il n'y a pas une bête qui ne se prépare pas à l'affronter ou à lui répondre. Renart est maintenant bien près de mourir. Il ne s'en tirera pas sans qu'il lui en cuise, car Ysengrin aiguise ses dents, et Tibert le chat le conseille avec Brun qui a la tête encore vermeille de sang. Mais qu'on l'aime ou qu'on le haïsse, Renart ne fait pas mine d'avoir peur, au contraire, il commence son discours la tête haute, au beau milieu du palais : « Rois, fait Renart, je vous salue tel celui qui a pour vous plus de valeur que tous les barons de l'empire ; et tort à celui qui me dégrade à vos yeux. Je ne sais si c'est par manque de chance, mais je n'ai jamais eu l'assurance de votre amitié plus d'un jour entier. L'autre jour, je suis parti de votre cour avec votre consentement et votre bienveillance, sans colère ni plainte de quiconque. Pourtant, ils en ont tellement fait tous ces menteurs qui veulent se venger de moi, que vous m'avez jugé à tort. Mais lorsqu'un roi, sire, s'applique à croire ces mauvais larrons en délaissant ses bons barons, c'est comme abandonner la tête pour la queue. Alors le pays court à sa perte, car ceux qui sont serviles par nature ne savent pas garder la mesure. Et ceux qui parviennent à s'élever au sein de la cour prennent beaucoup de peine à faire du tort à autrui. Ceux qui approuvent ainsi à faire le mal savent bien quoi en tirer à la fin pour empocher le bien d'autrui. Je voudrais bien savoir ce que Brun et Tibert me reprochent. Il est vrai que, si le roi l'ordonne, ils pourraient me faire beaucoup de mal, alors que je ne leur ai causé aucun tort, d'ailleurs ils ne sauraient dire quoi. Si Brun a mangé le miel de Lanfroi et si le paysan l'a provoqué, alors pourquoi ne s'est-il pas vengé ? Il a pourtant de grandes mains et de grands pieds, et aussi un grand museau et de grandes dents. Quant à messire Tibert le chat qui a mangé les souris et les rats, si on l'a attrapé et s'il s'est pris une humiliation, pour l'amour de Dieu, en quoi cela me concerne ? Je ne sais que dire à propos d'Ysengrin car il n'a pas du tout tort de dire que j'ai aimé sa femme. Mais puisqu'elle ne s'en est jamais plainte, suis-je pour autant un débauché de la vie ? Quel fou jaloux plein d'envie ! Est-il juste que l'on me pende pour cela ? Point du tout, sire, que Dieu m'en préserve ! Car ce serait déloyal ; mais votre loyauté est si grande que j'ai toujours reconnu en vous celui qui m'a protégé le corps et l'âme. De plus, par la foi que je dois à Dieu et à saint Georges, j'ai la gorge toute blanche car je suis vieux, et si vous ne pouvez m'aider alors il ne m'importe plus de plaider ma cause. Qui me convoque en cour de justice, fait un péché, mais puisque mon seigneur le commande, il est juste que j'y vienne. Me voici donc devant lui, qu'il me saisisse, qu'il me fasse brûler ou pendre, je ne puis me défendre contre lui car je ne suis pas de très grande force. Mais ce sera une pauvre vengeance dont beaucoup de gens parleront, si l'on me pend sans jugement. — Renart, Renart, dit l'empereur, maudite soit l'âme de votre père et celle de la putain qui vous a porté pour ne pas avoir avorté de vous ! Dites moi donc, perfide larron, pourquoi trompez-vous toujours autant ? Vous savez bien parler et plaider, mais à quoi bon ? Ça n'est plus nécessaire. En aucune manière ne repartirez-vous sans qu'on ne fasse justice de vous. Votre pénible effronterie est inutile et votre lâcheté ne vaut pas mieux. C'est que vous vous y connaissez beaucoup en tromperie, si jamais vous n'avez pas votre dû comme je vous l'ai promis à l'instant. Vous êtes ici aujourd'hui pour vous faire juger ainsi que mes barons l'entendront, comme on doit le faire d'un larron et d'un traître de félon. Vous ne repartirez pas sans être maltraité si vous ne pouvez vous justifier de quoi que l'on pourra vous dire. — Sire, dit Grimbert le blaireau, si nous nous abaissons devant vous pour que justice soit faite ou pour arranger les choses, vous ne devez pas pour cela traiter votre baron vilainement, mais selon la loi et avec un jugement. Comprenez bien ceci, s'il vous plaît : Renart est venu sous votre protection, et s'il en est qui porte plainte contre lui, veuillez lui accorder par bienveillance de pouvoir y répondre lors d'un jugement dans votre cour au regard de tous. » Avant même que