en traître contre vous,
ni de vous tromper.
— Je ne cherche pas d'autre garantie,
je m'en remets à votre bienveillance. »
Ce que Brun veut, Renart lui octroie.
Alors, ils se mettent en route
et ne retiennent pas une seule fois les rênes,
jusqu'à ce qu'ils arrivent
au bois de Lanfroi le forestier,
où leurs destriers s'arrêtent.
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A tiex i ot qu'ele fu bele ;
Mes a Grimbert fu ele lede,
Qui por Renart parole et plaide
Entre lui et Tybert le chat.
S'or ne set Renart de barat,
Mar est bailliz, s'il est tenuz ;
Qar Brun li ors est ja venuz
A Malpertuis, le bois entier,
Par mi l'adrece d'un sentier.
Por ce que grant estoit son cors,
Remanoir l'estut par defors,
S'estoit devant la barbaquane.
Renart qui tot le mont engane
Por reposer s'est tret ariere
En mi le fonz de sa tesniere.
Garnie avoit mout bien sa fosse
D'une geline grant et grosse
Et s'avoit mengié a matin
.II. beles cuisses d'un poucin ;
Or se repose et si se aise.
A tant es vos Brun a la haise :
« Renart, fait il, parlez a moi,
Je sui Brun, mesagier lor roi.
Issiez ça fors en ceste lande,
Si vos diré que il vos mande. »
Renart set bien que c'est li ors ;
Reconneü l'avoit au cors.
Lors se conmence a porpenser
Conment son cors porra tenser :
« Brun, fet Renart, biax doz amis,
Con en grant painne t'a or mis
Qui ça te ra fet avaler !
Je m'en devoie la aler,
Mes que eüsse mengié ançois
D'un merveilleus mengier françois ;
Qar, sire Bruns, vos ne savez,
L'en dit a cort : “Sire, lavez !”
A riche honme, quant il i vient.
Gariz est qui ses manches tient ;
De primes a buef a l'egrés,
Aprés revient li autres mes,
Quant li sires les puet avoir.
Mes povres hons qui n'a avoir,
Si est de la merde au deable :
Ne ne siet a feu, ne a table,
Ançois menjut sor son giron.
Li chien li viengnent environ,
Qui le pain li tolent des mains.
Une foiz boivent, c'est du mains ;
Ne ja c'une foiz ne bevront,
Ne ja que .I. seul mes n'avront.
Les os lor gietent li garçon,
Qui plus sont fel que vif charbon.
Chascun tient son pain en son poing,
Qar tuit sont feru en .I. coing
Et li seneschal et li queu ;
De tel chose ont lor seignor peu
Dont li larron ont grant plenté,
Qar fussent il ars et venté !
La char lor emblent et les pains
Qu'il envoient a lor putains.
Por tel afere con je di,
Biau sire, avoie des mardi
Mon lart et mes pois aünez,
Dont je me sui desjeünez,
Et s'ai bien mengié .II. denrees
De novel miel en fresches rees.
— Nomini pastre, christum fil,
Dist li ors, par le cors saint Gil,
Cel miel, Renart, dont vos abonde ?
Ja est ce la chose du monde
Que je miex aim et plus desirre ;
Qar m'i menez, biau tres doz sire,
Por le cuer bieu, Diex, moie coupe ! »
Et Renart li a fet la loupe,
Por ce que si tost le deçoit,
Et li chaitis ne s'aparçoit,
Et il li trempe la corroie.
« Brun, fet Renart, se je savoie
Que je trovasse en vos fiance
Et amistiez et aliance,
Foi que je doi mon filz Rovel,
De cest bon miel fres et novel
Vos empliré encui le ventre ;
Qar au dedenz, si con l'en entre,
Du bois Lanfroi le foretier ...
Mes ce que vaut ? Ce n'a mestier,
Qar se je ore o vos aloie
Et de vostre aise me penoie,
Tost m'en ferïez male part.
