dimanche 9 octobre 2011

Le jugement de Renart - L'enterrement de dame Coupée




Quand le roi estime avoir bien jugé,
Q


uant li rois ot jugié assez,
et qu'il se sent las de parlementer,
voici maintenant les poules
et Chantecler qui se battent les paumes.
Pinte l'interpelle la première,
puis les autres d'une seule voix :
« Pour Dieu, font-elles, nobles bêtes,
chiens et loups, ainsi que vous tous,
donnez donc un conseil à cette malheureuse.
Je maudis vraiment l'heure où je suis née.
Mort, prends-moi donc, et délivre-moi !
Car Renart ne me laisse pas vivre en paix.
Jadis, j'avais cinq frères du même père que moi,
ce voleur de Renart les a tous mangés ;
ce fut une grande perte et une grande douleur.
J'ai eu cinq sœurs de par ma mère,
des jeunes filles encore vierges,
c'était de très belles poules.
Gombert du Frêne s'en occupait
et les poussait à pondre.
Le malheureux ! il les a engraissées pour rien,
car Renart ne lui en a laissé
qu'une seule sur toutes les cinq.
Elles sont toutes passées dans sa gueule.
Et vous, qui gisez dans cette bière,
ma douce sœur, ma chère amie,
comme vous étiez tendre et grassouillette !
Que va donc faire votre pauvre sœur,
qui plus jamais ne vous reverra ?
Renart, que le feu maudit vous brûle !
Vous nous avez tant de fois enlevées,
chassées, vilipendées,
déchiré la pelisse,
poursuivies jusqu'aux barrières !
Et hier matin, devant ma porte
vous m'avez jeté ma sœur morte,
puis vous vous êtes enfui par un vallon.
Gombert n'a pas de cheval assez rapide,
et n'a pu vous rattraper à pied.
Je suis venue pour porter plainte,
mais je ne trouve personne pour me rendre justice,
car il ne craint ni menace
ni colère d'autrui pour deux sous. »
Sur ces paroles, le malheureuse Pinte
tombe évanouie sur le sol,
ainsi que les trois autres toutes ensemble.
Afin de relever les quatre dames,
tous se lèvent de leurs tabourets,
les chiens, les loups et les autres bêtes,
puis leur jettent de l'eau sur la tête.
Quand elles reviennent de leur évanouissement,
ainsi que nous le trouvons dans les écrits,
elles regardent en direction du roi
et se laissent tomber à ses pieds,
et Chantecler s'agenouille aussi,
en lui mouillant les pieds de ses larmes.
Alors, quand le roi voit Chantecler ainsi,
il prend pitié du jeune homme,
il pousse un profond soupir,
il n'aurait pu le retenir pour tout l'or du monde.
De colère, il redresse la tête.
Il n'y a pas une bête assez hardie,
ni ours, ni sanglier, qui n'ait peur
quand leur sire crie et rugit.
Couard le lièvre a une telle peur
qu'il en aura la fièvre pendant deux jours.
Toute la cour frémit en même temps,
les plus courageux tremblent de peur.
Il tire sur sa queue avec colère
et la frappe avec une telle détermination
que toute la maison en résonne.
Puis ses paroles sont les suivantes :
« Dame Pinte, dit l'empereur,
par la foi que je dois à l'âme de mon père,
à qui je n'ai pas encore rendu grâce aujourd'hui,
votre chagrin me pèse beaucoup
car je ne puis y remédier.
Mais je vais faire chercher Renart,
si bien que vous le verrez de vos propres yeux,
et vous entendrez de vos propres oreilles
comment la terrible vengeance sera prise,
car je veux faire un jugement exemplaire
de ce crime et de sa réparation. »
Quand Ysengrin entend le roi parler ainsi;
il se dresse rapidement sur ses pattes :
« Sire, fait-il, c'est une très grande décision,
