dimanche 26 janvier 2014

Renart et la mésange - La paix est rompue




Alors que Renart se justifie,
Q


ue que Renart si se desresne,
voici des veneurs
avec leurs meilleurs lévriers et chiens courants,
qui lui foncent dessus.
Quand Renart voit ça,
il n'en revient pas,
et décide de fuir.
Il s'apprête à partir
quand l'un d'eux s'écrit en dévalant :
« Voilà le goupil ! voilà le goupil ! »
Renart est maintenant en grand péril.
Il redresse la queue en arc,
car il redoute beaucoup la morsure des chiens.
Les trompes et les cors sonnent.
Renart retrousse ses guenilles,
car il ne leur fait nullement confiance.
La mésange lui crie alors :
« Renart, la paix tant proclamée
dont vous me parliez, semble bel et bien rompue.
Attendez-moi, j'irai avec vous,
et si vous voulez je vous embrasserai.
Où fuyez-vous donc ? revenez ! »
Mais Renart est sage et prudent,
il lui sort alors un mensonge,
et répond tout en s'éloignant :
« Madame, la trêve est jurée,
promise et garantie,
elle a été faite partout
et déclarée par tous.
Ce sont là de jeunes chiens qui arrivent,
alors que leurs pères respectent la paix,
ils n'ont pas encore prêté serment
comme leurs pères l'ont fait.
Ils étaient trop jeunes,
le jour où leurs pères et mères
ont juré de soutenir cette paix,
pour qu'on le leur demande aussi.
— Comme vous êtes bien malveillant !
Croyez-vous vraiment qu'ils enfreignent la paix ?
Revenez donc et embrassez-moi.
— Je ne me sens pas du tout rassuré »,
lui répond Renart le déloyal.
Là-dessus il se retourne, et à grands bonds
s'enfuit, sans en dire plus,
à travers le bois tout entier,
dont il connaît bien les chemins de traverse.
Mais voici qu'arrive un frère convers
tenant en laisse deux chiens courants
qu'il a amenés avec lui.
Le valet qui mène les lévriers,
et qui a repéré Renart en premier,
voit le convers, et lui crie :
« Lâche les chiens, lâche-les ! »
Renart l'entend, et se met à soupirer.
Il n'est pas surprenant qu'il soit inquiet,
car il sait bien qu'il sera malmené
si on parvient à l'attraper.
De tous ces gens qu'il voit autour de lui,
il n'y en a pas un, qui s'il le tenait,
ne lui ôterait pas volontiers la peau
à la pointe de son couteau.
Il a peur d'y laisser la cotte,
si la ruse ne l'emporte pas sur la force.
Mais il redoute fort de perdre sa petite gonne,
car rien n'y fera, se dit-il, ni même une fable.
Le convers arrive tranquillement de l'autre côté,
ce qui n'amuse pas Renart.
Il sait qu'il ne peut pas prendre la tangente,
ni s'enfuir nulle part,
ni revenir en arrière en aucune manière.
Quand le convers l'aperçoit,
il arrive vers lui tout furieux :
« Ah ! ah ! misérable, vous ne vous échapperez pas !
— Seigneur, fait-il, au nom de Dieu ne parlez pas ainsi !
Vous êtes un honnête homme et un ermite,
vous ne devriez en aucune façon
priver quiconque de ses droits.
Si je devais être arrêté ici
et retenu par vos chiens,
tout le péché en retomberait sur vous,
et moi je serais fâché,
car tous les ennuis seront pour moi.
Nous avons parié une course
cette meute de chiens et moi,
et l'enjeu est de taille. »
L'autre pense qu'il dit la vérité,
alors il le recommande à Dieu et à saint Julien,
puis s'en retourne.
Renart ne s'attarde pas, il part
en éperonnant son cheval
parmi les broussailles le long d'un vallon,
et s'en va en fuyant par la plaine.
Les cris, qui redoublent derrière lui,
le font aller bien plus vite qu'au pas.
À côté d'un buisson sur une chemin de traverse,
il franchit d'un bond un grand fossé,
et les chiens doivent l'abandonner ici,
car ils ne le voient plus et ne le sentent plus.
Renart continue de s'éloigner,
et n'attend ni pair ni compagnon,
car il redoute fort la morsure des chiens.
Ce n'est pas étonnant s'il est fatigué,
car il a beaucoup couru aujourd'hui.
Il a passé un sale quart d'heure,
mais qu'importe, il est maintenant en lieu sûr.
Il aura pris beaucoup de peine,
après avoir joué de malchance,
pour se sortir de ce pétrin.
Il en veut à tous ses ennemis.