— Qu'avez vos dit, sire Renart ?
Me mescreez vos donc de rien ?
— Oïl ! — De quoi ? — Je le sai bien :
De traïson, de felonnie.
— Renart, or est ce deablie,
Quant de tel chose me mesdites.
— Non faz ! ore en soiez toz quites,
Ne vos enport nul mal corage.
— Vos avez droit, quar, par l'omage
Que fis dant Noble le lyon,
Onc n'oi vers vos entencion
D'estre traïtres ne trichierres,
Ne envers vos estre boisierres.
— Je n'en quier autre seürté,
Je m'en met a vostre bonté »
Qanque Brun velt, Renart otroie.
A tant se metent a la voie ;
Onques n'i ot resne tenu
Desi a tant qu'il sont venu
El bois Lanfroi le foretier ;
La s'aresterent li destrier.
Comment Renart trompa Brun l'ours avec le miel Si conme Renart conchia Brun li ours du miel (10)
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samedi 15 octobre 2011

Le jugement de Renart - La guérison de Couard le lièvre




Quand le deuil est alors terminé
Q


uant li dels fu issi lessiez
et que la situation s'est quelque peu apaisée :
« Empereur, font les barons,
vengez-nous donc de ce brigand
qui nous a joué tant de tours
et a si souvent enfreint la paix.
— Bien volontiers, dit l'empereur,
Brun, très cher ami, allez-y donc pour moi,
vous n'avez rien à craindre de lui.
Dites à Renart de ma part
que je l'ai attendu huit jours entiers.
— Sire, répond Brun, avec grand plaisir. »
Sur ce, il se met à l'amble
à travers un vallon au milieu des champs,
sans s'arrêter pour s'asseoir et se reposer.
Il arrive alors une chose à la cour,
pendant que Brun est en route,
qui va aggraver le cas de Renart.
Car, messire Couard le lièvre,
qui, par peur, tremble de fièvre
qu'il a déjà depuis deux jours,
la perd alors, Dieu merci,
sur la tombe de dame Coupée.
En effet, après qu'elle ait été enterrée,
il ne veut plus se séparer d'elle,
quitte à dormir sur la martyre.
Et quand Ysengrin entend dire
qu'elle est une vraie martyre,
il dit qu'il a mal à l'oreille.
Ronel, qui est de bon conseil,
le fait s'étendre sur la tombe,
et il guérit aussitôt, ainsi qu'il l'affirme.
Mais si ça n'avait pas été d'une bonne foi
dont personne ne puisse avoir de doute,
ou sans le témoignage de Ronel,
la cour aurait cru que c'était un mensonge.
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Et il fu auques abessiez :
« Emperere, font li baron,
Qar nos vengiez de cel gloton,
Qui tantes guiles nos a fetes
Et tantes pes nos a enfretes.
— Mout volentiers, dist l'emperere ;
Qar m'i alez, Brun, biax doz frere,
Vos n'avez ja de lui regart.
Dites Renart de moie part
Qu'atendu l'ai .VIII. jors entiers.
— Sire, dist Brun, mout volentiers. »
A tant se met en l'ambleüre
Par mi .I. val d'une costure,
Que il ne siet ne ne repose.
Lors avint a cort une chose,
Endementiers que Brun s'en vet,
Qui Renart empira son plet ;
Qar mesire Coart li lievres,
Qui de peor trembloit de fievres,
.II. jors les avoit ja eües,
Merci Dieu or les a perdues
Sor la tombe dame Coupee ;
Car, quant ele fu enterree,
Onc ne se volt de lui partir,
S'eüst dormi sor le martir.
Et qant Ysengrin oï dire
Que ele estoit vraie martire,
Dist qu'il avoit mal en l'oreille.
Rooniax, qui bien le conseille,
Sor la tombe gesir le fist ;
Lors fu gariz, si con il dist,
Mes se ne fust bonne creance
Dont nus ne doit avoir dotance
Et Rooniax qui le tesmoingne,
La cort cuidast ce fust mençonge.