vous serez loué partout
si vous pouvez venger Pinte,
ainsi que sa sœur dame Coupée
que Renart a tant battue.
Je ne le dis pas par haine,
mais je le dis pour la jeune fille
qu'il a tuée. Car je n'agirai pas ainsi
bien que je haïsse Renart. »
L'empereur fait : « Chers amis,
il m'a infligé une bien grande peine au cœur,
et ce n'est pas la première.
Devant vous et les étrangers,
je proclame une plainte, comme il est coutume de faire,
pour l'adultère, l'outrecuidance,
et la honte qu'il a faite,
et pour la paix qu'il a enfreinte.
Mais parlons d'autre chose.
Brun l'ours, prenez une étole,
et recommandez à Dieu l'âme de ce corps.
Et vous, seigneur Bruyant le taureau,
du côté de ce champ labouré,
vous me ferez une sépulture.
— Sire, fait Brun, à votre bon plaisir. »
Alors, il va non seulement
saisir l'étole,
mais aussi à son commandement, le roi
et tous les autres membres de l'assemblée
commencent l'évangile.
Seigneur Tardif le limaçon
lit ensuite trois leçons pour la défunte,
et Ronel chante les versets,
ainsi que Brichemer le cerf.
Quand l'évangile est chanté
et que l'on arrive aux matines,
ils transportent le corps pour l'enterrer,
après l'avoir déposé
dans un très beau cercueil de plomb,
jamais personne n'avait vu mieux.
Puis ils l'enfouissent sous un arbre,
et dessus mettent une dalle de marbre,
où ils inscrivent le nom de la dame,
sa vie, son œuvre, et la recommandent à Dieu ;
je ne sais plus s'ils l'ont fait avec un ciseau ou un stylet.
Ils ne racontent pas de mensonge
mais écrivent une épitaphe :
“Sous cet arbre, à cet endroit,
gît Coupée, la sœur de Pinte.
Renart l'a arrangée ainsi ce matin même,
il devient pire jour après jour,
et lui a fait subir avec ses dents un si grand martyre.”
Chacun voit alors Pinte pleurer,
maudire et insulter Renart,
puis Chantecler tendre ses pattes.
Quelle grande pitié a-t-on pu avoir !
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Qui de plaidier estoit lassez,
Es les gelines maintenant
Et Chantecler paumes batant.
Pinte s'escrie premerainne
Et les autres a une alainne :
« Por Dieu, font eles, gentix bestes
Et chiens et leus, si con vos estes,
Qar conseilliez ceste chaitive.
Mout hé l'eure que je sui vive.
Mort, quar me pren, si me delivre !
Qar Renart ne me lesse vivre.
.V. freres oi ja de mon pere,
Touz les menja Renart le lerre ;
Ce fu grant perte et grant dolors.
De par ma mere oi .V. serors,
Que virges poules, que meschines,
Mout i avoit beles gelines ;
Gonbert de Fresne les servoit,
Qui de pondre les enpressoit.
Le las ! mar il les engressa ;
C'onques Renart ne l'en lessa
De toutes .V. que une seule,
Toutes passerent par sa geule.
Et vos, qui ci gisez em biere,
Ma douce suer, m'amie chierre,
Con vos estïez tendre et grasse !
Que fera or vostre suer lasse,
Qui a nul jor ne vos regarde ?
Renart, la male flambe t'arde !
Tantes foiz nos as dessolees
Et chaciees et vilanees
Et descirees nos pelices
Et enbatues jusqu'as lices !
Et hier main de devant ma porte
Me jetas tu ma seror morte,
Puis t'en fouis par mi .I. val ;
Gonbert n'ot pas isnel cheval,
Ne ne te pot a pié ataindre.
Je m'estoie venue plaindre,
Mes je ne truis qui droit m'en face,
Qar il ne crient nule menace,
N'autre coroz vaillant .II. soles. »
Pinte la lasse a ces paroles
Chaï paumee el pavement
Et les autres tot ensement.