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A tant es vos les veneors,
Et bons levriers et coreors,
Qui sor lui se sont enbatu.
Et quant Renart a ce veü,
Forment s'en estoit merveilliez ;
De fouir s'est apareilliez.
Que qu'il s'apreste de l'aler
Li .I. s'escrie a l'avaler :
« Vez le gorpil ! vez le gorpil ! »
Or est Renart en grant peril ;
Il drece la queue en l'arçon,
Qar mout doute mors de gainon.
Sonent grelles et mooniax.
Et Renart trousse ses peniax,
Qui mout petit en eus se fie.
Et la mesenge li escrie :
« Renart, cist bans est tost brisiez
De la pes que me disïez.
Atendez moi, o vos irai
Et par amors vos beserai.
Ou fuiez vos ? Car revenez ! »
Renart fu cointes et senez,
Si li a tret une mençonge.
Que qu'il parole, si s'esloinge :
« Dame, les trives sont jurees
Et plevies et afïees,
De pes fere de tot en tot ;
Et est juree tout a bout.
Cil sont chael qui ici viengnent,
Qui la pes que lor pere tiengnent
N'ont encor pas asseüree,
Si con lor pere l'ont juree.
Encor estoient il trop jane
Au jor que lor pere et lor dame
Jurerent la pes a tenir,
Que l'en les i fist lors venir.
— Certes, or estes vos mauvés,
Cuidiez vos qu'il fraingnent la pes ?
Qar retornez, si me besiez.
— Je n'en sui pas or aaisiez »,
Ce dist Renart li desloiaux.
A tant s'en torne les granz saux ;
Renart s'en fuit, ne volt plus dire,
Par mi le bois trestout a tire
Con cil qui bien sot les travers.
A tant estes vos .I. convers,
O .II. viautres enchaenez
Qu'il ot avec lui amenez.
Li garz qui mainne les levriers,
Si aperçut Renart premiers ;
Voit le convers, si li escrie :
« Deslie, va, les chiens, deslie ! »
Renart l'oï, si soupira ;
N'est merveille s'il s'esmaia :
Bien set que il est mal venuz,
Se il pooit estre tenuz,
Que tele gent entor lui voit,
N'i a celui, s'il le tenoit,
Volentiers n'en ostast la pel
A la pointe de son costel.
Peor a de perdre sa cote,
Se plus n'i vaut engin que force ;
Mout doute a perdre sa gonnele
Que riens, ce dist, n'i vaut favele.
Li convers de toutes parz muse,
Et c'est Renart qui pas ne muse ;
Bien set que il ne puet guenchir,
Ne nule part ne puet fouir,
Ne retorner en nule guise.
Es vos le convert qui l'avise,
Devant lui vient toz aïrez :
« Ha ! ha ! cuivert, n'i garirez !
— Sire, fait il, por Dieu ne dites !
Vos estes preudons et hermites,
Ne devrïez en nul endroit
A nul honme tolir son droit.
S'or estoie ci arestez
Ne par voz chiens point destorbez,
Sor vos en seroit li pechiez ;
Et j'en seroie corouciez,
Qar miens en seroit li donmages.
Nos corromes ja ci as gages
Entre moi et ceste chienaille ;
Mout a grant chose en la fermaille. »
Cil se porpense qu'il dit bien ;
A Dieu et a saint Julïen
L'a conmandé, si s'en retorne.
Renart s'en va, pas ne sejorne,
Si esperonne son cheval ;
Par unes broches lez .I. val
S'en va fuiant par une plaingne.
Le cri, qui aprés lui engraingne,
Le fist aler plus que le pas.
Lez .I. buisson, a .I. trespas,
A .I. grant fossé tressailli ;
Illeques l'ont li chien guerpi :
N'en sevent mes ne vent ne voie.
Et Renart qui bien se desvoie,
N'i atent per ne compaignon ;
Qar mout doute mors de gainon.
N'est merveille s'il est lassez,
Qar le jor ot couru assez ;
Si a eü mauvez eür.
Mes qui chaut ? Or est aseür.
Assez a grant travail eü
De ce dont li est mescheü
De quant qu'il s'estoit entremis ;
Mout menace ses anemis.
La dispute de la mésange et de Renart C'est le desputement de la mesange et de Renart (21)
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