il y en a certains pour qui elle est bonne, mais pour Grimbert, elle est mauvaise, car il parle et plaide pour Renart, lui et Tibert le chat. Et si Renart ne trouve pas de ruse maintenant, il sera bien mal loti s'il est attrapé, car Brun l'ours est déjà arrivé à Maupertuis, à travers bois, par un chemin direct. Mais, comme son corps est grand, il lui faut rester dehors, alors il se tient devant la barbacane. Renart, qui trompe tout son monde, s'est retiré pour se reposer tout au fond de sa tanière. Il a très bien garni son trou d'une grosse poule bien grasse. Et ce matin même, il a mangé deux belles cuisses de poulet, maintenant il se repose tout à son aise. Voilà alors Brun à la barrière : « Renart, fait-il, répondez-moi, je suis Brun, le messager du roi, venez par ici, dehors sur cette lande, et je vous dirai ce qu'il vous demande. » Renart sait bien que c'est l'ours, il l'avait reconnu à sa course. Il se met alors à réfléchir comment il pourra se protéger la peau : « Brun, fait Renart, très cher ami, dans quelle grande peine vous a donc mis celui qui vous a fait dévaler jusqu'ici ! Je devais justement aller là-bas, mais pas avant d'avoir mangé un merveilleux plat bien français. Car seigneur Brun, vous ne le savez peut-être pas, mais on dit à la cour : “Sire, lavez-vous les mains !” à tout homme riche quand il vient. Il est à l'abri, celui qui tient ses manches ! Il a d'abord du bœuf au verjus, puis viennent ensuite d'autres mets, autant que le seigneur peut en avoir. Mais un pauvre homme qui n'a pas de biens est alors comme de la merde du diable. Il ne s'assoit ni près du feu, ni à table, et mange plutôt sur ses genoux. Les chiens viennent autour de lui, et lui ôtent le pain des mains. Les pauvres boivent une fois, c'est la moindre des choses, mais ils ne boiront jamais qu'une fois, comme ils n'auront jamais qu'un seul plat. Les valets leur jettent des os, mais ceux-là sont plus mauvais que le charbon ardent. Chacun tient son pain dans sa main, car ils sont tous faits dans le même moule, les sénéchaux et les cuisiniers. Leurs seigneurs ont bien peu des choses que ces voleurs ont en grande quantité. Mais qu'ils soient donc brûlés et jetés au vent ! Ils volent leur viande et leur pain qu'ils envoient à leurs putains. Pour cette raison, comme je le dis, cher seigneur, j'ai dès mardi mélangé mon lard et mes pois, dont je me suis ensuite régalés. Puis j'ai bien mangé pour deux deniers de miel nouveau dans des rayons tout frais. — Au nom du Père et de son fils le Christ, dit l'ours, par le corps de saint Gilles, ce miel, Renart, d'où vient-il en abondance ? C'est vraiment la chose au monde que j'aime le mieux et désire le plus. Amenez-y moi donc, très cher seigneur, pour l'amour de Dieu, mon Dieu, mea culpa ! » Alors Renart lui fait la grimace pour l'avoir trompé si vite, Le malheureux ne s'aperçoit de rien, et se réajuste la ceinture. « Brun, fait Renart, si je savais que je pouvais vous faire confiance, devenir votre ami et faire alliance avec vous, par la foi que je dois à mon fils Rovel, de ce bon miel frais et nouveau, je vous remplirais le ventre aujourd'hui même. Car, dès que l'on entre à l'intérieur du bois de Lanfroi le forestier... Mais à quoi bon ? tout cela est inutile, car si j'y vais maintenant avec vous et me donne la peine de vous satisfaire, vous ferez bien vite votre mauvais caractère. — Que dites-vous seigneur Renart ? Me soupçonnez-vous donc de quelque chose ? — Oui. — De quoi ? — Ça, je le sais bien : de trahison et de félonie. — Renart, comme il est bien diabolique de me dire de si vilaines choses. — Je n'ai pas dit ça ! Soyez en quitte maintenant, je ne vous en porte aucun ressentiment. — Vous avez raison, car par l'hommage que j'ai fait à seigneur Noble le lion, je n'ai jamais eu l'intention d'agir en tricheur ou en traître contre vous, ni de vous tromper. — Je ne cherche pas d'autre garantie, je m'en remets à votre bienveillance. » Ce que Brun veut, Renart lui