Grimbert ait fini et bien terminé son discours, Ysengrin se dresse sur ses pattes ainsi que seigneur Belin le mouton, Tibert le chat et Ronel, seigneur Tiécelin le corbeau, Chantecler et dame Pinte, venus à cinq en tout à la cour, Épinard le hérisson, et petit Poincet le faon. Frobert le grillon s'avance, qui s'efforce de crier plus fort que tous les autres, et aussi seigneur Rousselet l'écureuil, qui a eu de bien grands malheurs. Couard le lièvre se précipite de cour en cour, de rue en rue ; maintes fois l'autre lui a fait des ennuis, il espère s'en venger aujourd'hui même. Renart est dans une bien mauvaise passe surtout s'il leur est livré en pâture. Mais le roi les fait aller plus loin pour qu'on le laisse tirer vengeance lui-même. Il prend la parole haut et fort afin que tout le monde l'entende : « Seigneurs, fait-il, conseillez-moi sur ce larron de peu de foi : quel jugement devrais-je rendre ? dites moi comment je peux me venger de lui. — Sire, font les barons au roi, Renart est de bien trop mauvaise foi, et personne ne saurait vous désapprouver si vous le faisiez pendre haut et court. » Le roi répond : « Vous dites vrai. Faisons donc vite, dit-il, et sans discussion ! Si Renart devait s'en aller maintenant, jamais il ne reviendrait. Sachez qu'il nous en arriverait tant de mal qu'on ne saurait dire mot mais seulement en pleurer. » Sur un rocher en haut d'un mont, le roi fait dresser le gibet pour pendre Renart le goupil. Le voici donc en grand péril. Le singe lui fait la grimace et lui donne un grand coup de patte. Renart regarde derrière lui, et voit qu'ils viennent à plus de trois : l'un le tire, l'autre le pousse, ça n'est pas étonnant qu'il prenne peur. Couard le lièvre lui lance une pierre de loin car il ne veut pas l'approcher. Après le jet de pierre qu'il a fait, Renart lève la tête puis la secoue. Couard en est si déconcerté qu'on ne l'a jamais revu depuis. Il est effrayé par le signe qu'il a cru voir là, et se cache alors dans une haie. D'ici, se dit-il, il regardera quel châtiment on lui fera. Mais il s'y cache à tort, ainsi que je le crois, car il aura encore à craindre pour lui-même aujourd'hui. Renart se trouve bien embarrassé car il est pris et lié de toutes parts, et il ne parvient pas à trouver de ruse pour pouvoir s'échapper. Il va pourtant être impossible de s'enfuir si la machination n'est pas assez grande. | 6860 6864 6868 6872 6876 6880 6884 6888 6892 6896 6900 6904 6908 6912 6916 6920 6924 6928 6932 6936 6940 6944 6948 6952 6956 6960 6964 6968 6972 6976 6980 6984 6988 6992 6996 7000 7004 7008 7012 7016 7020 7024 7028 7032 7036 | Il n'i a beste ne s'atort Ou d'oposer ou de respondre. Ore est Renart pres de confondre ; N'en tornera qu'il ne s'en cuise, Qar Ysengrin ses denz aguise Et Tybert li chaz li conseille Et Bruns qui la teste ot vermeille. Mes qui q'aint ne hee Renart, Ne fet pas chierre de coart, Ainz conmence en mi la meson, Teste levee, sa raison : « Rois, fait Renart, je vos salu Con cil qui plus vos a valu Que tuit li baron de l'empire. Mes tort a qui vers vos m'empire. Ne sai se c'est par mon eür, Je ne fui onque asseür De vostre amor .I. jor entier. Je parti de cort devant ier Par vostre gré et par amor, Sanz mautalent et sanz clamor. Or ont tant fet li losengier Qui de moi se veulent vengier, Que vos m'avez jugié a tort. Mes puis, sire, que rois s'amort A croire ses mauvez larrons Et il lesse ses bons barons, Et guerpist le chief por la queue, Lors vet la terre a male veue ; Qar cil qui sont serf par nature Ne sevent esgarder mesure. S'en cort se puent alever, Mout se painnent d'autrui grever ; Cil si loent le mal a fere Qui bien en sevent a chief traire Et enborsent autrui avoir. Ice vodroie je savoir Que Bruns et Tybert me demande. Il est voirs, se li rois conmande, Que mout bien me puet fere lait, Encor ne l'aie je forfet, Qu'il ne sevent dire porqoi. Se Brun menja le miel Lanfroi Et le vilain le desfia, Et il por coi ne s'en venja ? Ja a il granz mains et granz piez, Si a grant musel et grant giez. Et mesire Tybert li chaz Menja les soriz et les raz ; Se l'en l'i prist et il ot honte, Por le cuer bieu, a moi que monte ? D'Ysengrin ne sai je que dire, Qar il n'a mie tort del dire Que j'avoie sa fame amee ; Et puis qu'el ne s'en est clamee, Sui ge lechierres de ma vie ? Li fox