a commencé à fendre un chêne. Le forestier y a mis deux coins de chêne tout entier. « Brun, fait Renart, très cher ami, voyez donc ce que je vous avais promis, la ruche est là-dedans. C'est le moment de manger, puis nous irons boire. Vous avez trouvé votre bonheur à présent. » Brun met alors le museau et les deux pattes de devant dans le chêne. Quand Renart le voit se mettre debout et se dresser vers le haut, il se retire plus loin, puis l'exhorte : « Misérable, fait-il, ouvre la bouche, peu s'en faut que ce gosier ne touche le miel. Ouvre la gueule, fils de pute. » C'est ainsi qu'il le trompe et l'affole. Maudit soit-il toute sa vie durant ! L'autre n'en tirerait pas même une goutte dans l'année, car il n'y a là ni miel ni rayon. Pendant que Brun reste bouche bée, Renart enlève les coins. Il les détache à grand-peine, et quand les coins sont ôtés, la tête et les flancs de Brun se retrouvent enfermés dans le chêne. Le malheureux est dans un bien mauvais pas, l'autre l'a mis dans une presse infernale. Et Renart, qui n'a jamais été à confesse, d'ailleurs il n'a jamais fait le bien ni l'aumône, se tient à l'écart, puis se moque de lui : « Brun, fait-il, je le savais bien que vous chercheriez un moyen ou une machination, pour que je ne goûte jamais de ce miel. Mais je sais aussi ce que je ferais, si vous faisiez ça une autre fois. Vous êtes vraiment un sale individu à ne pas me proposer de ce miel. Ah ! comme vous prendriez soin de moi si j'avais une maladie ; et quand je serais sauf vous me laisseriez des poires blettes. » À ces paroles, voici qu'arrive seigneur Lanfroi le forestier ; Renart se met alors en fuite. Quand le paysan voit Brun l'ours pris dans le chêne qu'il devait fendre, il s'en va au village en courant. « Haro, haro ! fait-il, à l'ours ! nous allons enfin pouvoir le tenir entre nos mains. » Imaginez alors les paysans arriver : ils viennent en courant à travers bois, certains portent des bâtons, d'autres une masse, un gourdin, ou un fléau à pointes. Brun a grand-peur pour son échine. Quand il les entend venir avec rage, il frémit et se dit en lui-même qu'il vaut mieux perdre le museau que de se laisser attaquer par Lanfroi, qui vient devant avec une hache. Il tâte et cherche, puis tire et retire, et parvient à s'extraire le corps, mais ses veines se rompent. Il a tellement tiré, qu'après toute cette peine il s'est fendu le cuir et cassé la tête. Il y laisse en plus une grande quantité de sang, la peau des pattes et de la tête. Jamais personne ne vit de bête si laide : le sang lui coule du museau, et il n'y a plus assez de peau sur son visage pour pouvoir en faire une bourse. Ainsi s'en va le fils de l'ourse, il part en fuyant à travers bois et les paysans le poursuivent en criant : Gombert, le fils du seigneur Gilain, avec Hardouin Coupevilain puis Faimber avec le fils de Galon, messire Hélye, le neveu de Foucon, et Outrant, le cocu de l'Aglée, qui a étranglé sa femme, Tigier, le vagabond du village qui a un enfant de Poufille., puis en tête, Brise Favile et Rousselin, le fils de Nancille, avec son fils Ogier de la Place, tous le poursuivent à la file, ainsi que messire Hubert Grospet et Galopet, le fils de Fouchier. L'ours s'enfuit alors loin de tout ce tumulte, quand le prêtre de la paroisse, le père Martin d'Orléans, revient juste d'épandre son fumier. Il tient une fourche dans les mains, et le frappe à travers les reins. Pour un peu il l'aurait abattu, mais il l'a quand même blessé et désorienté. Celui qui fait des peignes et des lanternes, rattrape alors l'ours entre deux chênes, et avec la corne de bœuf qu'il porte, lui fait plier l'échine en deux. Puis il y a tellement d'autres paysans qui se mettent à le battre avec leur masse, qu'il s'en échappe à grand-peine. Renart risque maintenant d'être bien piégé si Brun l'ours parvient à l'atteindre. Mais quand il l'entend se plaindre au loin, il prend alors un raccourci vers Maupertuis, sa forteresse. Renart lui lance deux bons mots en passant : « Brun, êtes-vous bien avancé maintenant, dit-il, avec le miel de Lanfroi que vous avez mangé sans moi ? Votre mauvaise foi vous confondra, et vous portera certainement malheur, si bien que vous n'aurez même pas de prêtre à