lundi 30 novembre 2009

Tibert le chat - Le pardon de Renart




« Tibert, fait-il, quel bon vent vous amène ? »
T


ybert, fait il, quel vent vos guie ? »
Tibert prend aussitôt la fuite.
« Holà, Tibert ! lui dit Renart,
ne fuyez pas, n'ayez pas peur,
arrêtez-vous et parlez avec moi.
Souvenez-vous de votre serment.
Croyez-vous donc que je vous haïsse ?
N'ayez crainte, à Dieu ne plaise
que je trahisse un jour ma parole envers vous.
Je ne serais pas venu sur ce sentier aujourd'hui,
si je n'avais pas pensé vous y trouver,
car je souhaiterais m'acquitter de ma promesse.
Quant à votre serment, seigneur Tibert,
ne vous mettez pas en émoi. »
Tibert se retourne, puis s'arrête.
Il lève la tête vers Renart
et se met à aiguiser ses griffes.
Apparemment, il s'apprête plutôt
à se défendre chèrement
si Renart venait à lever la main sur lui.
Mais Renart qui bâille de faim,
n'a cure de livrer bataille.
Il pense à tout autre chose,
et souhaite rassurer Tibert :
« Tibert, fait-il, il y a étrangement
en ce monde des mauvaises gens;
les uns ne veulent pas aimer les autres,
au contraire ils s'acharnent à tromper
leur prochain autant qu'ils peuvent.
Par ma foi, je vous le dis pour sûr,
on ne trouve plus de sincérité
en aucun homme né d'une mère.
Et c'est une chose bien prouvée,
qu'il en supportera le châtiment,
celui qui entreprend de se venger d'un autre.
Je vous le dis à propos d'un prédicateur,
il s'agit de notre compère Ysengrin,
qui est entré dans les ordres récemment.
Il y a peu, il croyait pouvoir tromper
quelqu'un qui finalement l'a trompé.
Pour tout cela, je ne veux pas agir en traître
car on en est mal récompensé.
À tromper ou à mal agir,
je ne vois aucun bon parti prendre.
Les traîtres finissent mal,
et ils n'auront jamais mon affection.
D'autre part, je me suis rendu compte
qu'il est bien méprisé et mal venu,
celui qui ne peut se suffire à lui-même.
Vous avez vite pris la fuite
ce matin, quand vous m'avez vu mourant.
Cependant, j'ai tort de parler ainsi
car cela vous a certainement été pénible.
Honni soit celui qui ne le croira pas
que vous en avez été irrité,
et même rudement fâché.
Mais cela dit, avouez-moi
en toute bonne foi la vérité;
n'avez-vous pas eu un grand chagrin
quand je me suis retrouvé dans un tel tourment,
chevillé dans ce piège,
où les mâtins m'ont harcelé,
et quand le paysan a levé
sa cognée pour me tuer ?
Il a bien cru me livrer à la mort,
mais il a raté son coup,
et je porte toujours ma peau sur moi. »
Tibert répond : « Cela m'est très agréable.
— J'en suis certain, dit Renart,
pourtant, comment se peut-il, seigneur Tibert,
que vous m'ayez précipité de plein gré ?
Mais vous êtes tout pardonné maintenant.
Et je ne le dis pas par félonie.
En vérité vous n'auriez jamais fait ça,
car je pense que personne n'aurait osé le faire.
Il n'y a plus à revenir sur ça maintenant.
Tibert s'excuse mollement
car il se sent coupable envers lui.
Mais Renart, qu'il le veuille ou non,
le manœuvre avec une grande perfidie.
Tibert ne sait quoi lui dire.
Renart lui assure à nouveau
qu'il lui fera désormais confiance,
et Tibert refait sa promesse.
La chose est bien confirmée
mais elle ne durera pas longtemps.
Jamais Renart ne tiendra sa promesse,
et Tibert ne sera pas stupide
au point de croire ce diable vivant
qui n'a ni foi ni loyauté.
