et se met en chemin, car la faim l'étreint durement, d'ailleurs il n'arrête pas de s'en plaindre. Tandis qu'il se lamente sur son sort, voici qu'arrive une mésange sur la branche d'un chêne creux, où elle avait caché ses œufs. Renart la voit, et la salue : « Ma commère, soyez la bienvenue ! Descendez donc m'embrasser. — Renart, fait-elle, taisez-vous. Vous seriez sûrement mon compère, si vous n'étiez pas tant un escroc, car vous avez joué tant de tours à tant d'oiseaux et tant de biches, qu'on ne sait plus à quoi s'en tenir avec vous. Où croyez-vous donc que cela vous mènera ? Le diable vous a tellement corrompu, qu'on ne peut plus vous faire confiance. — Dame, lui répond le goupil, aussi vrai que votre fils est mon filleul par le baptême, jamais il me semble avoir eu l'intention de faire quoi que ce soit qui ait pu vous déplaire. Et savez-vous pourquoi je ne puis le faire ? Je me dois de vous le dire : messire Noble le lion a décrété que partout la paix devra durer, s'il plaît à Dieu. Il l'a fait jurer sur toutes ses terres, et a fait promettre ses vassaux qu'elle soit respectée et maintenue. Les petites gents s'en réjouissent grandement, car dans les contrées où ils iront, partout, les guerres meurtrières disparaîtront, et les bêtes, grandes et petites, en seront bien débarrassées, Dieu merci. » La mésange lui répond sur-le-champ : « Renart, vous êtes là en train de m'amuser, mais si cela vous plaît tant, embrassez en un autre, car moi je ne vous embrasserai pas aujourd'hui. » Renart se rend compte que sa commère ne fera rien pour son compère : « Dame, fait-il, écoutez-moi donc, puisque vous me redoutez, je vous embrasserai les yeux fermés. — Ma foi, d'accord, dit-elle, alors fermez-les. » Il les ferme aussitôt, et la mésange prend de la mousse et des feuilles à pleines mains, comme elle n'a aucune envie de l'embrasser, et se met à lui frotter les moustaches avec. Quand Renart croit pouvoir la saisir, il ne trouve que de la mousse qui lui est restée sur la moustache. La mésange s'écrit : « Eh ! Renart, quel genre de paix est-ce donc ? Vous auriez eu vite fait de l'enfreindre, si je ne m'étais pas reculée. Vous disiez que la paix était assurée et proclamée, et que votre roi l'avait jurée. » Renart se met à rire et émet un glapissement : « En vérité je plaisantais, dit-il, je l'ai juste fait pour vous faire peur. Ne vous inquiétez pas ! Refaisons le donc, je les fermerai encore une fois. — D'accord, mais c'est la dernière, répond-elle. » Il ferme les yeux, lui qui sait tant de ruses, et elle arrive près de sa gueule mais sans se poser dessus. Il donne un coup de dents, pensant l'attraper, mais la manque. « Renart, fait-elle, à quoi bon insister ? On ne peut vraiment pas se fier à vous. Comme pourrais-je vous croire ? Que les feux de l'enfer me brûlent si jamais je le fais. » Renart lui dit : « Vous êtes trop peureuse. Je l'ai juste fait pour vous effrayer, car je voulais vous tester. Mais je n'ai certainement pas l'intention de vous trahir ou de vous faire des méchancetés. Revenez donc encore une fois, la troisième sera la bonne. Au nom de la sainte Charité, de la bienveillance et de l'humilité, chère commère, allez ! Par la foi que vous me devez ainsi qu'à mon filleul que j'entends chanter sous ce tilleul, faisons donc la paix. Croyez-vous donc que je vais vous mordre ? » Mais elle fait la sourde oreille, car elle n'est ni folle ni idiote, et reste assise sur la branche du chêne. | 11180 11184 11188 11192 11196 11200 11204 11208 11212 11216 11220 11224 11228 11232 11236 11240 11244 11248 11252 11256 11260 11264 11268 11272 | Si s'estoit mis en son chemin ; Quar la fain durement l'estraint, Si se demente et se conplaint. Que qu'il se plaint de sa losenge, A tant es vos une mesenge Sor la branche d'un chesne crues Ou ele avoit repost ses oes. Renart la voit, si la salue : « Conmere, bien soiez venue ! Qar descendez, si me besiez. — Renart, fet ele, or vos taisiez. Voirement estes mes comperes, Se vos ne par fussiez si lerres ; Qar vos avez fait mainte guiche A maint oisel, a mainte biche, C'on ne se set a coi tenir. Et que cuidiez vos devenir ? Maufé vos ont si deserté Qu'en ne vos puet prandre a verté. — Dame, ce respont le gorpil, Si voirement con vostre fil Est mes filleus en droit baptesme, Onques semblant ne fis ne esme De rien qui vos deüst desplere. Savez por qoi je nel doi fere ? Droiz est que nos le vos dison : Misire Noble le lion Si a par tout la pes juree, Qui avra, se Dieu plet, duree ; Par sa terre l'a fet jurer Et a ses honmes afïer Qu'ele ert gardee et maintenue. Grant joie en ont la gent menue ; Par tout iront en plusors terres, Que par tout charront mortiex gueres, Et les bestes granz et petites, La merci Dieu, seront bien quites. » La mesenge respont errant : « Renart, or m'alez vos gabant. Mes s'il vos plet, besiez autrui, Que moi ne beseroiz vos hui. » Quant Renart ot que sa conmere Ne fera riens por son compere : « Dame, fet il, or m'escoutez. Por ce que vos me redoutez, Les eulz cliniez vos beserai. — Par foi, fet ele, je l'otroi ; Cliniez donques. » Il a clinié, Et la mesenge a empoingnié Plain son poing de mouse et de foille. N'a talent que besier le voille ; Les grenons li conmence a terdre. Et quant Renart la cuide aerdre, N'a trové se la mouse non Qui li fu remese el grenon. La mesenge li escria : « Haï ! Renart, quel pes ci a ? Tost eüssiez la pes enfrete, Se ne me fusse arriere trete. Vos disïez que afïee Estoit la pes et bien juree ; Et juree l'avoit vo sire. » Renart li commença a rire Si li a geté .I. abai : « Certes, fet il, je me gabai ; Ce fis ge por vos peor fere. Vos qui chaut ? Or soit a refere ; Je reclinneré autre foiz. — Or dont, fet ele, c'est tot droiz. » Cil clinne, qui mout sot de bole ; Cele li vint pres de la goule Renart, mes ne vint pas dedenz. Et Renart a jeté les denz : Prendre la cuide, mes il faut. « Renart, fait ele, ce que vaut ? Ce n'ert que l'en croire vos doie. En quel maniere vos croiroie ? Se mes vos croi, le mau feu m'arde ! » Ce dist Renart : « Trop es coharde. Ce fis ge por toi esmaier ; Qar je te vouloie essaier, Qar certes je n'i entent mie Ne traïson ne felonnie. Mes or revenez autre foiz : Tierce foiee, c'est li droiz. Par non de sainte Charité, Par bien et par humilité, Bele conmere, sus levez ! Par cele foiz que me devez Et que devez a mon filluel Que j'oi chanter soz cel tiluel, Si refassomes ceste acorde. Cuidiez vos donc que je vos morde ? » Mes cele fet oreille sorde, Qui n'est mie fole ne lorde, Ainz siet sor la branche d'un chesne. |