Comment Renart trompa Brun l'ours avec le miel Si conme Renart conchia Brun li ours du miel (10)
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dimanche 9 octobre 2011

Le jugement de Renart - L'enterrement de dame Coupée




Quand le roi estime avoir bien jugé,
Q


uant li rois ot jugié assez,
et qu'il se sent las de parlementer,
voici maintenant les poules
et Chantecler qui se battent les paumes.
Pinte l'interpelle la première,
puis les autres d'une seule voix :
« Pour Dieu, font-elles, nobles bêtes,
chiens et loups, ainsi que vous tous,
donnez donc un conseil à cette malheureuse.
Je maudis vraiment l'heure où je suis née.
Mort, prends-moi donc, et délivre-moi !
Car Renart ne me laisse pas vivre en paix.
Jadis, j'avais cinq frères du même père que moi,
ce voleur de Renart les a tous mangés ;
ce fut une grande perte et une grande douleur.
J'ai eu cinq sœurs de par ma mère,
des jeunes filles encore vierges,
c'était de très belles poules.
Gombert du Frêne s'en occupait
et les poussait à pondre.
Le malheureux ! il les a engraissées pour rien,
car Renart ne lui en a laissé
qu'une seule sur toutes les cinq.
Elles sont toutes passées dans sa gueule.
Et vous, qui gisez dans cette bière,
ma douce sœur, ma chère amie,
comme vous étiez tendre et grassouillette !
Que va donc faire votre pauvre sœur,
qui plus jamais ne vous reverra ?
Renart, que le feu maudit vous brûle !
Vous nous avez tant de fois enlevées,
chassées, vilipendées,
déchiré la pelisse,
poursuivies jusqu'aux barrières !
Et hier matin, devant ma porte
vous m'avez jeté ma sœur morte,
puis vous vous êtes enfui par un vallon.
Gombert n'a pas de cheval assez rapide,
et n'a pu vous rattraper à pied.
Je suis venue pour porter plainte,
mais je ne trouve personne pour me rendre justice,
car il ne craint ni menace
ni colère d'autrui pour deux sous. »
Sur ces paroles, le malheureuse Pinte
tombe évanouie sur le sol,
ainsi que les trois autres toutes ensemble.
Afin de relever les quatre dames,
tous se lèvent de leurs tabourets,
les chiens, les loups et les autres bêtes,
puis leur jettent de l'eau sur la tête.
Quand elles reviennent de leur évanouissement,
ainsi que nous le trouvons dans les écrits,
elles regardent en direction du roi
et se laissent tomber à ses pieds,
et Chantecler s'agenouille aussi,
en lui mouillant les pieds de ses larmes.
Alors, quand le roi voit Chantecler ainsi,
il prend pitié du jeune homme,
il pousse un profond soupir,
il n'aurait pu le retenir pour tout l'or du monde.
De colère, il redresse la tête.
Il n'y a pas une bête assez hardie,
ni ours, ni sanglier, qui n'ait peur
quand leur sire crie et rugit.
Couard le lièvre a une telle peur
qu'il en aura la fièvre pendant deux jours.
Toute la cour frémit en même temps,
les plus courageux tremblent de peur.
Il tire sur sa queue avec colère
et la frappe avec une telle détermination
que toute la maison en résonne.
Puis ses paroles sont les suivantes :
« Dame Pinte, dit l'empereur,
par la foi que je dois à l'âme de mon père,
à qui je n'ai pas encore rendu grâce aujourd'hui,
votre chagrin me pèse beaucoup
car je ne puis y remédier.
