qui porte l'aune dans sa main. Il se met à mesurer son drap, quand il entend Renart qui se débat parce qu'il veut vraiment se sortir de là. Celui-ci a tellement nagé qu'il en a mal partout. Le paysan dresse l'oreille, l'écoute, il est très étonné. Il jette tous ses draps à terre, s'en va vers lui plus vite qu'au pas, et aperçoit Renart dans la teinture. Il arrive sur lui à grande allure, et s'apprête à le frapper en pleine tête, quand il réalise que c'est une bête. Renart lui crie très fort : « Cher seigneur, ne me frappez pas ! je suis une bête de votre corporation, je peux donc vous être utile. Je me suis souvent fatigué ainsi, et je m'y connais beaucoup plus que vous, car vous ne savez pas comment on fait. » Le paysan lui dit : « Voici un beau discours. Pourquoi êtes-vous venu ici ? Comment êtes-vous entré là-dedans ? » Renart lui répond : « Pour détremper et mélanger cette teinture, comme c'est la coutume à Paris et dans tout le pays. Cette teinture est parfaite maintenant, elle est préparée de la bonne manière. Aidez-moi donc à sortir, puis je vous dirai comment je fais. » Quand le paysan entend ça, et voit la patte que Renart lui tend, il le jette en dehors avec une telle ardeur qu'un peu plus il lui arrachait le bras du corps et le mettait en pièces. Renart n'est pas furieux pour autant quant il voit qu'il est sur le plat, et dit deux mots au paysan : « Mon brave, appliquez-vous à votre affaire, car je ne saurais en tirer davantage. Effectivement, j'ai sauté dans votre cuve, et j'ai bien failli y rester, car, sans l'aide du Saint-Esprit, je pensais périr noyé. J'ai eu grand-peur pour ma personne, mais Dieu m'a aidé et je suis en dehors. Votre teinture prend très bien, je suis tout coloré et reluisant. Jamais plus je ne serai reconnu dans les lieux où je suis passé. J'en suis vraiment très content, car, Dieu le sait bien, le monde entier me hait. Restez donc là, je m'en vais maintenant chercher aventure par ce bois. » À ces mots, il le quitte et s'en va en fuyant par un essart. Puis il se regarde et s'examine entièrement, et se met à rire de joie. | 7924 7928 7932 7936 7940 7944 7948 7952 7956 7960 7964 7968 7972 7976 7980 | Qui l'aune portoit en sa main. Son drap a auner reconmence ; Quant il oï Renart qui tence Por ce que issir s'en voloit, — Tant a noé, tot s'en doloit — Li vilains a drecé l'oreille, Oï celui, mout s'en merveille. A terre gete toz ses dras, A lui s'en vint plus que le pas, Choisist Renart en la tainture, A lui s'en vint grant aleüre. Ferir le volt par mi la teste, Quant il connut que c'estoit beste. Renart mout forment li escrie : « Biau sire, ne me ferez mie ! Je sui beste de ton mestier, Si te puis bien avoir mestier. Sovent en ai esté lassez, Si en sai plus que vos assez, Qar ne sez mie con en fet. » Dist li vilain : « Ci a bon plet. Por qoi venistes vos laiens ? Par ou entrastes vos çaiens ? » Ce dist Renart : « Por destremper Ceste tainture et atremper ; C'est la coustume de Paris Et de trestout nostre païs. Ceste tainture est bien a droit Et atornee a son endroit. Aïdiez moi tant que hors soie, Puis vos diré que je feroie. » Quant li vilain Renart entent Et voit la poue qu'i li tent, Par tel aïr le jete hors Q'a poi ne li a tret du cors Le braz et trestout desciré : A poi Renart n'en est desvez. Quant Renart vit qu'il fu au plain, .II. paroles dist au vilain : « Preudons, entent a ton afere, Qar je n'en sai a nul chief trere. Mes en ta cuve sui sailliz, Par poi que n'i fui maubailliz, Qar, si m'aït sainz Esperiz, Naiez cuidai estre et periz ; Grant peor oi je de mon cors, Diex m'a aidié quant j'en sui hors. Ta tainture est mout bien prenans, Je en sui toz tains et luisans. Ja ne seré mes conneüz En leu ou je soie venuz ; Mout par en sui liez, Diex le set, Car trestot li mondes me het. Or remanez, quar je m'en vois Querre aventure par cel bois. » A icest mot de lui se part, Fuiant s'en vet par .I. essart ; Mout se regarde et se remire, De joie conmença a rire. |
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