dimanche 15 novembre 2009

Tibert le chat - Renart pris au piège




«Tibert, fait-il, ça n'est pas très habile,
T


ybert, fet il, n'est pas engins,
votre cheval est trop rétif,
c'est à refaire, chargez donc de nouveau. »
Il s'éloigne un peu,
et court le cou tendu
jusqu'à ce qu'il arrive au piège.
Il ne dévie à aucun moment, et même le franchit.
Renart a vu le saut :
« Tibert, fait-il, je ne sais que dire,
votre cheval est plutôt mauvais.
Il ne vaudrait pas cher à vendre,
à sauter de la sorte. »
Tibert le chat se justifie fermement
contre ce dont seigneur Renart l'accuse.
Il reprend sa course
puis il augmente beaucoup son allure.
Alors qu'il est en plein effort, voici
deux mâtins qui arrivent rapidement.
Ils voient Renart, et se mettent à aboyer.
Tous deux prennent peur
et s'en vont en fuyant par le chemin.
L'un avance en s'appuyant sur l'autre
jusqu'à ce qu'ils arrivent droit sur le lieu
où le piège est tendu.
Tibert le heurte de sa patte gauche,
et Renart tombe dedans de la patte droite,
si bien que la clé saute.
L'engin se referme sans point faillir,
les deux bâtons de buis se resserrent
en faisant très mal à Renart,
car ils lui emprisonnent bien la patte.
Tibert l'a vraiment bien empoisonné,
à le précipiter dans le piège,
là où il se fera battre sur le dos !
Il est en bien mauvaise compagnie à présent,
car Tibert a trahi sa confiance.
Renart est retenu là et Tibert s'échappe.
Il lui crie à pleine voix :
« Renart, Renart, vous restez là,
et moi, je m'en vais tout librement.
Seigneur Renart, le chat n'est pas né d'hier,
votre fourberie vaut bien peu.
Vous resterez ici cette nuit,
à malin, malin et demi. »
Renart est tombé dans une sale embûche,
car les chiens le happent durement,
et le paysan qui arrive derrière,
lève sa hache dès qu'il est assez près.
Il assène son coup de toutes ses forces.
Renart a peur de mourir,
il est complètement effrayé.
Mais le coup s'abat sur le sol,
de telle sorte qu'il fend le piège.
Renart tend sa patte
puis la tire à lui, elle est bien entamée,
mais il prend la fuite tout joyeux.
Il est à la fois malheureux d'être blessé,
et content de ne pas avoir la patte tranchée.
Quand il s'est senti libéré,
il n'est resté là ni étourdi ni ivre de joie,
et il s'est mis aussitôt en fuite.
Le paysan lui crie fortement après
car il se sent bien trompé.
Les chiens accélèrent leur course
et recommencent à aboyer.
Renart n'ose pas se cacher
avant d'avoir passé le bois.
Puis les chiens fatiguent
et retournent sur leurs pas.
Renart s'en va alors sur une route,
il se désole et se lamente beaucoup.
Il souffre énormément et sa plaie lui brûle.
Hélas, il ne sait quoi faire,
peu s'en faut qu'il n'ait perdu la cuisse
qui était bien coincée dans le piège.
Il a eu très peur de la cognée
avec laquelle le paysan voulait le massacrer.
À cause de toutes ces souffrances,
Renart est très tourmenté,
et ressent une grande colère dans son cœur
Renart, qui en connaît beaucoup en ruse,
a pourtant très grand faim,
il reprend sa course en bâillant.
Alors qu'il marche sur le chemin
là où l'aventure le mène,
et qu'il avance avec beaucoup de peine,
éperonné par la douleur,
il aperçoit Tibert qui passe par là,
lui qui l'avait laissé dans le piège.
Il va vers lui, la tête basse.
Il craint que Tibert ne s'en aille.
Alors il laisse leur litige et querelle de côté,
et s'avance vers lui pas à pas
tel celui qui est très fatigué.
Tibert le chat ne s'en rend pas compte,
jusqu'à ce qu'il tombe dans ses filets.
Renart le voit, et tout son corps
en frémit de gourmandise.
Il a un grand désir de se venger de lui,
il voudrait bien prendre sa revanche
pour l'avoir poussé dans le piège.
Mais il ne laisse rien paraître,
bien qu'il ne lui veuille aucun bien,
il lui adresse alors la parole.
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Vostre cheval est trop eschis.