Por relever les .IIII. dames
Se leverent de lor eschames
Et chiens et leus et autres bestes ;
L'eve lor gietent sor les testes.
Qant revienent de pasmoison,
Si conme en escrit trovon,
La ou li rois virent seoir
Se laisent a ses piez chaoir ;
Et Chantecler si s'agenoille,
De ses lermes ses piez li moille.
Et quant li rois vit Chantecler,
Pitié li prist du bacheler,
.I. soupir a fait de parfont,
Ne s'en tenist por l'or du mont.
Par mautalent drece la teste,
Puis n'i ot si hardie beste,
Ors ne sengler, qui peor n'ait
Conme lor sire crie et brait.
Tel peor ot Coarz li lievres
Que il en ot .II. jors les fievres.
Toute la cort fremist ensemble ;
Le plus hardiz de peor tremble.
Par mautalent la queue tire,
Si s'en debat par tel desire
Que toute en sone la meson ;
Et puis fu tele sa raison :
« Dame Pinte, dist l'emperere,
Foi que je doi l'ame mon pere,
Por qui je ne fis aumosne hui,
Mout me poise de vostre anui
Se je ne le puis amender.
Mes je feré Renart mander
Si que a voz eulz le verroiz
Et as voz oreilles orroiz
Con grant venjance en sera prise,
Qar j'en voil fere grant justise
De l'amende et del desroi. »
Qant Ysengrin oï lor roi,
Isnelement en piez se drece :
« Sire, fet il, c'est grant proece ;
Mout en seroiz par tout loez,
Se vos Pinte vengier pouez
Et sa seror dame Coupee
Que Renart a si acoupee.
Je nel di pas por la haïne,
Mes je le di por la meschine
Qu'il a morte, que je ne face
Por chose que je Renart hace. »
Fait l'emperere : « Biax amis,
Maint grant duel m'a il el cuer mis,
Ce n'est or pas li premereins.
A vos et a toz les foreins
Me plain je, si con fere sueil,
De l'avoutire et de l'orgueil
Et de la honte qu'il a fete
Et de la pes qu'il a enfrete.
Mes or parlons d'autre parole.
Bruns li ors, prenez une estole,
Conmandez l'ame de cest cors.
Et vos, sire Bruiant li tors,
La sus endroit cele costure
Me ferez une sepouture.
— Sire, fait Brun, vostre plaisir. »
A tant va l'estole saisir,
Et non mie tant seulement,
Mes li rois el conmendement
Et tuit li autre du concile
Ont conmencie l'evangile.
Sire Tardis le limaçons
Si lut por cele .III. leçons
Et Rooniax chanta le vers
Et il et Brichemer li cers.
Qant l'evangile fu chantee
Et ce vint a la matinee,
Le cors porterent enterrer ;
Mes ançois l'orent fet lever
En .I. mout bel vessel de plon,
Onques meillor ne vit nus hon.
Puis l'enfouirent soz .I. arbre
Et par desus mistrent .I. marbre,
Si ont escrit le non la dame
Et sa vie et conmandé s'ame,
Ne sai a cisel ou a gresfe.
Il ne servirent pas de befe,
Ainz ont escrit une espitace :
“Desoz cel arbre en une place,
Ci gist Coupee, suer Pintain,
Tot einsi l'astorna hui main
Renart, qui chascun jor empire,
En fist as denz si grant martire.”
Qui lors veïst Pintain plorer,
Renart maudire et devorer,
Et Chantecler les piez estendre,
Mout grant pitié l'en peüst prandre !
Comment Renart trompa Brun l'ours avec le miel Si conme Renart conchia Brun li ours du miel (10)
Notes de traduction (afficher)

2 commentaires:

  1. 5995: "déchiré la pelisse" (Ah, les accords de participes ! On ne remerciera jamais assez Clément Marot d'avoir importé cette règle merveilleuse !). 6041: "propres yeux". 6063: "faite".

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    1. Les fautes sont corrigées, merci de les avoir signalées.

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