vendredi 2 décembre 2011

Le jugement de Renart - Tibert messager du roi




Il a tellement éperonné,
T


ant a alé esperonnant
qu'avant midi sonnant
il arrive sur la route
où le lion tient sa cour plénière.
Il tombe évanoui au milieu des pavillons,
de toute sa hauteur et de tout son long,
et il lui manque les deux oreilles.
La cour se signe dans sa grande stupeur.
Le roi lui dit : « Brun, qui t'as fait ça ?
Il t'a vilainement arrangé le chapeau,
peu s'en faut qu'il ne te l'ait découpé. »
Brun a perdu tant de sang
que la parole lui manque :
« Roi, fait-il, c'est Renart qui m'a ainsi maltraité
comme vous pouvez voir. »
Sur ce, il tombe à ses pieds.
Il faut voir alors le lion hurler,
s'arracher la crinière de colère,
et jurer au nom du corps saint et de la mort !
« Brun, fait-il, Renart t'as tué,
et je crains qu'il n'y ait d'autre grâce à en tirer,
mais au nom de la mort et de toutes les plaies,
je t'en ferai si grande vengeance
qu'on le saura dans toute la France.
Où êtes-vous Tibert le chat ?
Allez voir Renart pour moi.
Dites de ma part à ce sale rouquin
qu'il vienne à ma cour faire réparation
en présence de mes gens,
et qu'il n'apporte ni or ni argent
ni discours pour se défendre,
mais la corde pour le pendre par la gueule. »
Tibert n'ose pas lui refuser,
par contre s'il avait pu s'en dispenser,
le sentier l'attendrait encore.
Mais, avec ou sans plaisir
le prêtre doit bien aller au synode.
Alors Tibert part vers la gauche
à l'intérieur d'une vallée.
Il éperonne tellement sa mule
qu'il finit par arriver à la porte de Renart.
Il invoque Dieu, et saint Léonard,
qui a coutume de délivrer les prisonniers,
pour qu'il le protège par ses prières
des mains de Renart son compagnon,
car il le considère comme trop cruel
et comme une bête de mauvaise augure,
qui n'a même pas foi en Dieu.
Mais la chose qui va le décourager le plus,
c'est quand il arrive à la porte,
car entre un frêne et un sapin,
il voit l'oiseau de saint Martin.
Il lui crie aussi fort que possible : « À droite ! »
Mais l'oiseau vient vers la gauche.
Tibert s'arrête alors un long moment.
Je vous ai bien dit que c'est la chose
qui l'effraie et qu'il redoute le plus.
Son cœur lui dit qu'il va connaître la honte,
de grands ennuis et une grande humiliation.
Il redoute et craint tant Renart
qu'il n'ose pas entrer dans sa maison.
Il expose son propos du dehors,
mais n'en retirera qu'un misérable profit.
« Renart, fait-il, cher seigneur et compagnon,
répondez-moi, êtes-vous la dedans ? »
Renart répond entre ses dents
tout doucement pour que personne ne l'entende :
« Tibert, pour votre malheur
et pour votre mauvaise fortune,
venez donc dans mes pâturages !
Il en sera ainsi, si ma ruse ne me fait pas défaut. »
Puis il répond à voix haute :
« Tibert, lui fait Renart, welcome !
Que vous arriviez fraîchement de Rome
ou de Saint Jacques,
soyez hautement bienvenu
comme au jour de la Pentecôte. »
Mais que lui coûtent donc ces paroles ?
Il lui fait alors un beau salut,
et Tibert lui répond brièvement :
« Renart, ne le prenez pas mal
si je viens ici de la part du roi,
ne croyez pas que je vous haïsse.
Le roi, par contre, ne vous aime guère et vous menace.
Vous n'avez à la cour aucun voisin
excepté seigneur Grimbert votre cousin
qui ne vous haïsse durement. »
Renart lui répond en un mot :
« Tibert, laissez les donc me menacer
et aiguiser leurs dents sur moi.
J'irai à la cour et j'écouterai,
à condition que je vive autant que puisse se faire,
ceux qui voudront dire quelque chose sur moi.
— Ce sera d'une grande sagesse, cher seigneur,
car je vous le conseille vivement en toute amitié.
Mais en vérité, j'ai si grand faim
que j'en ai mal dans toute l'échine.
N'avez-vous pas un coq ou une poule,
ou quelque chose qu'on puisse manger ?
— Vous êtes donc en si grande peine ?
lui répond Renart, c'est une blague !
Même des souris bien grasses ou des rats,
je crois que vous n'en goûteriez pas.
— Si ! je le ferai vraiment. — Mais non !
— Oh si ! jamais je m'en lasserais.
— Alors, je vais vous en donner beaucoup
d'ici demain avant le soleil levant.
Suivez-moi donc, je vais passer devant. »
Sur ce, il sort de sa tanière,
et Tibert le suit par-derrière
en ne soupçonnant ni ruse ni tromperie.
Renart s'en va tout droit vers une ferme
où il n'y a ni coq ni poule
dont il n'a pas déjà fait son repas.
« Tibert, savez-vous ce que nous allons faire ?
Nous allons passer entre ces deux maisons,
lui dit Renart, il y ici un prêtre
dont je connais très bien la demeure.
Il a beaucoup de froment et d'avoine
mais les souris y font de gros dommages,
elles en ont mangé bien plus d'un muid.
J'y étais encore il y a peu,
je leur ai donc fait un assaut,
j'en ai retenues dix en ma possession,
et j'en ai mangées cinq aujourd'hui,
car personne d'autre ne m'accompagnait.
Venez ici, c'est par là qu'on y entre.
Passez de l'autre côté et remplissez-vous le ventre. »
Mais le vaurien lui ment
car le prêtre qui demeure là
n'a ni bœuf ni vache
ni autre chose que je sache,
à part deux poules et un coq.