Mais je vais faire chercher Renart,
si bien que vous le verrez de vos propres yeux,
et vous entendrez de vos propres oreilles
comment la terrible vengeance sera prise,
car je veux faire un jugement exemplaire
de ce crime et de sa réparation. »
Quand Ysengrin entend le roi parler ainsi;
il se dresse rapidement sur ses pattes :
« Sire, fait-il, c'est une très grande décision,
vous serez loué partout
si vous pouvez venger Pinte,
ainsi que sa sœur dame Coupée
que Renart a tant battue.
Je ne le dis pas par haine,
mais je le dis pour la jeune fille
qu'il a tuée. Car je n'agirai pas ainsi
bien que je haïsse Renart. »
L'empereur fait : « Chers amis,
il m'a infligé une bien grande peine au cœur,
et ce n'est pas la première.
Devant vous et les étrangers,
je proclame une plainte, comme il est coutume de faire,
pour l'adultère, l'outrecuidance,
et la honte qu'il a faite,
et pour la paix qu'il a enfreinte.
Mais parlons d'autre chose.
Brun l'ours, prenez une étole,
et recommandez à Dieu l'âme de ce corps.
Et vous, seigneur Bruyant le taureau,
du côté de ce champ labouré,
vous me ferez une sépulture.
— Sire, fait Brun, à votre bon plaisir. »
Alors, il va non seulement
saisir l'étole,
mais aussi à son commandement, le roi
et tous les autres membres de l'assemblée
commencent l'évangile.
Seigneur Tardif le limaçon
lit ensuite trois leçons pour la défunte,
et Ronel chante les versets,
ainsi que Brichemer le cerf.
Quand l'évangile est chanté
et que l'on arrive aux matines,
ils transportent le corps pour l'enterrer,
après l'avoir déposé
dans un très beau cercueil de plomb,
jamais personne n'avait vu mieux.
Puis ils l'enfouissent sous un arbre,
et dessus mettent une dalle de marbre,
où ils inscrivent le nom de la dame,
sa vie, son œuvre, et la recommandent à Dieu ;
je ne sais plus s'ils l'ont fait avec un ciseau ou un stylet.
Ils ne racontent pas de mensonge
mais écrivent une épitaphe :
“Sous cet arbre, à cet endroit,
gît Coupée, la sœur de Pinte.
Renart l'a arrangée ainsi ce matin même,
il devient pire jour après jour,
et lui a fait subir avec ses dents un si grand martyre.”
Chacun voit alors Pinte pleurer,
maudire et insulter Renart,
puis Chantecler tendre ses pattes.
Quelle grande pitié a-t-on pu avoir !
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Qui de plaidier estoit lassez,
Es les gelines maintenant
Et Chantecler paumes batant.
Pinte s'escrie premerainne
Et les autres a une alainne :
« Por Dieu, font eles, gentix bestes
Et chiens et leus, si con vos estes,
Qar conseilliez ceste chaitive.
Mout hé l'eure que je sui vive.
Mort, quar me pren, si me delivre !
Qar Renart ne me lesse vivre.
.V. freres oi ja de mon pere,
Touz les menja Renart le lerre ;
Ce fu grant perte et grant dolors.
De par ma mere oi .V. serors,
Que virges poules, que meschines,
Mout i avoit beles gelines ;
Gonbert de Fresne les servoit,
Qui de pondre les enpressoit.
Le las ! mar il les engressa ;
C'onques Renart ne l'en lessa
De toutes .V. que une seule,
Toutes passerent par sa geule.
Et vos, qui ci gisez em biere,
Ma douce suer, m'amie chierre,
Con vos estïez tendre et grasse !
Que fera or vostre suer lasse,
Qui a nul jor ne vos regarde ?
Renart, la male flambe t'arde !
Tantes foiz nos as dessolees
Et chaciees et vilanees
Et descirees nos pelices
Et enbatues jusqu'as lices !
Et hier main de devant ma porte
Me jetas tu ma seror morte,
Puis t'en fouis par mi .I. val ;
Gonbert n'ot pas isnel cheval,
Ne ne te pot a pié ataindre.
