lundi 23 février 2009

Prologue - Le livre




Messieurs, vous avez entendu maintes histoires
S


eigneurs, oï avez maint conte
que de nombreux conteurs vous ont rapportées :
comment Pâris ravit Hélène,
les maux et la peine qu'il en eut,
l'histoire de Tristan écrite par la Chèvre
qui est fort bellement racontée,
des fables et des chansons de geste,
des romans sur lui et sa lignée,
et beaucoup d'autres encore à travers le pays.
Mais vous n'avez jamais eu vent de cette guerre
qui fut dure au plus haut point
entre Renart et Ysengrin,
qui dura pourtant si longtemps et fut si acharnée.
Ces deux seigneurs, c'est la pure vérité,
ne s'aimèrent jamais.
Il y eut maintes échauffourées et maintes batailles
entre eux, c'est sûr.
Je vais donc commencer l'histoire
de leur tapage et de leur dispute.
Vous allez maintenant en entendre le début,
le pourquoi, et par quelle embrouille
il n'y a jamais eu que défiance entre eux deux.
Écoutez donc, si cela ne vous ennuie pas.
Je vais vous raconter pour le plaisir,
comment ils sont apparus,
et ainsi que je l'ai appris en le lisant,
qui furent Renart et Ysengrin.
J'ai trouvé jadis dans un reliquaire
un livre, qui avait pour nom Aucupre.
Je découvrais là de nombreux récits
sur Renart, et d'autres choses
dont on doit bien parler, alors j'ose.
À côté d'une grande lettre vermillon
j'ai trouvé maintes merveilles.
Si je ne les avais pas lues dans ce livre,
j'aurais tenu pour ivre
celui qui aurait raconté une telle aventure,
mais on doit bien croire les écritures.
C'est à bon droit qu'il meurt de honte,
celui qui n'aime pas les livres, ni ne croit.


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Que maint conteres vos aconte,
Conment Paris ravi Helayne,
Les maux qu'il en ot et la paine,
De Tristram qui La Chievre fist,
Qui assez belement en dist
Et fables et chançons de geste,
Romanz de lui et de sa geste,
Maint autre conte par la terre.
Mes onques n'oïstes la guerre,
Qui mout fu dure de grant fin,
Entre Renart et Ysengrin,
Qui mout dura et mout fu dure.
Des .II. barons, ce est la pure,
Onques ne s'entramerent jor.
Mainte mellee et maint estor
Ot entr'eus .II., ce est la voire.
Des or conmenceré l'estoire
Et de la noise et del content.
Or orrez le conmencement
Par qoi et par quel mesetance
Fu entre eus .II. la desfiance.
Or oez, si ne vos anuit.
Je vos conteré par deduit
Conment il vindrent en avant,
Si con je l'ai trouvé lisant,
Qui fu Renart et Ysengrin.
Je trovai ja en .I. escrin
.I. livre : Aucupre avoit non.
La trovai je mainte reson
Et de Renart et d'autre chose
Dont l'en doit bien parler et ose.
A une grant letre vremeille,
La trovai je mainte merveille.
Se je ne la trovasse el livre,
Je tenisse celui por yvre
Qui dite eüst tele aventure,
Mes l'en doit croire l'escripture.
A desenor muert a bon droit
Qui n'ainme livre ne ne croit.
Les exploits de jeunesse de Renart Les enfances Renart (1)
Notes de traduction (afficher)

23 commentaires:

  1. 1. De grant fin peut se comprendre comme "du plus haut degré '"in hohem grade" dans le Tobler Lommatzsche; je traduirais par "dure et impitoyable", mais votre acharnée est recevable.
    2. Je crois qu'il suffit de modifier la ponctuation et que le texte se comprend bien ainsi: "Ecoutez à présent le récit du commencement, pourquoi et pour quelle embrouille s'installa entre eux la défiance..."
    3. et j'ose... Il s'agirait a priori d'un présent de l'indicatif, tout bête. le dmf atteste des emplois absolus du verbe oser.
    4. je propose: "c'est à bon droit qu'il meurt dans la honte, celui qui n'aime pas les livres ni ne les croit"
    [commentaire déposé le 15 avril 2009]

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  2. Merci pour votre commentaire. Toutes vos remarques ont été prises en compte.
    [commentaire déposé le 16 avril 2009]

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  3. Bel effort, mais attention de ne pas aller trop loin, quel est l'intérêt de traduire "ravi" par "enleva" alors que le verbe "ravir" existe toujours?

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  4. "très joliment racontée" ... c'est la chèvre qui le dit "bêlement/bellement", c'est un jeu de mot, c'est drôle, il faut garder l'humour du texte original!

