lui pose des ventouses et lui fait prendre un bon bain, jusqu'à ce qu'il soit de nouveau en forme comme il était auparavant. Messire Noble l'empereur arrive au château où se trouve Renart. Il voit une très solide palissade de troncs, les murs, les tours, l'échafaud, les forteresses, et des donjons si hauts qu'une grosse flèche ne les atteindrait pas. Il voit aussi les tranchées et les murs puissants, épais, hauts et solides. Il remarque les créneaux sur la butte par où on entre dans l'édifice. Il regarde encore, puis voit l'eau et le pont-levis dont la chaîne a été tirée vers le haut. Le château est situé sur un rocher, le roi s'en approche autant qu'il peut, et met pied à terre devant la porte, ses barons également. Ils font le tour du château, puis chacun dresse son pavillon, et s'installe un peu partout. Renart devrait maintenant avoir peur, mais le château ne sera jamais emporté d'assaut ni pris de force. À moins d'être trahi ou affamé, jamais il ne sera inquiété par eux. Renart a maintenant retrouvé toute sa vigueur et monte en haut de sa tour. Il voit alors Hersent et Ysengrin qui ont pris leurs quartiers sous un pin. Il leur crie à haute voix : « Qu'en pensez-vous, cher seigneur et compagnon ? Comment trouvez-vous mon château ? En avez-vous vu déjà d'aussi beaux ? Dame Hersent, quoi qu'il advienne, je vous ai bel et bien passé sur le corps, et peu m'importe s'il est en colère le cocu qui vous entretient et vous nourrit. Et vous, seigneur Tibert le chat, que j'ai fait tomber dans un piège, vous avez pris une telle volée avant de pouvoir sortir de votre prison, je crois que vous avez bien pris cent coups, mais vous n'avez bu ni vin ni eau. Et vous, cher seigneur Brun l'ours, je vous ai fait subir un tel tour quand vous avez voulu manger le miel, je vous ai vraiment bien esquinté, vous y avez laissé les oreilles, et tout le monde a été ébahi. Et vous, messire Chantecler, je vous ai fait chanter vraiment très haut car je vous tenais par la gorge, mais vous m'avez échappé par la ruse. Et vous, seigneur Brichemer le cerf, je vous ai bien tenu en mon pouvoir. Grâce à ma ruse et à mes conseils, vous avez perdu de la peau du dos, deux lanières que les chiens vous ont taillées, d'ailleurs beaucoup de ceux qui sont ici l'ont vu. Et vous, messire Pelé le rat, je vous ai fait tomber dans les filets quand vous êtes allé manger de l'orge, ils vous ont bien serré la gorge. Et vous, messire Jocelin, je le dis aussi à vous, seigneur Belin, je vous ai vraiment fait transpirer à mon petit jeu. Comme vous n'avez pas su vous enfuir à temps, vous y avez laissé votre gage, quand je vous ai enlevé votre fromage. Je l'ai mangé avec beaucoup de plaisir parce que j'en avais vraiment besoin. Et vous, Rousseau l'écureuil, je vous ai causé de très grands malheurs quand je vous ai dit que la paix était jurée et parfaitement garantie. Je vous ai fait descendre du chêne, et je vous l'ai fait payer bien cher, en vous tenant par la queue avec mes dents, vous étiez fort angoissé et malheureux. Dois-je continuer cette longue énumération ? Il n'y en a pas un que je n'ai pas couvert de honte, et je pense pouvoir en faire encore assez avant que ce mois-ci soit entièrement passé, car j'ai en ma possession l'anneau que la reine m'a donné aujourd'hui. Sachez bien tous, que tant que Renart est en vie, quiconque devra le payer cher avant de le voir. — Renart ! Renart ! lui dit le lion, votre maison est plutôt bien fortifiée, mais il n'en est pas d'assez solide que je n'ai pu assiéger. Je ne partirai pas avant d'avoir pris celle-ci. Soyez bien sûr d'une chose, je jure de tenir le siège pendant un an, ni pluie, ni orage ne me feront partir de mon vivant, avant que le château soit rendu, et que vous soyez pendu par le cou. — Sire, sire, lui répond Renart, c'est ainsi que l'on effraie les couards, mais plutôt que de vous être rendu, il vous sera vendu très cher. Car j'ai ici assez de victuailles, je crois que je n'en manquerai pas avant sept ans. Il y a beaucoup de poules et suffisamment de gros bétail, de bonnes brebis et des vaches bien grasses. On a aussi plein de fromages. Dans ce château il y a également une fontaine qui est bien claire et saine. Et