dimanche 19 février 2012

Le jugement de Renart - La condamnation à la pendaison




Aussitôt que Renart arrive à la cour,
S


i tost com Renart vint a cort,
il n'y a pas une bête qui ne se prépare pas
à l'affronter ou à lui répondre.
Renart est maintenant bien près de mourir.
Il ne s'en tirera pas sans qu'il lui en cuise,
car Ysengrin aiguise ses dents,
et Tibert le chat le conseille
avec Brun qui a la tête encore vermeille de sang.
Mais qu'on l'aime ou qu'on le haïsse, Renart
ne fait pas mine d'avoir peur,
au contraire, il commence son discours
la tête haute, au beau milieu du palais :
« Rois, fait Renart, je vous salue
tel celui qui a pour vous plus de valeur
que tous les barons de l'empire ;
et tort à celui qui me dégrade à vos yeux.
Je ne sais si c'est par manque de chance,
mais je n'ai jamais eu l'assurance
de votre amitié plus d'un jour entier.
L'autre jour, je suis parti de votre cour
avec votre consentement et votre bienveillance,
sans colère ni plainte de quiconque.
Pourtant, ils en ont tellement fait tous ces menteurs
qui veulent se venger de moi,
que vous m'avez jugé à tort.
Mais lorsqu'un roi, sire, s'applique
à croire ces mauvais larrons
en délaissant ses bons barons,
c'est comme abandonner la tête pour la queue.
Alors le pays court à sa perte,
car ceux qui sont serviles par nature
ne savent pas garder la mesure.
Et ceux qui parviennent à s'élever au sein de la cour
prennent beaucoup de peine à faire du tort à autrui.
Ceux qui approuvent ainsi à faire le mal
savent bien quoi en tirer à la fin
pour empocher le bien d'autrui.
Je voudrais bien savoir
ce que Brun et Tibert me reprochent.
Il est vrai que, si le roi l'ordonne,
ils pourraient me faire beaucoup de mal,
alors que je ne leur ai causé aucun tort,
d'ailleurs ils ne sauraient dire quoi.
Si Brun a mangé le miel de Lanfroi
et si le paysan l'a provoqué,
alors pourquoi ne s'est-il pas vengé ?
Il a pourtant de grandes mains et de grands pieds,
et aussi un grand museau et de grandes dents.
Quant à messire Tibert le chat
qui a mangé les souris et les rats,
si on l'a attrapé et s'il s'est pris une humiliation,
pour l'amour de Dieu, en quoi cela me concerne ?
Je ne sais que dire à propos d'Ysengrin
car il n'a pas du tout tort de dire
que j'ai aimé sa femme.
Mais puisqu'elle ne s'en est jamais plainte,
suis-je pour autant un débauché de la vie ?
Quel fou jaloux plein d'envie !
Est-il juste que l'on me pende pour cela ?
Point du tout, sire, que Dieu m'en préserve !
Car ce serait déloyal ;
mais votre loyauté est si grande
que j'ai toujours reconnu en vous
celui qui m'a protégé le corps et l'âme.
De plus, par la foi que je dois à Dieu et à saint Georges,
j'ai la gorge toute blanche
car je suis vieux, et si vous ne pouvez m'aider
alors il ne m'importe plus de plaider ma cause.
Qui me convoque en cour de justice, fait un péché,
mais puisque mon seigneur le commande,
il est juste que j'y vienne.
Me voici donc devant lui, qu'il me saisisse,
qu'il me fasse brûler ou pendre,
je ne puis me défendre contre lui
car je ne suis pas de très grande force.
Mais ce sera une pauvre vengeance
dont beaucoup de gens parleront,
si l'on me pend sans jugement.
— Renart, Renart, dit l'empereur,
maudite soit l'âme de votre père
et celle de la putain qui vous a porté
pour ne pas avoir avorté de vous !
Dites moi donc, perfide larron,
pourquoi trompez-vous toujours autant ?
Vous savez bien parler et plaider,
mais à quoi bon ? Ça n'est plus nécessaire.
En aucune manière ne repartirez-vous
sans qu'on ne fasse justice de vous.
Votre pénible effronterie est inutile
et votre lâcheté ne vaut pas mieux.
C'est que vous vous y connaissez beaucoup en tromperie,
si jamais vous n'avez pas votre dû
comme je vous l'ai promis à l'instant.
Vous êtes ici aujourd'hui pour vous faire juger
ainsi que mes barons l'entendront,
comme on doit le faire d'un larron
et d'un traître de félon.
Vous ne repartirez pas sans être maltraité
si vous ne pouvez vous justifier
de quoi que l'on pourra vous dire.
— Sire, dit Grimbert le blaireau,
si nous nous abaissons devant vous
pour que justice soit faite ou pour arranger les choses,
vous ne devez pas pour cela traiter
votre baron vilainement,
mais selon la loi et avec un jugement.
Comprenez bien ceci, s'il vous plaît :
Renart est venu sous votre protection,
et s'il en est qui porte plainte contre lui,
veuillez lui accorder par bienveillance