octroie. Alors, ils se mettent en route et ne retiennent pas une seule fois les rênes, jusqu'à ce qu'ils arrivent au bois de Lanfroi le forestier, où leurs destriers s'arrêtent. | 6140 6144 6148 6152 6156 6160 6164 6168 6172 6176 6180 6184 6188 6192 6196 6200 6204 6208 6212 6216 6220 6224 6228 6232 6236 6240 6244 6248 | A tiex i ot qu'ele fu bele ; Mes a Grimbert fu ele lede, Qui por Renart parole et plaide Entre lui et Tybert le chat. S'or ne set Renart de barat, Mar est bailliz, s'il est tenuz ; Qar Brun li ors est ja venuz A Malpertuis, le bois entier, Par mi l'adrece d'un sentier. Por ce que grant estoit son cors, Remanoir l'estut par defors, S'estoit devant la barbaquane. Renart qui tot le mont engane Por reposer s'est tret ariere En mi le fonz de sa tesniere. Garnie avoit mout bien sa fosse D'une geline grant et grosse Et s'avoit mengié a matin .II. beles cuisses d'un poucin ; Or se repose et si se aise. A tant es vos Brun a la haise : « Renart, fait il, parlez a moi, Je sui Brun, mesagier lor roi. Issiez ça fors en ceste lande, Si vos diré que il vos mande. » Renart set bien que c'est li ors ; Reconneü l'avoit au cors. Lors se conmence a porpenser Conment son cors porra tenser : « Brun, fet Renart, biax doz amis, Con en grant painne t'a or mis Qui ça te ra fet avaler ! Je m'en devoie la aler, Mes que eüsse mengié ançois D'un merveilleus mengier françois ; Qar, sire Bruns, vos ne savez, L'en dit a cort : “Sire, lavez !” A riche honme, quant il i vient. Gariz est qui ses manches tient ; De primes a buef a l'egrés, Aprés revient li autres mes, Quant li sires les puet avoir. Mes povres hons qui n'a avoir, Si est de la merde au deable : Ne ne siet a feu, ne a table, Ançois menjut sor son giron. Li chien li viengnent environ, Qui le pain li tolent des mains. Une foiz boivent, c'est du mains ; Ne ja c'une foiz ne bevront, Ne ja que .I. seul mes n'avront. Les os lor gietent li garçon, Qui plus sont fel que vif charbon. Chascun tient son pain en son poing, Qar tuit sont feru en .I. coing Et li seneschal et li queu ; De tel chose ont lor seignor peu Dont li larron ont grant plenté, Qar fussent il ars et venté ! La char lor emblent et les pains Qu'il envoient a lor putains. Por tel afere con je di, Biau sire, avoie des mardi Mon lart et mes pois aünez, Dont je me sui desjeünez, Et s'ai bien mengié .II. denrees De novel miel en fresches rees. — Nomini pastre, christum fil, Dist li ors, par le cors saint Gil, Cel miel, Renart, dont vos abonde ? Ja est ce la chose du monde Que je miex aim et plus desirre ; Qar m'i menez, biau tres doz sire, Por le cuer bieu, Diex, moie coupe ! » Et Renart li a fet la loupe, Por ce que si tost le deçoit, Et li chaitis ne s'aparçoit, Et il li trempe la corroie. « Brun, fet Renart, se je savoie Que je trovasse en vos fiance Et amistiez et aliance, Foi que je doi mon filz Rovel, De cest bon miel fres et novel Vos empliré encui le ventre ; Qar au dedenz, si con l'en entre, Du bois Lanfroi le foretier ... Mes ce que vaut ? Ce n'a mestier, Qar se je ore o vos aloie Et de vostre aise me penoie, Tost m'en ferïez male part. — Qu'avez vos dit, sire Renart ? Me mescreez vos donc de rien ? — Oïl ! — De quoi ? — Je le sai bien : De traïson, de felonnie. — Renart, or est ce deablie, Quant de tel chose me mesdites. — Non faz ! ore en soiez toz quites, Ne vos enport nul mal corage. — Vos avez droit, quar, par l'omage Que fis dant Noble le lyon, Onc n'oi vers vos entencion D'estre traïtres ne trichierres, Ne envers vos estre boisierres. — Je n'en quier autre seürté, Je m'en met a vostre bonté » Qanque Brun velt, Renart otroie. A tant se metent a la voie ; Onques n'i ot resne tenu Desi a tant qu'il sont venu El bois Lanfroi le foretier ; La s'aresterent li destrier. |
Merci pour ces traductions, elles sont bien utiles et pratiques
RépondreSupprimerAttention, V. 6247 rênes plutôt que rennes ;)
Merci d'avoir signalé la faute, c'est corrigé.
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