samedi 21 mai 2011

À la cour du roi Noble - Tibert tiré par la queue




Pendant que les paysans battent Brun l'ours,
Q


ue que vilains Brun l'ors batoient,
s'occupent de son préjudice,
et le frappent tour à tour,
Renart s'en va droit au poulailler.
Il saisit une oie par le cou,
et les autres prennent leur envol
par-dessus la maison de Poufille.
Celle-ci crie alors très fort : « Par ici ! ma chère fille,
Renart le roux emporte l'oie,
messire Gombert ne va pas être content. »
Puis elles se mettent à hurler ensemble,
et les paysans qui sont à l'intérieur,
bondissent rapidement dehors,
exceptés seulement quatre d'entre eux.
Ils crient après Renart et le huent,
et le pourchassent autant qu'ils peuvent.
Ceux qui retiennent Brun emprisonné,
aperçoivent Tibert dans la maison.
L'un d'entre eux, en regardant un peu vers le haut,
a vu Tibert, il crie alors fortement :
« Par ici ! compagnons, je vois Tibert
qui a mangé le miel de Frobert.
Sa queue dépasse au dehors,
il est dans de ce conduit. »
Ils le tirent et le retirent par la queue,
Tibert souffre alors un grand martyre.
Les trois compères sont maintenant tous
harcelés par une meute de paysans hargneux.
Ils poursuivent Renart, ils battent Brun,
ils écrasent Tibert de leurs pieds.
Tandis qu'ils s'occupent de Tibert,
Brun bondit au-dessus, puis par la porte ouverte,
en dépit de tous ses ennemis.
L'ours se trouve alors dans l'enclos.
Il se lamente énormément, souffre beaucoup,
un jour, s'il peut, il aura Renart
qui lui a fait subir tout ça.
Et les paysans s'acharnent fort sur Tibert,
ils le traitent avec un grand mépris,
il lui font faire pénitence
pour le jambon qu'il a mangé.
Mais il y a là un gros trou,
Tibert le voit, il en est tout joyeux.
Il y grimpe sous leurs yeux ébahis,
puis s'enfuit, alors ils le prennent en chasse.
Ils sont tous dépités, et le menacent vivement.
La chasse n'est pas reportée
car ils sont tous trois dans l'enclos.
Brun s'enfuit le long d'un chemin,
Tibert le suit par-derrière,
puis lui dit : « Messire, mon compagnon,
nos blessures sont vraiment importantes.
C'est Renart qui m'a fait ça, cher compère,
honte à moi s'il ne le paie pas.
Il m'a fait tant battre et rebattre,
deux fois, cinq fois, trois fois, quatre fois,
si bien que j'y ai perdu ma queue,
et ma tête est toute fendue.
Si Renart doit s'en tirer ainsi,
alors mieux vaudrait mourir. »
Tibert s'enfuit alors qu'on poursuit toujours Brun,
la chasse n'est pas encore abandonnée.
Les paysans le menacent vivement,
dont Baudrinet le fils de Gilain,
et se disent entre eux qu'ils n'arrêteront pas
jusqu'à ce qu'ils les aient trouvés.
Et Brun ne dit pas : « Cul, suis-moi »,
mais : « Débrouille-toi comme tu peux. »
Il se dirige sur une voie,
et s'y tient jusqu'au château de Renart.
Renart ne redoute ni homme ni femme,
les deux autres sont devant la barbacane,
ils sont en haut et lui en bas.
Renart leur lance deux plaisanteries :
« Seigneur Brun, soyez béni de Dieu,
vous êtes-vous fait saigner une veine ?
vous avez le bras troué,
je crois que vous avez couru trop vite.
Et vous, Tibert, où est la queue ?
Vous avez joué de malchance.
Pour l'amour de Dieu, qu'avez-vous fait ?
Qu'avez-vous donc fait de mal à Gombert,
quelque chose que je ne sache pas ?
Avez-vous mangé un bœuf ou une vache ?
Vous avez laissé là un gage bien précieux. »
Quand Brun l'entend, peu s'en faut qu'il n'enrage :
« Renart, dit-il, par ma tête,
malheur à vous pour avoir fermé la fenêtre. »
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Et a son donmage entendoient,