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Que dedenz mie di passant
Est revenuz en la chariere
Ou li lion tint cort pleniere.
Pasmé chaï es paveillons
De si haut con il estoit lons,
Et si n'aporte nule oreille.
La cort s'en seigne a grant merveille.
Dist li rois : « Bruns, qui t'a ce fet ?
Laidement t'a ton chapel fret,
Par poi qu'il nel t'a encisié. »
Brun i a tant de sanc lessié
Que la parole li failli :
« Rois, fet il, si m'a malbailli
Renart, com vos pouez veoir. »
A tant li vet as piez chaoir.
Qui lors veïst le lion braire,
Par mautalent ses crins detraire
Et jurer le cors et la mort !
« Brun, fet li rois, Renart t'a mort,
Ne cuit q'autre merci en aies ;
Mes par la mort et par les plaies,
Je t'en feré si grant venjance
Qu'en le savra par toute France.
Ou estes vos, Tyberz li chaz ?
Alez moi por Renart viaz ;
Dites moi le rous deputaire
Qu'i me viengne en ma cort droit faire,
Si n'i aport or ne argent
En la presence de la gent,
Ne parole por soi desfendre,
Mes la hart a sa gole pendre. »
Tybert ne l'osa refuser,
Que s'il s'en pouist escuser,
Encor fust sanz li li sentiers.
Mes a enviz ou volentiers,
Covient au sane aler le prestre,
Et Tybert se mist a senestre
Par mi le fons d'une valee.
Tant a sa mule esperonnee
Qu'il est venuz a l'uis Renart.
Dieu reclainme et saint Lienart,
Qui deslïer suet les prisons,
Qu'il le gart par ses oroisons
Des mains Renart son compaingnon,
Qar il le set tant a gainon
Et a beste de put conroi :
Neïs a Dieu ne porte il foi.
La riens qui plus le desconforte,
Ce fu quant il vint a la porte,
Mes entre .I. fresne et .I. sapin,
A veü l'oisel saint Martin.
Assez si le hucha : « A destre ! »
Et li oisiax vint a senestre.
Tybert se tint une grant pose ;
Or vos di que ce fu la chose
Qui plus l'esmoie et plus le donte.
Ses cuers li dist qu'il avra honte
Et grant anui et grant vergone ;
Tant doute Renart et resoingne
Qu'il n'ose entrer en sa meson.
Par defors conte sa raison,
Mes mauvés en ert ses gaainz.
« Renart, fet il, sire compains,
Respon moi, es tu la dedens ? »
Renart respont entre ses dens
Tot coiement que nus ne l'oie :
« Tybert, par vostre male joie
Et par vostre pute aventure
Soiez venuz en ma pasture !
Si serez vos, s'engin ne faut. »
Et puis li respondi en haut :
« Tybert, fet li Renart, veilconme !
Se tu venoies or de Ronme
Ou de Saint Jaque freschement,
Bien soiez venu hautement
Conme au jor de Pentecoste. »
Qar sa parole, qu'il li coute ?
Si le salue belement.
Et Tybert li respont briément :
« Renart, nel tenez a desroi ;
Se je vieng ci de par le roi,
Ne cuidiez pas que je vos hace.
Li rois vos het et vos menace ;
Vos n'avez a la cort voisin
Fors dant Grimbert vostre cosin
Qui ne vos hace durement. »
Et Renart li respont briément :
« Tybert, lessiez le menacier
Et lor denz sor moi aguisier.
G'irai a cort et si orrai,
— Je vivrai tant con je porrai —
Qui sor moi vodra noient dire.
— Ce sera grant savoir, biau sire,
Si le vos lo, que je vos aim.
Mes certes je ai si grant fain
Que toute en ai torte l'eschine.
Avez vos ne coc ne geline
Ne chose qu'en puisse mengier ?
— Trop menez ore grant dangier,
Ce respondi Renart : baraz !
De souriz crasses et de raz,
Je cuit que n'en gouterïez.
— Si feré voir. — Non ferïez.
— Oïl, ja n'en seré lassez.
— Et je vos en donré assez
Demain ainz le soleil levant.
Or me sivez, g'irai avant. »
A tant s'en ist de sa tesniere
Et Tybert le sieut par derriere,
Qui n'i entent barat ne guile.
Traiant s'en va vers une vile
Ou il n'avoit coc ne geline
Dont Renart n'ait fet sa cuisine.
« Tybert, savez que nos ferons ?
Entre .II. mesons enterrons,
Ce dist Renart, ci a .I. prestre
De qoi je connois mout bien l'estre.
Assez a froment et avainne,
Mes les soriz en font grant painne ;
Mengié en ont bien plus d'un mui.
Encor n'a gueres que g'i fui,
Adonc lor fis une envaïe :
.X. en reting en ma baillie,
Les .V. en ai mengies hui,
Que n'i acompaingnai nului.
Vez ici par ou en i entre.
Passe outre, s'aloingne ton ventre. »
Mes li lechierres li mentoit,
Qar li prestre qui la manoit,
Il n'i avoit ne buef ne vache
Ne autre chose que je sache,
Fors .II. gelines et .I. coc.
Comment Renart trompa Brun l'ours avec le miel Si conme Renart conchia Brun li ours du miel (10)
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