votre mort. De quel ordre voulez-vous être, vous qui portez un capuchon rouge ? » Mais l'ours est tellement accablé qu'il ne peut lui répondre mot. Il s'en va en fuyant plus vite qu'au trot, car il risque encore de tomber aux mains de Lanfroi et des autres paysans. | 6252 6256 6260 6264 6268 6272 6276 6280 6284 6288 6292 6296 6300 6304 6308 6312 6316 6320 6324 6328 6332 6336 6340 6344 6348 6352 6356 6360 6364 6368 6372 | .I. chesne ot conmencié a fendre ; .II. coins de chesne toz entiers I avoit mis li foretiers. « Brun, fet Renart, biax doz amis, Vez ore ci que t'ai promis ; Ici dedens est la chatoire. Or du mengier, si irons boire : Or as bien trové ton avel. » Et Brun i mist lors son musel El chesne et les .II. piez devant ; Et Renart le vet sus levant Et adrecier en contre mont. De loing se tret, si le semont : « Cuivert, fet il, ovre la bouche, A poi que cist busiaus n'i touche. Filz au putain, ovre la gole. » Einssi le conchie et afole. Maudite soit sa vie toute ! Jusque a .I. an n'en tresist goute, Car n'i avoit ne miel ne ree. Endementierres que Brun bee, Renart a les coins descoingniez Et a grant painne destachiez ; Et quant li coing furent osté, La teste Brun et li costé Furent dedenz le chesne enclos. Or est li las en mal repos : Mout l'avoit mis en male presse. Et Renart, qui ja n'ait confesse, Qar onques ne fist bien ne aumone, En loing estoit, si le rampone : « Brun, fet il, je savoie bien Que querïez art et engien, Ja de cel miel ne gouteroie ; Mes je sai bien que je feroie, S'un' autre foiz l'avoie a fere. Mout es ore de put afere, Quant de cel miel ne me proiez. Haï ! con me garderïez, S'estoie en une enfermeté Et quant seroie a sauveté, Vos me lerïez poires moles. » A tant es vos a ces paroles Seingnor Lanfroi le foretier, Et Renart se mist au frapier. Quant le vilain vit Brun l'ors prandre Au chesne que il devoit fendre, A la vile s'en vet le cors. « Harou, harou, fet cil, a l'ors ! Ja le porrons as poins tenir. » Qui lors veïst vilains venir ; Et vont fuiant par le boscage Et portent qui bastons, qui mace, Qui baston, qui flael d'espine. Grant peor ot Brun de s'eschine ; Quant il oï venir la rage, Fremist et pense en son corage Que miex li vient le musel perdre Que Lanfroi le peüst aerdre, Qui devant vint a une hache. Taste et retaste et tire et sache, Oste le corps, rompent les vaines, Tant a sachié que a grant painnes Fant li cuirs et la teste qasse ; Mes del sanc i lessa grant masse, La piau des piez et de la teste. Onc nus ne vit si lede beste : Le sans li coule du musel, En tot son vis n'a tant de pel Dont l'en peüst fere une borse. Einssi s'en va le filz a l'orse ; Par mi le bois s'en vet fuiant Et li vilain le vont huiant : Gonbert, le filz sire Gillain, Et Hardouin Coupevilain Et Fainber et le filz Galon, Dant Helyes, le niez Foucon, Et Outrant, li cous de l'Aglee, Qui sa fame avoit estranglee ; Tigiers, le fuitis de la vile, Qui ot .I. enfant de Poufile Et as premiers Brise Favile Et Rocelins, li filz Nancille, Et son filz Ogier de la Place, Tuit li viennent a une trace ; Et misires Hubert Grospet Et le filz Fouchier Galopet. Li ors s'en fuit hors de la noise ; Et li prestres de la paroise, Qui fu peres Martin d'Orliens, Revenoit d'espandre son fiens. Une forche tint en ses mains, Si le feri par mi les rains ; Par .I. pou ne l'a abatu, Mout l'a blecié et confondu. Cil qui fait pingnes et lanternes Si ataint l'ors entre .II. chenes ; D'une corne de buef qu'il porte Li a toute l'eschine torte ; Et d'autres vilains i ot tant Qui as maces le vont batant Que a grant paine en eschape. Or est Renart en male trape, Se Brun li ors le puet ataindre. Mes quant il l'oï de loing plaindre, Si s'est mis par mi une adrece A Malpertuis, sa forterece ; Li a Renart .II. moz lanciez : « Brun, estes vos bien avanciez, Ce dist Renart, del miel Lanfroi Que vos avez mengié sanz moi ? Vostre male foi vos parra ; Certes il vos en mescharra Que ja n'avrez a la fin prestre. De quel ordre volez vos estre, Qui rouge chaperon portez ? » Et li ors fu si amatez Qu'il ne li pot respondre mot. Fuiant s'en va plus que le trot, Encor quida chaoir es mains Lanfroi et as autres vilains. |
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