je peux aussi me vanter d'autre chose : autant qu'il puisse pleuvoir ou venter, même si toute l'eau du ciel venait à tomber, jamais il ne tomberait une goutte à l'intérieur. Ce château est fort bien placé, il ne sera jamais pris par la force. Installez-vous donc, moi je m'en vais, je suis épuisé, je vais manger avec ma charmante femme, et si vous devez jeûner, je n'en souffrirai pas. » Sur ces mots, il se laisse descendre, et entre dans la grand-salle par un guichet. Les hommes de l'armée se reposent durant la nuit, et se lèvent au petit matin. Le roi fait venir ses barons : « C'est le moment de l'attaquer, fait-il ! Il faut vous équiper, car je veux m'emparer de ce larron. » À ces mots, tous se lèvent et se dirigent ensemble vers le château... … puis la nuit arrive et les oblige à se séparer, ils cessent alors de l'assaillir et s'en vont. Et le lendemain, après manger ils recommencent leur affaire. Ils n'arrivent même pas malgré tous leurs efforts, à pouvoir ôter ne serait-ce qu'une pierre. Le roi pourrait bien rester là une demi-année sans que Renart y perdre un poil. Il ne se passe pas une journée sans qu'ils attaquent encore et encore, mais ils ne parviennent même pas à causer de dommages pour la valeur d'au moins un denier. Un soir où ils sont beaucoup fatigués et las d'attaquer, chacun s'endort alors en toute confiance dans son abris pour un long moment. Mais la reine est fâchée, elle est même fort en colère envers le roi, alors elle va se coucher à l'écart. Sur ce, voici seigneur Renart qui sort doucement de son château. Chacun dort très fermement dans son abris sous un chêne, sous un orme ou sous un frêne. Renart prend soin de bien attacher chacun par la queue ou par la patte. Il leur joue là un tour diabolique, ils sont tous liés à un arbre. Le roi aussi est attaché par la queue, ce sera un grand miracle s'il peut la dénouer. Puis il se dirige vers la reine, qui est couchée complètement étendue sur le dos, et s'introduit entre ses jambes. Elle ne se méfie aucunement de lui, elle croit en fait que c'est son mari qui veut se réconcilier avec elle. Vous allez maintenant entendre une chose étonnante : il la prend puis elle se réveille. Quand elle voit que Renart l'a trahie, elle s'écrie : « À l'aide ! à l'aide ! » L'aube s'est déjà levée, il fait même grand jour en cette belle matinée, tous ceux qui s'étaient endormis dans les environs sont réveillés en sursaut. Ils sont ébahis par Renart le roux, quand ils le voient avec leur dame, et par le jeu qu'il lui fait subir, qui ne lui plaît pas du tout. Tous disent alors : « Levez-vous, levez-vous ! Et prenez ce larron au nom de Dieu ! » | 7276 7280 7284 7288 7292 7296 7300 7304 7308 7312 7316 7320 7324 7328 7332 7336 7340 7344 7348 7352 7356 7360 7364 7368 7372 7376 7380 7384 7388 7392 7396 7400 7404 7408 7412 7416 7420 7424 7428 7432 7436 7440 7444 7448 7452 7456 | Et ventouser et bien baingnier, Tant qu'il refu en la santé Ou il avoit devant esté. Mesire Noble l'emperiere Vint au chastel ou Renart ere Et vit mout fort le rouleïz, Les murs, les tors, le hordeïz, Les fortereces, les donjons, Si haut ne treroit .I. bouzons ; Vit les trenchies et les murs Fors et espés et haus et durs ; Vit les qarniax desus la mote Par ou on entroit en la roche ; Garda, si vit l'eve et le pont Et la chaene contre mont. Li chastiax siet sor une roche ; Li rois, tant con il puet, l'aproche, Devant la porte a pié descent Et li barnages ensement. Au chastel viennent environ, Chascun i tent son paveillon, Et herbergent de toutes parz. Or doit avoir peor Renarz, Mes par asaut n'iert ja conquis, Ne ne sera par force pris ; Se traïz n'est ou afamez, Ja ne sera par euls grevez. Renart fu bien en sa vigor, Montez en est desus sa tor, Si vit Hersent et Ysengrin Qui logiez sont desouz .I. pin ; A haute voiz lor escria : « Sire compains, et que i a ? Que vos semble de mon chastel ? Veïstes vos onques si bel ? Dame Hersent, conment qu'il praigne, Je vos gorfolai la vendenge ; Et ne me chaut s'irés en est Li cous qui vos conroie et pest. Et vos, sire Tyberz li chaz, Que je fis chaoir enz es laz, Ainz qu'esisiez de la prison, Eüstes vos tel livroison ; Je cuit que tiex .C. cox eüstes, Ou