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  5. Merci pour les deux commentaires précédents, tous deux pertinents.
    - "enleva" est remplacé par "ravit"
    - "très joliment" est remplacé par "fort bellement" pour conserver le jeu de mots.

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  6. Merci pour la prise en compte de mes remarques, mais on peut généraliser pour le reste du texte : "souffrances/maux", "entendu/ouï", "allez entendre/ouïrez" ...
    Si en plus on pouvait respecter la rime ... "les souffrances et la peine qu'il en eut / les maux qu'il en eut et la peine", on garde la rime avec "Héléne".
    Mais comme on dit fort justement, la critique est facile alors que l'art est difficile. J'ai peur d'être plus critique qu'artiste. Bravo pour ce site et bonne chance pour 2021.

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  7. Merci pour vos commentaires et encouragements.
    - "souffrances" est remplacé par "maux"
    - "entendu" et "entendre" sont conservés car "ouïr" est un terme vieilli.
    Le texte est traduit en français moderne, avec le souci de rester fidèle au texte original, tout en restant facile et plaisant à lire. Le respect de la rime est une contrainte trop forte.

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  8. Qui sont les personnages qui vont chercher renart pour l'emmener a la cour du roi Noble? Et dans quel ordre s'il vous plait? Merci d'avance...

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  9. Grimbert va porter la convocation de comparaître à Renart dans l'épisode À la cour du roi Noble : le roi écoute Brichemer.
    Renart part au procès avec : Fouinet la fouine, Tibert le chat, Grimbert le blaireau, Rousselet l'écureuil, Gente la marmotte, Courte la taupe, Pelé le rat, Galopin le lièvre, la loutre, la martre, le castor, le hérisson, la belette, la fourmi, et le lapin dans l'épisode À la cour du roi Noble : les préparatifs du procès.

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  10. je ne comprends donc pas comment ils sont nés .
    ps je suis en 5ème

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  11. Ève frappe dans la mer avec une verge (un bâton) et Ysengrin naît en sortant de la mer, dans l'épisode Prologue : la naissance d'Ysengrin.
    Ève frappe d'autres fois avec une verge dans la mer. D'autres animaux apparaissent dont Renart, dans l'épisode Prologue : la naissance de Renart.

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  12. Quel nom donnait-on à un épisode du roman de renard ?

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  13. Les manuscrits du roman de Renart sont constitués de branches. Une branche contient une ou plusieurs histoires. La classification de E. Martin fait référence. Source wikipedia.

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  14. Au vers 28, escrin peut signifier reliquaire ou bibliothèque/archives (dictionnaire Godefroy). Le second sens semble plus probable, le mot escrin étant choisi pour la rime.
    Félicitations pour votre travail admirable.

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  15. Le mot escrin peut effectivement signifier « bibliothèque » ou « archives », tout comme le mot latin scrinium d'où il provient. L'idée de « coffret » ou « cassette » où l'on met des livres par exemple, est toutefois prédominante. Le mot « escrin » n'a probablement pas été choisi que pour la rime. Le mot « reliquaire » place l'histoire de Renart au rang d'écriture sacrée. Et Dieu sait toutes les références qui sont faites à la religion dans ce texte !
    Merci pour votre interprétation tout à fait intéressante et vos encouragements.

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  16. Bonjour,
    Merci beaucoup de permettre à tous de s'initier à l'ancien français et de découvrir ces textes comme ils ont été écrits !
    Avez-vous une version imprimable des ces textes avec votre traduction en miroir ?

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    1. Il n'y a pas de version imprimable particulière. Pour imprimer le texte seulement, il suffit de sélectionner le texte avec la souris, puis, par exemple sous Windows, de cliquer droit, et de sélectionner « Imprimer » etc.

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  17. Bonjour,
    Tout d'abord, merci pour ce travail de qualité !
    Je tiens à signaler ce qui me semble être une coquille : "il y n'a jamais eu entre eux deux que de la défiance" (pour il n'y a).

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  18. Bravo pour ce travail exceptionnel. Merci infiniment de nous rendre ce texte dans sa version "originale".

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  19. Merci pour ce merveilleux travail. Je voudrais demander sur quel manuscrit ce texte est basé. Je travaille sur un projet et je suis très intéressé à lire ce texte du manuscrit original à l'aide de ce site Web. Merci beaucoup, meilleures salutations d'Espagne.

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    1. Merci pour les compliments. Comme précisé en haut à droite dans "Plus d'info", le texte est tiré de l'édition du Roman de Renart, édité d'après les manuscrits C et M par N. Fukumoto, N. Harano, et S. Suzuki, Tomes I et II, France Tosho, Tokyo 1983 et 1985.

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