Il tire bien mais ça ne lui sert à rien, peu s'en faut que sa queue ne rompe, elle s'est allongée d'un bon demi-pied, encore un peu et le cuir se déchirait. Lui et les autres tirent et retirent, à part seigneur Tardif le limaçon, qui a l'habitude de porter le gonfanon, car Renart a oublié de l'attacher. Celui-ci va tous les détacher, il tire son épée, puis défait les nœuds, à chacun il tranche un pied ou une queue. Il se hâte tant de les délier qu'il en entaille plus de cent. Avant même d'être débarrassé de leurs nœuds, la plupart se retrouve sans queue. Puis ils s'élancent tous vers le roi dans l'état où ils sont, à grand bruit, et quand Renart les voit venir, il se met alors à fuir. Alors qu'il va entrer dans sa tanière, Tardif qui le suit par-derrière, se comporte aussi bien qu'un seigneur, et le retient par l'un des pans. Là-dessus arrive le roi piquant des éperons, ainsi que tous les autres éperonnant de même. Seigneur Tardif, qui tient Renart, le remet au roi qui vient au-devant. Toute l'armée en frémit et fait grand bruit. Ils l'attrapent de toute part, puis le battent et le mettent en pièces, il est tombé là dans une bien mauvaise trappe. Voici donc qu'ils tiennent Renart prisonnier, ils sont bien contents tous ceux du pays. Ils l'emmènent au gibet pour le pendre, car le roi ne veut aucunement en tirer rançon. « Sire, dit Ysengrin au roi, pour l'amour de Dieu, donnez-le moi, et j'en tirerai une si grande vengeance qu'on le saura à travers toute la France. » Le roi n'en veut rien faire, et ils en sont tous contents et réjouis. Le roi lui fait bander les yeux, puis se met à l'interpeller : « Renart, Renart, dit le lion, je vois ici de tels scorpions qui vont vous faire payer cher aujourd'hui l'outrage que vous avez commis tout le long de votre vie, ainsi que le divertissement de cette nuit avec la reine, que vous avez maintenue couchée à la renverse ; je vous ai vu tout prêt de me déshonorer. Mais je sais bien comment il va en être pour vous, nous allons maintenant vous mettre la corde au cou, et puis nous parlerons d'autres choses. » Seigneur Ysengrin se dresse sur ses pattes, prend Renart par l'encolure, et lui donne un tel coup de poing qu'il lui en fait lâcher un pet. Brun le saisit par le talon, et lui plante les dents jusque dans la cuisse. Ronel le prend à la gorge et lui fait faire trois tours dans un champ d'orge. Tibert le chat, avec les dents et les griffes qu'il a acérées, saisit Renart par la pelisse qui ne vaut plus grand-chose. Tardif, qui porte la bannière, lui donne un coup sur la croupe. Vous verriez toutes les bêtes venir ! Le tiers d'entre-elles ne peuvent s'en approcher, tellement il en arrive par la rue. Pourtant ceux qui n'y parviennent pas s'y ruent quand même. Seigneur Renart, qui d'habitude trompe son monde, et que maintes bêtes sont en train de frapper et déchirer, ne sait que faire au nom du ciel, et craint fort de devoir mourir. Car Renart n'a aucun ami, tous lui sont ennemis. Vous connaissez très bien ce dicton avéré : c'est quand un homme se trouve en danger, pris de force, ou ligoté, qu'il sait parfaitement reconnaître dans le besoin, qui l'aime ou se soucie de lui. Renart n'a vraiment là ni ami ni parent en dehors seulement de seigneur Grimbert, qui pleure avec beaucoup d'angoisse seigneur Renart que l'on dévore, car il est son parent et ami. Il le voit ligoté, en danger, et ne sait au nom du ciel comment le secourir, car la force n'est vraiment pas sienne. C'est alors que Pelé le