lundi 9 décembre 2013

Renart et la mésange - Le baiser de la paix




Renart se lève de bon matin,
R


enart se leva par matin,
et se met en chemin,
car la faim l'étreint durement,
d'ailleurs il n'arrête pas de s'en plaindre.
Tandis qu'il se lamente sur son sort,
voici qu'arrive une mésange
sur la branche d'un chêne creux,
où elle avait caché ses œufs.
Renart la voit, et la salue :
« Ma commère, soyez la bienvenue !
Descendez donc m'embrasser.
— Renart, fait-elle, taisez-vous.
Vous seriez sûrement mon compère,
si vous n'étiez pas tant un escroc,
car vous avez joué tant de tours
à tant d'oiseaux et tant de biches,
qu'on ne sait plus à quoi s'en tenir avec vous.
Où croyez-vous donc que cela vous mènera ?
Le diable vous a tellement corrompu,
qu'on ne peut plus vous faire confiance.
— Dame, lui répond le goupil,
aussi vrai que votre fils
est mon filleul par le baptême,
jamais il me semble avoir eu l'intention de faire
quoi que ce soit qui ait pu vous déplaire.
Et savez-vous pourquoi je ne puis le faire ?
Je me dois de vous le dire :
messire Noble le lion
a décrété que partout la paix
devra durer, s'il plaît à Dieu.
Il l'a fait jurer sur toutes ses terres,
et a fait promettre ses vassaux
qu'elle soit respectée et maintenue.
Les petites gents s'en réjouissent grandement,
car dans les contrées où ils iront, partout,
les guerres meurtrières disparaîtront,
et les bêtes, grandes et petites,
en seront bien débarrassées, Dieu merci. »
La mésange lui répond sur-le-champ :
« Renart, vous êtes là en train de m'amuser,
mais si cela vous plaît tant, embrassez en un autre,
car moi je ne vous embrasserai pas aujourd'hui. »
Renart se rend compte que sa commère
ne fera rien pour son compère :
« Dame, fait-il, écoutez-moi donc,
puisque vous me redoutez,
je vous embrasserai les yeux fermés.
— Ma foi, d'accord, dit-elle,
alors fermez-les. » Il les ferme aussitôt,
et la mésange prend
de la mousse et des feuilles à pleines mains,
comme elle n'a aucune envie de l'embrasser,
et se met à lui frotter les moustaches avec.
Quand Renart croit pouvoir la saisir,
il ne trouve que de la mousse
qui lui est restée sur la moustache.
La mésange s'écrit :
« Eh ! Renart, quel genre de paix est-ce donc ?
Vous auriez eu vite fait de l'enfreindre,
si je ne m'étais pas reculée.
Vous disiez que la paix était
assurée et proclamée,
et que votre roi l'avait jurée. »
Renart se met à rire
et émet un glapissement :
« En vérité je plaisantais, dit-il,
je l'ai juste fait pour vous faire peur.
Ne vous inquiétez pas ! Refaisons le donc,
je les fermerai encore une fois.
— D'accord, mais c'est la dernière, répond-elle. »
Il ferme les yeux, lui qui sait tant de ruses,
et elle arrive près de sa gueule
mais sans se poser dessus.
Il donne un coup de dents,
pensant l'attraper, mais la manque.
« Renart, fait-elle, à quoi bon insister ?
On ne peut vraiment pas se fier à vous.
Comme pourrais-je vous croire ?
Que les feux de l'enfer me brûlent si jamais je le fais. »
Renart lui dit : « Vous êtes trop peureuse.
Je l'ai juste fait pour vous effrayer,
car je voulais vous tester.
Mais je n'ai certainement pas l'intention
de vous trahir ou de vous faire des méchancetés.
Revenez donc encore une fois,
la troisième sera la bonne.
Au nom de la sainte Charité,
de la bienveillance et de l'humilité,
chère commère, allez !
Par la foi que vous me devez
ainsi qu'à mon filleul
que j'entends chanter sous ce tilleul,
faisons donc la paix.
Croyez-vous donc que je vais vous mordre ? »
Mais elle fait la sourde oreille,
car elle n'est ni folle ni idiote,
et reste assise sur la branche du chêne.
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Si s'estoit mis en son chemin ;
Quar la fain durement l'estraint,
Si se demente et se conplaint.
Que qu'il se plaint de sa losenge,
A tant es vos une mesenge
Sor la branche d'un chesne crues
Ou ele avoit repost ses oes.
Renart la voit, si la salue :
« Conmere, bien soiez venue !
Qar descendez, si me besiez.
— Renart, fet ele, or vos taisiez.
Voirement estes mes comperes,
Se vos ne par fussiez si lerres ;
Qar vos avez fait mainte guiche
A maint oisel, a mainte biche,
C'on ne se set a coi tenir.
Et que cuidiez vos devenir ?
Maufé vos ont si deserté
Qu'en ne vos puet prandre a verté.
— Dame, ce respont le gorpil,
Si voirement con vostre fil
Est mes filleus en droit baptesme,
Onques semblant ne fis ne esme
De rien qui vos deüst desplere.
Savez por qoi je nel doi fere ?
Droiz est que nos le vos dison :
Misire Noble le lion
Si a par tout la pes juree,
Qui avra, se Dieu plet, duree ;
Par sa terre l'a fet jurer
Et a ses honmes afïer
Qu'ele ert gardee et maintenue.
Grant joie en ont la gent menue ;
Par tout iront en plusors terres,
Que par tout charront mortiex gueres,
Et les bestes granz et petites,
La merci Dieu, seront bien quites. »
La mesenge respont errant :
« Renart, or m'alez vos gabant.
Mes s'il vos plet, besiez autrui,
 Que moi ne beseroiz vos hui. »
Quant Renart ot que sa conmere
Ne fera riens por son compere :
« Dame, fet il, or m'escoutez.
Por ce que vos me redoutez,
Les eulz cliniez vos beserai.
— Par foi, fet ele, je l'otroi ;
Cliniez donques. » Il a clinié,
Et la mesenge a empoingnié
Plain son poing de mouse et de foille.
N'a talent que besier le voille ;
Les grenons li conmence a terdre.
Et quant Renart la cuide aerdre,
N'a trové se la mouse non
Qui li fu remese el grenon.
La mesenge li escria :
« Haï ! Renart, quel pes ci a ?
Tost eüssiez la pes enfrete,
Se ne me fusse arriere trete.
Vos disïez que afïee
Estoit la pes et bien juree ;
Et juree l'avoit vo sire. »
Renart li commença a rire
Si li a geté .I. abai :
« Certes, fet il, je me gabai ;
Ce fis ge por vos peor fere.
Vos qui chaut ? Or soit a refere ;
Je reclinneré autre foiz.
— Or dont, fet ele, c'est tot droiz. »
Cil clinne, qui mout sot de bole ;
Cele li vint pres de la goule
Renart, mes ne vint pas dedenz.
Et Renart a jeté les denz :
Prendre la cuide, mes il faut.
« Renart, fait ele, ce que vaut ?
Ce n'ert que l'en croire vos doie.
En quel maniere vos croiroie ?
Se mes vos croi, le mau feu m'arde ! »
Ce dist Renart : « Trop es coharde.
Ce fis ge por toi esmaier ;
Qar je te vouloie essaier,
Qar certes je n'i entent mie
Ne traïson ne felonnie.
Mes or revenez autre foiz :
Tierce foiee, c'est li droiz.
Par non de sainte Charité,
Par bien et par humilité,
Bele conmere, sus levez !
Par cele foiz que me devez
Et que devez a mon filluel
Que j'oi chanter soz cel tiluel,
Si refassomes ceste acorde.
Cuidiez vos donc que je vos morde ? »
Mes cele fet oreille sorde,
Qui n'est mie fole ne lorde,
Ainz siet sor la branche d'un chesne.
La dispute de la mésange et de Renart C'est le desputement de la mesange et de Renart (21)
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dimanche 1 décembre 2013