Je m'estoie venue plaindre,
Mes je ne truis qui droit m'en face,
Qar il ne crient nule menace,
N'autre coroz vaillant .II. soles. »
Pinte la lasse a ces paroles
Chaï paumee el pavement
Et les autres tot ensement.
Por relever les .IIII. dames
Se leverent de lor eschames
Et chiens et leus et autres bestes ;
L'eve lor gietent sor les testes.
Qant revienent de pasmoison,
Si conme en escrit trovon,
La ou li rois virent seoir
Se laisent a ses piez chaoir ;
Et Chantecler si s'agenoille,
De ses lermes ses piez li moille.
Et quant li rois vit Chantecler,
Pitié li prist du bacheler,
.I. soupir a fait de parfont,
Ne s'en tenist por l'or du mont.
Par mautalent drece la teste,
Puis n'i ot si hardie beste,
Ors ne sengler, qui peor n'ait
Conme lor sire crie et brait.
Tel peor ot Coarz li lievres
Que il en ot .II. jors les fievres.
Toute la cort fremist ensemble ;
Le plus hardiz de peor tremble.
Par mautalent la queue tire,
Si s'en debat par tel desire
Que toute en sone la meson ;
Et puis fu tele sa raison :
« Dame Pinte, dist l'emperere,
Foi que je doi l'ame mon pere,
Por qui je ne fis aumosne hui,
Mout me poise de vostre anui
Se je ne le puis amender.
Mes je feré Renart mander
Si que a voz eulz le verroiz
Et as voz oreilles orroiz
Con grant venjance en sera prise,
Qar j'en voil fere grant justise
De l'amende et del desroi. »
Qant Ysengrin oï lor roi,
Isnelement en piez se drece :
« Sire, fet il, c'est grant proece ;
Mout en seroiz par tout loez,
Se vos Pinte vengier pouez
Et sa seror dame Coupee
Que Renart a si acoupee.
Je nel di pas por la haïne,
Mes je le di por la meschine
Qu'il a morte, que je ne face
Por chose que je Renart hace. »
Fait l'emperere : « Biax amis,
Maint grant duel m'a il el cuer mis,
Ce n'est or pas li premereins.
A vos et a toz les foreins
Me plain je, si con fere sueil,
De l'avoutire et de l'orgueil
Et de la honte qu'il a fete
Et de la pes qu'il a enfrete.
Mes or parlons d'autre parole.
Bruns li ors, prenez une estole,
Conmandez l'ame de cest cors.
Et vos, sire Bruiant li tors,
La sus endroit cele costure
Me ferez une sepouture.
— Sire, fait Brun, vostre plaisir. »
A tant va l'estole saisir,
Et non mie tant seulement,
Mes li rois el conmendement
Et tuit li autre du concile
Ont conmencie l'evangile.
Sire Tardis le limaçons
Si lut por cele .III. leçons
Et Rooniax chanta le vers
Et il et Brichemer li cers.
Qant l'evangile fu chantee
Et ce vint a la matinee,
Le cors porterent enterrer ;
Mes ançois l'orent fet lever
En .I. mout bel vessel de plon,
Onques meillor ne vit nus hon.
Puis l'enfouirent soz .I. arbre
Et par desus mistrent .I. marbre,
Si ont escrit le non la dame
Et sa vie et conmandé s'ame,
Ne sai a cisel ou a gresfe.
Il ne servirent pas de befe,
Ainz ont escrit une espitace :
“Desoz cel arbre en une place,
Ci gist Coupee, suer Pintain,
Tot einsi l'astorna hui main
Renart, qui chascun jor empire,
En fist as denz si grant martire.”
Qui lors veïst Pintain plorer,
Renart maudire et devorer,
Et Chantecler les piez estendre,
Mout grant pitié l'en peüst prandre !
Comment Renart trompa Brun l'ours avec le miel Si conme Renart conchia Brun li ours du miel (10)
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