de pouvoir y répondre lors d'un jugement
dans votre cour au regard de tous. »
Avant même que Grimbert ait fini
et bien terminé son discours,
Ysengrin se dresse sur ses pattes
ainsi que seigneur Belin le mouton,
Tibert le chat et Ronel,
seigneur Tiécelin le corbeau,
Chantecler et dame Pinte,
venus à cinq en tout à la cour,
Épinard le hérisson,
et petit Poincet le faon.
Frobert le grillon s'avance,
qui s'efforce de crier plus fort que tous les autres,
et aussi seigneur Rousselet l'écureuil,
qui a eu de bien grands malheurs.
Couard le lièvre se précipite
de cour en cour, de rue en rue ;
maintes fois l'autre lui a fait des ennuis,
il espère s'en venger aujourd'hui même.
Renart est dans une bien mauvaise passe
surtout s'il leur est livré en pâture.
Mais le roi les fait aller plus loin
pour qu'on le laisse tirer vengeance lui-même.
Il prend la parole haut et fort
afin que tout le monde l'entende :
« Seigneurs, fait-il, conseillez-moi
sur ce larron de peu de foi :
quel jugement devrais-je rendre ?
dites moi comment je peux me venger de lui.
— Sire, font les barons au roi,
Renart est de bien trop mauvaise foi,
et personne ne saurait vous désapprouver
si vous le faisiez pendre haut et court. »
Le roi répond : « Vous dites vrai.
Faisons donc vite, dit-il, et sans discussion !
Si Renart devait s'en aller maintenant,
jamais il ne reviendrait.
Sachez qu'il nous en arriverait tant de mal
qu'on ne saurait dire mot mais seulement en pleurer. »
Sur un rocher en haut d'un mont,
le roi fait dresser le gibet
pour pendre Renart le goupil.
Le voici donc en grand péril.
Le singe lui fait la grimace
et lui donne un grand coup de patte.
Renart regarde derrière lui,
et voit qu'ils viennent à plus de trois :
l'un le tire, l'autre le pousse,
ça n'est pas étonnant qu'il prenne peur.
Couard le lièvre lui lance une pierre
de loin car il ne veut pas l'approcher.
Après le jet de pierre qu'il a fait,
Renart lève la tête puis la secoue.
Couard en est si déconcerté
qu'on ne l'a jamais revu depuis.
Il est effrayé par le signe qu'il a cru voir là,
et se cache alors dans une haie.
D'ici, se dit-il, il regardera
quel châtiment on lui fera.
Mais il s'y cache à tort, ainsi que je le crois,
car il aura encore à craindre pour lui-même aujourd'hui.
Renart se trouve bien embarrassé
car il est pris et lié de toutes parts,
et il ne parvient pas à trouver de ruse
pour pouvoir s'échapper.
Il va pourtant être impossible de s'enfuir
si la machination n'est pas assez grande.
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Il n'i a beste ne s'atort
Ou d'oposer ou de respondre.
Ore est Renart pres de confondre ;
N'en tornera qu'il ne s'en cuise,
Qar Ysengrin ses denz aguise
Et Tybert li chaz li conseille
Et Bruns qui la teste ot vermeille.
Mes qui q'aint ne hee Renart,
Ne fet pas chierre de coart,
Ainz conmence en mi la meson,
Teste levee, sa raison :
« Rois, fait Renart, je vos salu
Con cil qui plus vos a valu
Que tuit li baron de l'empire.
Mes tort a qui vers vos m'empire.
Ne sai se c'est par mon eür,
Je ne fui onque asseür
De vostre amor .I. jor entier.
Je parti de cort devant ier
Par vostre gré et par amor,
Sanz mautalent et sanz clamor.
Or ont tant fet li losengier
Qui de moi se veulent vengier,
Que vos m'avez jugié a tort.
Mes puis, sire, que rois s'amort
A croire ses mauvez larrons
Et il lesse ses bons barons,
Et guerpist le chief por la queue,
Lors vet la terre a male veue ;
Qar cil qui sont serf par nature
Ne sevent esgarder mesure.
S'en cort se puent alever,
Mout se painnent d'autrui grever ;
Cil si loent le mal a fere
Qui bien en sevent a chief traire
Et enborsent autrui avoir.
Ice vodroie je savoir
Que Bruns et Tybert me demande.
Il est voirs, se li rois conmande,
Que mout bien me puet fere lait,
Encor ne l'aie je forfet,
Qu'il ne sevent dire porqoi.
Se Brun menja le miel Lanfroi
Et le vilain le desfia,
Et il por coi ne s'en venja ?
Ja a il granz mains et granz piez,
Si a grant musel et grant giez.
Et mesire Tybert li chaz
Menja les soriz et les raz ;
Se l'en l'i prist et il ot honte,
Por le cuer bieu, a moi que monte ?
D'Ysengrin ne sai je que dire,
Qar il n'a mie tort del dire
Que j'avoie sa fame amee ;
Et puis qu'el ne s'en est clamee,
Sui ge lechierres de ma vie ?
Li fox jalous qui a envie !
Est por ce droiz que l'en me pende ?
Nenil, sire, Diex m'en desfende !
Qar ce seroit desloiauté ;
Mout est grant vostre loiauté
