qu'avant midi sonnant il arrive sur la route où le lion tient sa cour plénière. Il tombe évanoui au milieu des pavillons, de toute sa hauteur et de tout son long, et il lui manque les deux oreilles. La cour se signe dans sa grande stupeur. Le roi lui dit : « Brun, qui t'as fait ça ? Il t'a vilainement arrangé le chapeau, peu s'en faut qu'il ne te l'ait découpé. » Brun a perdu tant de sang que la parole lui manque : « Roi, fait-il, c'est Renart qui m'a ainsi maltraité comme vous pouvez voir. » Sur ce, il tombe à ses pieds. Il faut voir alors le lion hurler, s'arracher la crinière de colère, et jurer au nom du corps saint et de la mort ! « Brun, fait-il, Renart t'as tué, et je crains qu'il n'y ait d'autre grâce à en tirer, mais au nom de la mort et de toutes les plaies, je t'en ferai si grande vengeance qu'on le saura dans toute la France. Où êtes-vous Tibert le chat ? Allez voir Renart pour moi. Dites de ma part à ce sale rouquin qu'il vienne à ma cour faire réparation en présence de mes gens, et qu'il n'apporte ni or ni argent ni discours pour se défendre, mais la corde pour le pendre par la gueule. » Tibert n'ose pas lui refuser, par contre s'il avait pu s'en dispenser, le sentier l'attendrait encore. Mais, avec ou sans plaisir le prêtre doit bien aller au synode. Alors Tibert part vers la gauche à l'intérieur d'une vallée. Il éperonne tellement sa mule qu'il finit par arriver à la porte de Renart. Il invoque Dieu, et saint Léonard, qui a coutume de délivrer les prisonniers, pour qu'il le protège par ses prières des mains de Renart son compagnon, car il le considère comme trop cruel et comme une bête de mauvaise augure, qui n'a même pas foi en Dieu. Mais la chose qui va le décourager le plus, c'est quand il arrive à la porte, car entre un frêne et un sapin, il voit l'oiseau de saint Martin. Il lui crie aussi fort que possible : « À droite ! » Mais l'oiseau vient vers la gauche. Tibert s'arrête alors un long moment. Je vous ai bien dit que c'est la chose qui l'effraie et qu'il redoute le plus. Son cœur lui dit qu'il va connaître la honte, de grands ennuis et une grande humiliation. Il redoute et craint tant Renart qu'il n'ose pas entrer dans sa maison. Il expose son propos du dehors, mais n'en retirera qu'un misérable profit. « Renart, fait-il, cher seigneur et compagnon, répondez-moi, êtes-vous la dedans ? » Renart répond entre ses dents tout doucement pour que personne ne l'entende : « Tibert, pour votre malheur et pour votre mauvaise fortune, venez donc dans mes pâturages ! Il en sera ainsi, si ma ruse ne me fait pas défaut. » Puis il répond à voix haute : « Tibert, lui fait Renart, welcome ! Que vous arriviez fraîchement de Rome ou de Saint Jacques, soyez hautement bienvenu comme au jour de la Pentecôte. » Mais que lui coûtent donc ces paroles ? Il lui fait alors un beau salut, et Tibert lui répond brièvement : « Renart, ne le prenez pas mal si je viens ici de la part du roi, ne croyez pas que je vous haïsse. Le roi, par contre, ne vous aime guère et vous menace. Vous n'avez à la cour aucun voisin excepté seigneur Grimbert votre cousin qui ne vous haïsse durement. » Renart lui répond en un mot : « Tibert, laissez les donc me menacer et aiguiser leurs dents sur moi. J'irai à la cour et j'écouterai, à condition que je vive autant que puisse se faire, ceux qui voudront dire quelque chose sur moi. — Ce sera d'une grande sagesse, cher seigneur, car je vous le conseille vivement en toute amitié. Mais en vérité, j'ai si grand faim que j'en ai mal dans toute l'échine. N'avez-vous pas un coq ou une poule, ou quelque chose qu'on puisse manger ? — Vous êtes donc en si grande peine ? lui répond Renart, c'est une blague ! Même des souris bien grasses ou des rats, je crois que vous n'en goûteriez pas. — Si ! je le ferai vraiment. — Mais non ! — Oh si ! jamais je m'en lasserais. — Alors, je vais vous en donner beaucoup d'ici demain avant le soleil levant. Suivez-moi donc, je vais passer devant. » Sur ce, il sort de sa tanière, et Tibert le suit par-derrière en ne soupçonnant ni ruse ni tromperie. Renart s'en va tout droit vers une ferme où il n'y a ni coq ni poule dont il n'a pas déjà fait son repas. « Tibert, savez-vous ce que nous allons faire ? Nous allons passer entre ces deux maisons, lui dit Renart, il y ici un prêtre dont je connais très bien la demeure. Il a beaucoup de froment et d'avoine mais les souris y font de gros dommages, elles en ont mangé bien plus d'un muid. J'y étais encore il y a peu, je leur ai donc fait un assaut, j'en ai retenues dix en ma possession, et j'en ai