rat s'avance, s'élance devant les autres, puis se retrouve étendu sous les pieds de la foule. Renart le saisit à travers la gueule, l'étreint entre ses dents, et le sert tellement que ce dernier finit par en mourir. Aucun des autres n'y prête attention, ni ne le voit, ni même l'aperçoit. | 7460 7464 7468 7472 7476 7480 7484 7488 7492 7496 7500 7504 7508 7512 7516 7520 7524 7528 7532 7536 7540 7544 7548 7552 7556 | Ce sache bien, riens ne li vaut ; Par poi la queue n'a rompue : Grant demi pié est estendue. Par poi li cuir ne li descire : Il et li autre sache et tire. Mes dant Tardif le limaçon, Qui seut porter le gonfanon, Oublia Renart a lïer. Cil les ala touz deslïer ; Tret l'espee, si les desneue, A chascun tranche pié ou queue. Du deslïer s'est si hastez Qu'il en est de .C. entamez ; Ainz qu'il soient tuit desnoé, En sont tuit li plus escoé. Envers le roi salient tuit, Si con il erent, a grant bruit, Et quant Renart les vit venir, Si s'apareille de fouir. A ce qu'il entre en sa tesniere Tardif le sieut par de deriere, Mout se contint bien conme sire, Par .I. des pans a lui le tire. A tant i vient li rois poingnant Et tuit li autre esperonant ; Et dant Tardif, qui Renart tient, Au roi le rent, qui devant vient. Tote l'ost en fremist et bruit, De totes parz le pranent tuit, Si l'ont batu et descirez ; Or est en male trape entrez. Es vos Renart qu'il tiennent pris ; Mout en sont lié cil du païs, As forches le menent por pendre, Li rois n'en volt raençon prendre. « Sire, dist Ysengrin au roi, Por l'amor Dieu, bailliez le moi ; Et j'en feré si grant venjance Qu'en le savra par tote France. » Li rois n'en volt fere noient, De ce sont tuit lié et joiant. Les eulz li fist le roi bender, Lors li a pris a demander : « Renart, Renart, dist li lions, Ci voi de tiex escorpions Qui vos vendront encui l'otrage Que avez fet en vostre aage Et le deduit de la roïne, Que tenistes anuit sovine ; De moi honir vos vi tot prest, Mes je sai bien conment il est. Or vos metron el col la hart, Puis parleron d'autre Bernart. » Dant Ysengrin en piez se drece, S'aert Renart par la chevesce, Du poing li donne tel bufet Que il en fist voler .I. pet. Et Brun l'aert par le talon, Les denz i mist jusque au braon ; Et Rooniax par mi la gorge .III. tors li fist fere en .I. orge. Tybert li chaz giete les denz Et les ongles qu'il ot poingnanz, Saisist Renart au peliçon, Mes pas ne li vaut .I. saon. Tardif qui porte la baniere Li a donné une croupiere. Tant veïssiez bestes venir, Li tierz n'i pouoit avenir ; Tant en i vint par mi la rue, Qui n'i puet avenir s'i rue. Dant Renart qui le mont engane Fiert mainte beste et despane ; Ne set soz ciel que fere doie, Mout crient que morir ne se doie. Renart n'i avoit nul ami, Trestuit li erent anemi. Bien savez tuit conmunement Ceste parole apertement : Puis que li hons est entrepris Et par force lïez et pris, Mout puet bien connoistre au besoing Qui l'aime et qui de lui a soing. Illuec n'ot ami ne parent Fors dant Grimbert tant seulement, Qui mout angoisseusement plore Por dant Renart que l'en devore : Ses parenz ert et ses amis. Lïez le voit et entrepris, Ne set soz ciel conment l'escoue, Qar la force n'est mie soue. Pelez li raz s'est avanciez, Devant les autres s'est lanciez ; Entre les piez gist en la fole. Renart le prent par mi la goule, Entre ses denz si le destraint Morir l'estut, si le contraint ; Onques nus d'els ne s'en garda, Ne ne le vit ne regarda. |
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