Que j'ai tot jors vers vos seüe ;
M'a l'ame del cors desfendue.
Mes foi que doi Dieu et saint Jorge,
J'ai toute chanue la gorge,
Viex sui, si ne me puis aidier,
Si n'ai mes cure de plaidier.
Pechié fet qui a cort me mande ;
Mes puis que mesire conmande,
Si est il droiz que ge i viengne.
Or sui devant lui, si me tiengne
Et si me face ardoir ou pendre,
Qar ne me puis vers lui desfendre :
Je ne sui pas de grant puissance.
Mes ce seroit povre venjance,
Si en parleront mainte gent,
Se l'en me pent sanz jugement.
— Renart, Renart, dist l'emperere,
Dahez ait l'ame vostre pere
Et la putain qui vos porta
Quant ele ne vos avorta !
Or me dites, traïtre lerres,
Por qoi estes si bareterres ?
Bien savez parler et plaidier,
Mes ce que chaut ? Il n'a mestier.
N'en partirez en nule guise
Que de vos ne face justise ;
N'i a mestier chiere hardie
Ne n'i vaut vostre cohardie.
Mout savez de la fauve anesse,
Se ja n'avez vostre promesse
Que vos ai orendroit pramise.
Hui estes venuz au juïse
Tel conme verront mi barron
Que l'en doit fere de larron
Et con de felon traïtor ;
N'en partirez sanz mauvez tor
Se ne vos pouez escondire
De quant que l'en vos savra dire.
— Sire, dist Grimbert li tessons,
Se nos vers vos nos abessons
Por droit fere et por afaitier,
Ne devez pas por ce traitier
Vostre baron vilainement,
Mes par loi et par jugement.
Entendez ça, ne vos anuit :
Renart est venuz par conduit,
S'est qui de lui face clamor,
Vos li otroiez par amor
A respondre par jugement
En vostre cort voiant la gent. »
Ainz que Grimbert eüst finee
Sa reson ne bien terminee,
Se dreça en piez Ysengrin
Et le mouton sire Belin,
Tybert li chaz et Rooniax
Et dant Tiecelin li corbiax
Et Chantecler et dame Pinte
Si con a cort i vint soi quinte,
Et Espinart li heriçons
Et petit Poincet li faons.
Frobert li gresillons s'avance,
Qui sor toz autres crie et tence,
Dant Rouselez li escureus,
Qui avoit fet de mout grant deus.
Coart li lievres mout s'argüe
De cort en cort, de rue en rue ;
Mainte foiz li a fait anui,
Vengier s'en cuide encore encui.
Or est Renart en mal randon
Se Renart est mis a bandon ;
Mes li rois les fet en sus trere,
Lui en lest la venjance fere.
Li rois l'apele hautement
Si que l'oent toute la gent :
« Seignors, fet il, conseilliez moi
De cel larron de pute foi,
Quel justice de lui feré,
Dites conment m'en vengeré.
— Sire, font li baron au roi,
Renart est trop de pute foi,
Nus ne vos savroit desloer
Qu'en haut nel faciez encroer. »
Li rois respont : « Bien avez dit.
Or tost, fet il, sanz contredit !
Se Renart s'en estoit tornez,
Ja mes ne seroit retornez.
Sachiez qu'il nos en mescherroit,
Tiex n'en set mot qu'en ploreroit. »
Sor .I. haut mont en .I. rochier
Fist li rois les forches drecier
Por Renart pendre, le gorpil.
Estes le vos en grant peril ;
Li singes li a fait la moe,
Grant coup li donne de sa poe.
Renart regarde derrier soi,
Voit que i viegnent plus de troi ;
Li .I. le tret, l'autre le boute,
N'est merveille se il se doute.
Coart li lievres l'arochoit
De loing, que pas ne l'aprochoit ;
A l'arochier qu'a fet Coart
Lieve le chief, croule Renart.
Coart en fu si esperduz
Que onques puis ne fu veüz ;
Du signe c'ot veü s'esmaie,
Lors se muça en une haie ;
D'ilec, ce dit, esgardera
Quele justice en en fera.
Mar i muça, si con je croi,
Encui avra peor de soi.
Renart se vit mout entrepris,
De toutes parz lïez et pris ;
Ne il ne puet engin trover
Conment il se puisse eschaper :
Del eschaper est il noient,
Se li engins n'en est mout grant.
Comment Renart trompa Brun l'ours avec le miel Si conme Renart conchia Brun li ours du miel (10)
Notes de traduction (afficher)

5 commentaires:

  1. C'est très intéressant je vais pouvoir m'en servir pour ma rédaction. Merci beaucoup. :-) :-) :-) :-) :-) :-) :-) :-)

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  2. j'aurai bien aimé qu'il y est une image de tiécelin le corbeau car j'en aurai besoin pour une de mes redaction !

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  3. Bonjour, moi j'aime bien le Roman de Renart, je trouve que c'est passionnant...

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  4. Moi aussi j'aime lire le Roman de Renart, je trouve les histoires intéressantes et ce qui est bien c'est que l'on n'a pas un gros livre à lire, on peu lire seule ment une ou deux histoires par jour.

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