mangées cinq aujourd'hui, car personne d'autre ne m'accompagnait. Venez ici, c'est par là qu'on y entre. Passez de l'autre côté et remplissez-vous le ventre. » Mais le vaurien lui ment car le prêtre qui demeure là n'a ni bœuf ni vache ni autre chose que je sache, à part deux poules et un coq. | 6376 6380 6384 6388 6392 6396 6400 6404 6408 6412 6416 6420 6424 6428 6432 6436 6440 6444 6448 6452 6456 6460 6464 6468 6472 6476 6480 6484 6488 6492 6496 6500 6504 | Que dedenz mie di passant Est revenuz en la chariere Ou li lion tint cort pleniere. Pasmé chaï es paveillons De si haut con il estoit lons, Et si n'aporte nule oreille. La cort s'en seigne a grant merveille. Dist li rois : « Bruns, qui t'a ce fet ? Laidement t'a ton chapel fret, Par poi qu'il nel t'a encisié. » Brun i a tant de sanc lessié Que la parole li failli : « Rois, fet il, si m'a malbailli Renart, com vos pouez veoir. » A tant li vet as piez chaoir. Qui lors veïst le lion braire, Par mautalent ses crins detraire Et jurer le cors et la mort ! « Brun, fet li rois, Renart t'a mort, Ne cuit q'autre merci en aies ; Mes par la mort et par les plaies, Je t'en feré si grant venjance Qu'en le savra par toute France. Ou estes vos, Tyberz li chaz ? Alez moi por Renart viaz ; Dites moi le rous deputaire Qu'i me viengne en ma cort droit faire, Si n'i aport or ne argent En la presence de la gent, Ne parole por soi desfendre, Mes la hart a sa gole pendre. » Tybert ne l'osa refuser, Que s'il s'en pouist escuser, Encor fust sanz li li sentiers. Mes a enviz ou volentiers, Covient au sane aler le prestre, Et Tybert se mist a senestre Par mi le fons d'une valee. Tant a sa mule esperonnee Qu'il est venuz a l'uis Renart. Dieu reclainme et saint Lienart, Qui deslïer suet les prisons, Qu'il le gart par ses oroisons Des mains Renart son compaingnon, Qar il le set tant a gainon Et a beste de put conroi : Neïs a Dieu ne porte il foi. La riens qui plus le desconforte, Ce fu quant il vint a la porte, Mes entre .I. fresne et .I. sapin, A veü l'oisel saint Martin. Assez si le hucha : « A destre ! » Et li oisiax vint a senestre. Tybert se tint une grant pose ; Or vos di que ce fu la chose Qui plus l'esmoie et plus le donte. Ses cuers li dist qu'il avra honte Et grant anui et grant vergone ; Tant doute Renart et resoingne Qu'il n'ose entrer en sa meson. Par defors conte sa raison, Mes mauvés en ert ses gaainz. « Renart, fet il, sire compains, Respon moi, es tu la dedens ? » Renart respont entre ses dens Tot coiement que nus ne l'oie : « Tybert, par vostre male joie Et par vostre pute aventure Soiez venuz en ma pasture ! Si serez vos, s'engin ne faut. » Et puis li respondi en haut : « Tybert, fet li Renart, veilconme ! Se tu venoies or de Ronme Ou de Saint Jaque freschement, Bien soiez venu hautement Conme au jor de Pentecoste. » Qar sa parole, qu'il li coute ? Si le salue belement. Et Tybert li respont briément : « Renart, nel tenez a desroi ; Se je vieng ci de par le roi, Ne cuidiez pas que je vos hace. Li rois vos het et vos menace ; Vos n'avez a la cort voisin Fors dant Grimbert vostre cosin Qui ne vos hace durement. » Et Renart li respont briément : « Tybert, lessiez le menacier Et lor denz sor moi aguisier. G'irai a cort et si orrai, — Je vivrai tant con je porrai — Qui sor moi vodra noient dire. — Ce sera grant savoir, biau sire, Si le vos lo, que je vos aim. Mes certes je ai si grant fain Que toute en ai torte l'eschine. Avez vos ne coc ne geline Ne chose qu'en puisse mengier ? — Trop menez ore grant dangier, Ce respondi Renart : baraz ! De souriz crasses et de raz, Je cuit que n'en gouterïez. — Si feré voir. — Non ferïez. — Oïl, ja n'en seré lassez. — Et je vos en donré assez Demain ainz le soleil levant. Or me sivez, g'irai avant. » A tant s'en ist de sa tesniere Et Tybert le sieut par derriere, Qui n'i entent barat ne guile. Traiant s'en va vers une vile Ou il n'avoit coc ne geline Dont Renart n'ait fet sa cuisine. « Tybert, savez que nos ferons ? Entre .II. mesons enterrons, Ce dist Renart, ci a .I. prestre De qoi je connois mout bien l'estre. Assez a froment et avainne, Mes les soriz en font grant painne ; Mengié en ont bien plus d'un mui. Encor n'a gueres que g'i fui, Adonc lor fis une envaïe : .X. en reting en ma baillie, Les .V. en ai mengies hui, Que n'i acompaingnai nului. Vez ici par ou en i entre. Passe outre, s'aloingne ton ventre. » Mes li lechierres li mentoit, Qar li prestre qui la manoit, Il n'i avoit ne buef ne vache Ne autre chose que je sache, Fors .II. gelines et .I. coc. |
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