Ysengrin et la jument - La ruade




— Seigneur Ysengrin, si je pouvais,
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ire Ysengrin, se je peüsse,
votre compagnie me serait chère,
mais je ne peux ni marcher ni courir,
alors je préfère rester ici à brouter.
C'est à cause de ma patte arrière droite.
Je passais hier par une chemin,
quand une épine s'est enfoncée dedans.
Si vous pouviez me la retirer avec les dents,
j'accepterai pour toujours
l'amitié que vous éprouvée pour moi.
Elle pourra vous être très utile,
car je ferai tout ce que vous voudrez.
Si par exemple on veut lancer un mâtin sur vous,
je saurai très bien le repousser,
le mordre à belles dents, le frapper avec les pieds.
Je le poursuivrai jusqu'à ce qu'il soit jugé,
et quand je l'aurai asséner de coups,
il n'aura plus envie de se regimber. »
Ysengrin répond : « Montrez-moi votre pied,
celui où vous sentez l'épine,
j'aurai vite fait de vous l'arracher,
vous n'aurez jamais meilleur médecin. »
Elle lève la patte, et il s'accroupit,
puis lui retire tout grâce à ses griffes.
Alors qu'Ysengrin est penché
en train de nettoyer et curer le sabot,
Rainsant détend violemment la patte,
frappe Ysengrin très fort
entre le poitrail et le museau,
et le projette à travers le pré sans qu'il ne dise mot.
Ensuite, elle fait une ruade,
et s'enfuit la queue levée.
Ysengrin gît sans bouger
pendant un long moment, et finit par dire :
« Ah ! pauvre malheureux !
Si j'avais déjà mal hier, c'est encore pire aujourd'hui.
Je ne sais plus à qui me fier,
je ne peux avoir confiance en personne. »
Ainsi se lamente Ysengrin,
et voici la fin de cette branche.
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Vo compaingnie chierre eüsse,
Mes je ne puis corre n'aler,
Por ce voil je ci pasturer ;
De mon pié destre par deriere
Passai hier en une chariere,
Une espine me feri enz.
Se la me traiïez as denz,
A nul jor ne seroit partie
De vos a moi la druerie.
Grant mestier vos porré avoir,
Qar je feré tot vo voloir,
Qar s'en vos velt gainon huer,
Je savré tres bien rejeter,
Mordre des denz, ferir des piez.
Qui consuivré toz ert jugiez ;
Cui ge porré bien asener
N'avra talent de regiber. »
Dist Ysengrin : « Le pié mostrez,
Celui ou l'espine sentez,
Tost la vos avré esrachie,
Ja mar i avrez autre mire. »
Le pié li lieve et il s'acrot,
O ses ongles li vuide tout.
Que qu'Isengrin a vuidier brunche
Et il le pié nestoie et furche,
Rainsant le pié a destendu
Et Ysengrin a si feru
Entre le pis et le musel,
Tout coi le jeta el prael.
Rainsant s'en torne regibant,
Queue levee va fuiant,
Et Ysengrin tot coi se gist
Grant piece aprés, et puis si dist :
« Haï ! maleürez chaitis !
Si j'oi hier mal, or ai hui pis.
Ne me sai mes en qui fïer,
Ne puis en nului foi trover. »
Issi se demente Ysengrin.
Ici prent ceste branche fin.
La jument et Ysengrin C'est de la jumant et de Ysangrin (20)
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