Et Tibert prendra garde
qu'il ne lui fasse rien de mal.
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Et Tybert se met a la fuie.
« Avoi, Tybert ! ce dist Renart,
Ne fuiez, ne n'aiez regart.
Arestez vos, parlez a moi.
Soviengne vos de vostre foi !
Cuidiez vos donc que je vos hace ?
N'en doutez pas, ja Dex ne place
Que ja nul jor ma foi vos mente.
Je n'entrasse hui en ceste sente,
Se ne vos cuidasse trouver,
Qar ma foi voudrai aquiter.
Dant Tybert, de la vostre foi,
N'estes vos mie en esfroi. »
Tybert retorne, si s'areste.
Vers Renart a torné la teste,
Et va ses ongles aguisant.
Bien s'apareille par semblant
Que forment se voudra desfendre,
Se Renart li velt le doi tendre.
Mes Renart qui de fain baaille,
N'a cure de fere bataille :
Tout autre chose a empensé,
Mout a Tybert aseüré.
« Tybert, fet il, estrangement
A en cest siecle male gent.
Li .I. ne volent l'autre amer,
Ainz se painnent de bareter
Son compaingnon a son pouoir ;
Par foi je le vos di por voir.
L'en ne trove mes verité
En nul homme de mere né.
Et si est bien chose prouvee
Que cil en porte la colee
Qui s'entremet d'autre vengier ;
Jel vos di por .I. sermonnier.
C'est nostre compere Ysengrin,
Qui de novel a ordres pris.
N'a encor gueres qu'il cuida
Tel engingnier qui l'engingna.
Por ce ne voil estre traïtre,
Que tuit en ont male merite.
De losengier ne de mal fere,
Ne voi je nul a bon chief trere.
Mau chief pranent li traïtor,
Car il n'aront ja mes m'amor !
De tant me sui aparceüz
Que mout est vil et mal venuz
Qui de rien ne se puet aidier.
Tost vos meïstes au frapier
Hui main quant veïstes ma mort,
Et neporquant si ai je tort,
Que certes il vos en pesa.
Honiz soit qui le mescrera
Que vos n'en fussiez corouciez,
Et mout durement aïriez !
Mes neporquant en loiauté
Me connoissiez la verité.
N'eüstes vos grant marrement,
Quant fui chaüz en tel torment
Et chevilliez enz el broion,
Ou me destraintrent li guenon
Et li vilain avoit haucie
Por moi ocirre la coingnie ?
Bien me cuida a mort livrer,
Mes il failli au coup ruer,
Encor port je sor moi ma pel. »
Tybert respont : « Ce m'est mout bel.
— De ce sui, dist Renart, tot cert.
Que pot ce estre, dant Tybert ?
Vos m'i boutastes tot de gré,
Mes or vos soit tot pardonné.
Je nel di pas par felonnie,
Certes vos nel deïssiez mie,
Ne cuit que nus le peüst fere.
Ne fet or mie a retrere. »
Tybert s'escuse molement
Qui vers lui corpable se sent.
Mes Renart, ou il voille ou non,
Le conduit par grant traïson.
Tybert ne set que il li die.
Renart de rechief li afie
Foi a porter d'ore en avant,
Et Tybert refait son creant.
Bien ont la chose confermee,
Mes n'avra pas longue duree.
Ja Renart voir ne li tendra,
Ne Tybert si fox ne sera
Que il croie cel vif maufé
Qui n'a ne foi ne loiauté.
Mes Tybert bien se gaitera
Que de riens ne li mesfera.
Comment Renart prit Chantecler le coq Si conme Renart prist Chantecler le coc (5)
Notes de traduction (afficher)

3 commentaires:

  1. 1849: "lui dit Renart" et pas "lui-dit"
    1857: "vous y trouver" et pas "trouvez"
    1903: "cela dit" et pas "cela-dit"
    Encore merci pour votre travail impressionnant...
    JA

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  2. C'est corrigé. Merci d'avoir signalé les fautes.

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