jalous qui a envie ! Est por ce droiz que l'en me pende ? Nenil, sire, Diex m'en desfende ! Qar ce seroit desloiauté ; Mout est grant vostre loiauté Que j'ai tot jors vers vos seüe ; M'a l'ame del cors desfendue. Mes foi que doi Dieu et saint Jorge, J'ai toute chanue la gorge, Viex sui, si ne me puis aidier, Si n'ai mes cure de plaidier. Pechié fet qui a cort me mande ; Mes puis que mesire conmande, Si est il droiz que ge i viengne. Or sui devant lui, si me tiengne Et si me face ardoir ou pendre, Qar ne me puis vers lui desfendre : Je ne sui pas de grant puissance. Mes ce seroit povre venjance, Si en parleront mainte gent, Se l'en me pent sanz jugement. — Renart, Renart, dist l'emperere, Dahez ait l'ame vostre pere Et la putain qui vos porta Quant ele ne vos avorta ! Or me dites, traïtre lerres, Por qoi estes si bareterres ? Bien savez parler et plaidier, Mes ce que chaut ? Il n'a mestier. N'en partirez en nule guise Que de vos ne face justise ; N'i a mestier chiere hardie Ne n'i vaut vostre cohardie. Mout savez de la fauve anesse, Se ja n'avez vostre promesse Que vos ai orendroit pramise. Hui estes venuz au juïse Tel conme verront mi barron Que l'en doit fere de larron Et con de felon traïtor ; N'en partirez sanz mauvez tor Se ne vos pouez escondire De quant que l'en vos savra dire. — Sire, dist Grimbert li tessons, Se nos vers vos nos abessons Por droit fere et por afaitier, Ne devez pas por ce traitier Vostre baron vilainement, Mes par loi et par jugement. Entendez ça, ne vos anuit : Renart est venuz par conduit, S'est qui de lui face clamor, Vos li otroiez par amor A respondre par jugement En vostre cort voiant la gent. » Ainz que Grimbert eüst finee Sa reson ne bien terminee, Se dreça en piez Ysengrin Et le mouton sire Belin, Tybert li chaz et Rooniax Et dant Tiecelin li corbiax Et Chantecler et dame Pinte Si con a cort i vint soi quinte, Et Espinart li heriçons Et petit Poincet li faons. Frobert li gresillons s'avance, Qui sor toz autres crie et tence, Dant Rouselez li escureus, Qui avoit fet de mout grant deus. Coart li lievres mout s'argüe De cort en cort, de rue en rue ; Mainte foiz li a fait anui, Vengier s'en cuide encore encui. Or est Renart en mal randon Se Renart est mis a bandon ; Mes li rois les fet en sus trere, Lui en lest la venjance fere. Li rois l'apele hautement Si que l'oent toute la gent : « Seignors, fet il, conseilliez moi De cel larron de pute foi, Quel justice de lui feré, Dites conment m'en vengeré. — Sire, font li baron au roi, Renart est trop de pute foi, Nus ne vos savroit desloer Qu'en haut nel faciez encroer. » Li rois respont : « Bien avez dit. Or tost, fet il, sanz contredit ! Se Renart s'en estoit tornez, Ja mes ne seroit retornez. Sachiez qu'il nos en mescherroit, Tiex n'en set mot qu'en ploreroit. » Sor .I. haut mont en .I. rochier Fist li rois les forches drecier Por Renart pendre, le gorpil. Estes le vos en grant peril ; Li singes li a fait la moe, Grant coup li donne de sa poe. Renart regarde derrier soi, Voit que i viegnent plus de troi ; Li .I. le tret, l'autre le boute, N'est merveille se il se doute. Coart li lievres l'arochoit De loing, que pas ne l'aprochoit ; A l'arochier qu'a fet Coart Lieve le chief, croule Renart. Coart en fu si esperduz Que onques puis ne fu veüz ; Du signe c'ot veü s'esmaie, Lors se muça en une haie ; D'ilec, ce dit, esgardera Quele justice en en fera. Mar i muça, si con je croi, Encui avra peor de soi. Renart se vit mout entrepris, De toutes parz lïez et pris ; Ne il ne puet engin trover Conment il se puisse eschaper : Del eschaper est il noient, Se li engins n'en est mout grant. |
C'est très intéressant je vais pouvoir m'en servir pour ma rédaction. Merci beaucoup. :-) :-) :-) :-) :-) :-) :-) :-)
RépondreSupprimerj'aurai bien aimé qu'il y est une image de tiécelin le corbeau car j'en aurai besoin pour une de mes redaction !
RépondreSupprimervous en trouverez là https://www.google.fr/search?tbm=isch&q=ti%C3%A9celin+le+corbeau
RépondreSupprimerBonjour, moi j'aime bien le Roman de Renart, je trouve que c'est passionnant...
RépondreSupprimerMoi aussi j'aime lire le Roman de Renart, je trouve les histoires intéressantes et ce qui est bien c'est que l'on n'a pas un gros livre à lire, on peu lire seule ment une ou deux histoires par jour.
RépondreSupprimer