Et le fierent de renc en renc,
Et Renart s'en va droit es renc.
Une oe saisi par le col,
Et les autres ont fet lor vol
Par desus la meson Poufile.
Lors crie en haut : « Ça ! bele file,
Renart le rous enporte l'oie,
Sire Gonbert n'en avra joie. »
Maintenant celes escrïerent,
Et li vilain qui laienz erent
Saillirent fors isnelement,
Fors que .IIII. tant seulement.
Aprés Renart crïent et huient,
Et tant le chacent con il pueent.
Et cil qui Brun ont en prison
Virent Tybert par la maison.
Li .I. regarde .I. poi en haut,
Si vit Tybert, lors crie en haut :
« Or ça ! compains, je voi Tybert,
Qui a mengié le miel Frobert.
La queue en pert par de defors,
En cel booit en est li cors. »
Par la queue le sache et tire,
Or est Tybert en grant martire ;
Si sont tuit .III. li compaingnon
Chacié de maint vilain gainon.
Renart chacent et Brun batirent,
Tybert de lor piex craventerent.
 Que qu'il entendent a Tybert,
Et Brun saut sus par l'uis overt,
Mau gré trestoz ses anemis,
Se mist li ors el plaiseïs.
Mout se gramente, mout se deut,
Encor tendra Renart, s'il puet,
Qui tot ce li a porchacié.
Et li vilain l'ont mout chacié,
Tybert meinent en grant viltance,
Fere li font la penitance
Del bacon que mengié avoit.
.I. grant pertuis laiens avoit,
Tybert le voit, mout est joianz,
Il i monta lor eulz voianz,
Si s'en refuit et il le chacent,
Mout sont dolent, mout le menacent.
N'est pas remez li chaceïs,
Qu'il sont tuit .III. el plaiseïs.
Brun s'en fuit tote une chariere,
Tybert le siut par de derriere,
Si li a dit : « Sire compains,
Mout par est grant nostre mehains.
Ce m'a fait Renart, biau compere.
Honni soie, se nel compere !
Aussi me ra il fet tant batre
En .II., en quint, en .III., en .IIII.,
Que ma queue i ai perdue,
Et ma teste toute fendue.
Se Renart ainssi s'en estort,
Miex vodroie avoir la mort. »
Tybert s'en fuit et Brun qu'en chace,
Encor n'est pas remés la chace.
Mout le menacent li vilain,
Et Baudrinez le filz Gilain
Dient entr'eus ne fineront
Tant que il trovez les avront.
Et Brun ne dit pas : « Cul, sieu moi »,
Mes : « Se tu puez, pense de toi. »
Il s'adrece par une voie,
Au chastel Renart tint sa voie.
Renart ne doute home ne fame.
Cil sont devant la barbaquane,
Il sont en haut et cil en bas,
Renart lor a gité .II. gas :
« Dant Brun, de Dieu soiez seigniez,
Estes vos de vaine seigniez ?
Vostre braz vos est escrevez,
Je cuit trop tost coru avez.
Et vos, Tybert, ou est la queue ?
Alé estes la male veue.
Por le cuer bieu, qu'avez vos fet ?
Qu'avez vos donc Gonbert mesfet,
Nule chose que je ne sache ?
Avez mengié ne buef ne vache ?
Lessié avez trop riche gage. »
Quant Brun l'oï, par poi n'enrage :
« Renart, dist Bruns, par ceste teste,
Mar i closistes la fenestre. »
Comment Ysengrin alla se plaindre de Renart à la cour du roi Si conme Ysangrin s'ala plaindre de Renart a la cort le roi (9)
Notes de traduction (afficher)

2 commentaires:

  1. Aux v. 5366-67, je ne crois pas qu'on puisse utiliser "vous me semblez crevé" au sens moderne ("épuisé"), d'autant que la ponctuation s'y oppose. C'est le bras de l'ours qui est "crevé", percé. Je propose: "Vous êtes-vous fait saigner ? (ou: Avez-vous subi la saignée ?") Votre bras me semble troué."

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  2. Effectivement, votre proposition est plus fidèle au texte original. Je corrige avec : « vous êtes-vous fait saigner une veine ? vous avez le bras troué »,

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