vin ne eve ne beüstes. Et vos, biau sire Brun li ors, Je vos fis ja prendre tel tors, Quant vossistes le miel mengier, Ja vos i fis bien donmagier : Vos i lessastes les oreilles Et trestuit virent les merveilles. Et vos, mesire Chantecler, Je vos fis ja mout cler chanter, Que par cele gorge vos tin ; Vos m'eschapastes par engin. Et vos, dant Brichemer li cers, Je vos ting ja dedenz les ners ; Par mon engin et par mon los Perdites de la piau du dos Deus coroies que chiens vos firent ; Mout a ci de ceus qui le virent. Et vos, sire Pelez li raz, Je vos fis ja chaoir es laz, Quant vos alastes mengier l'orge ; Bien vos estraintrent cele gorge. Et vos, mesire Jocelins, A vos di ge, sire Belins, Je vos fis ja mon gieu puïr. Se bien ne seüssiez fouir, Vos i lesastes vostre gage, Quant je vos toli le fromage Que je menjai a mout grant joie, Por ce que mestier en avoie. Et vos, Rousiax li escureus, Je vos fis ja de mout grant deux, Quant je vos dis qu'estoit juree La pes et bien aseüree ; Du chesne vos fis je descendre, Ice vos dui je mout chier vendre ; Par la queue vos tin as denz, Mout fustes destroiz et dolenz. Qu'iroie je fesant lonc conte ? N'i a celui n'aie fet honte ; Encore en cuit je fere assez Ainz que cist mois soit toz passez, Car j'ai l'anel en ma saisine Que me donna hui la roïne ; Bien sachiez tuit, se Renart vit, Tex le comparra q'ains nel vit. — Renart, Renart, dist li lions, Mout par est fors vostre mesons, Mes n'est si fort ne l'aie asise ; N'en partiré, si l'avré prise. D'une riens bien vos aseür, Jusqu'a .I. en le siege jur, Ne por pluie, ne por orage, Ne m'en movré en mon aage, Ançois ert li chastiax renduz Et vos par la gorge penduz. — Sire, sire, ce dist Renart, Einsi esmoie l'en coart. Mes ainçois que vos soit renduz, Vos sera il mout chier venduz, Qar j'ai ceanz assez vitaille, Ne cuit que devant .VII. anz faille : Il i a assez de gelines Et assez bestes aumalignes, Bones brebiz et crasses vaches Et si a assez de fromages. En cest chastel est la fontainne Qui assez est et clere et saine. Et d'un autre me puis vanter, Ne set tant plovoir ne venter, Se l'eve du ciel chaoit tote, Que ja ceainz ne chaïst goute. Cist chastiaus est mout bien assis, Ja ne sera par force pris. Or vos seez, je m'en irai ; Traveilliez sui, si mengerai Avec ma fame la cortoise ; Si jeünez, pas ne m'en poise. » A icest mot si s'en avale, Par .I. guichet entre en la sale. La nuit sejornent cil de l'ost, Et au matin se lievent tost. Li rois fait ses barons venir : « Or tost, fet il, de l'asaillir ! Vos covendroit apareillier, Car cel larron voil deforchier. » A icest mot se lievent tuit, Au chastel viennent a .I. bruit. La nuit les a fait departir ; Vont s'en, si laissent l'asaillir. Et l'endemain aprés mengier Reconmencerent lor mestier ; Onc nel porent de tant grever Que pierre en puissent oster. Bien i fust demi an li rois, Ja n'i perdist Renart .I. pois. Onques ne finerent .I. jor Qu'il n'asausissent tot encor, Mes ne le porent empirier Dont il vausist mains .I. denier. .I. soir furent mout merveilliez ; D'asaillir furent anuiez, Chascun dormi seürement En sa loge mout longuement. Et la roïne fu iree, Envers le roi mout corouciee, Si vet couchier a une part. A tant es vos sire Renart, De son chastel ist belement. En sa loge mout fermement Dormoit chascun desoz .I. chesne Ou desoz orme ou desoz fresne. Renart a bien chascun lïé Ou par la queue ou par le pié. Mout par a fet grant deablie ; A chascun arbre le son lie, Et li rois lia par la queue ; Grant merveille ert s'ele desneue. Puis s'en torne par la roïne, Ou el gisoit toute sovine ; Entre les jambes li entra. Onques de lui ne se garda, Ainz cuida que ce fust le ber Q'a lui se vousist acorder. Or pouez oïr grant merveille : Cil a fait et cele s'esveille. Quant vit que Renart l'ot traïe, Si s'escria : « Aïe ! aïe ! » Et ja estoit l'aube crevee, Du jor est grant la matinee. Par laiens sont tuit estormi Cil qui estoient endormi ; De Renart le rous s'esbahirent, Quant avec lor dame le virent, Et por ce que il li fesoit Tel gieu qui pas ne li plesoit, Si dient tuit : « Levez, levez, Et por Dieu cel larron prenez ! » |
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