A refere est, or repoingniez. »
Il est .I. petit esloingniez,
Et let corre col estendu
Tant qu'il est au broion venu.
Ne guenchi, onques ainz tressaut.
Renart, qui a veü le saut :
« Tybert, fait il, ne sai que dire.
Vostre cheval est assez pire,
Et por vendre en est mains vaillanz
De ce qu'il est ainssi saillanz. »
Tybert li chaz forment s'escuse
De ce dont dant Renart l'acuse.
Forment a son cors engranié
Et a son cors reconmencié.
Que qu'il s'esforce, es vos a tant
.II. mastins qui viennent batant.
Renart voient, s'ont abaié.
Andui se sont mout esmaié,
Par la sente s'en vont fuiant,
Li un va a l'autre apuiant,
Tant qu'il vindrent au leu tot droit
Ou le broions tenduz estoit.
Tybert le fiert del pié senestre,
Renart chaï enz del pié destre,
Si que la clef en est saillie.
Li engins clot qu'il ne faut mie,
Si serrent li huisset andui.
A Renart ont fet grant anui,
Le pié li ont bien enserré.
Mout l'a Tybert bien enverré,
Quant el broion l'a embatu,
Ou il avra le dos batu.
Ore est mauvese compaingnie,
Que Tybert a sa foi mentie.
Renart s'i tint, Tybert s'en touche,
Si li escrie a plaine bouche :
« Renart, Renart, vos remanez,
Et je m'en vois touz delivrez.
Sire Renart, viex est li chaz,
Petit i vaut vostre baraz,
Illeques demorrez anuit :
Encontre vezïé recuit. »
Or est Renart en male trape,
Que li chien durement le hape.
Et le vilain qui vint aprés
Leva la hache quant vint pres,
Son coup rua de grant aïr.
Peor ot Renart de morir,
Si a esté mout esfreez.
Mes li cox est jus devalez
Si qu'il a le broion fendu.
Renart a son pié estendu,
A soi le tret, mout fu bleciez.
Fuiant s'en va joiant et liez,
Dolent fu qu'il estoit blecié,
Et liez qu'il n'ot le pié trenchié.
Quant il sent que il fu delivres,
Ne fu pas estordiz ne yvres,
Ançois s'estoit mis a la fuie.
Et li vilain forment le huie,
Qui mout se tient a engingnié.
Li chien ont lor cors enforcié,
Si reconmencent a glatir.
Et Renart ne s'osa tapir
Devant qu'il ot le bois passé,
Et lors furent li chien lassé,
Si s'en sont retorné ariere.
Renart s'en vet une chariere,
Mout se demente et mout s'esmaie,
Forment se delt et cuit sa plaie.
Ne set li las que fere puisse ;
A poi qu'il n'a perdu la cuisse,
Qui el broion li fu coingnie.
Grant peor ot de la coingnie
Dont le vilain le volt ocirre.
De l'un et de l'autre martire
Fu dant Renart mout esmaiez,
Et en son cuer mout corouciez.
Renart sot mout de la treslue,
Et mout avoit grant fain eüe,
Se met baaillant au frapier.
Si con il aloit son sentier
Et s'en aloit a mout grant painne,
Si con aventure le mainne,
Poignant de ce qu'il se doloit,
Choisi Tybert qui s'en aloit,
Qui el broion l'avoit lessié.
Vers lui s'en va le col bessié,
Crient soi que Tybert ne s'en voise,
Si lesse son plet et sa noise.
Vers lui s'adresce pas por pas
Conme cil qui mout estoit las.
Ainz n'en sot mot Tybert li chaz
Tant qu'il fu chaoit en ses laz.
Renart le voit, si li formie
Tote la char de lecherie.
Grant talent a de lui vengier,
Mes il se voudroit revengier
Por ce qu'el broion le bouta.
Mes nul semblant ne l'en fera,
Que il li voille se bien non.
Lors l'a Renart mis a raison :
Comment Renart prit Chantecler le coq Si conme Renart prist Chantecler le coc (5)
Notes de traduction (afficher)

5 commentaires:

  1. 1756 : "contre ce que renart l'accuse" me semble incorrect, à remplacer par "contre ce dont..."
    1795 : corriger : de telle sorte...
    1814 : "il souffre" et non "il soufre" !
    1834 "de coté" à remplacer par "de côté"
    1843 "pour l'avoir pousser" à corriger par "pour l'avoir poussé"

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    1. Voilà, c'est corrigé. Merci d'avoir signalé ces fautes.

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  2. 1790: "lève sa hache dès" et non "dés"

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  3. C'est corrigé. Merci d'avoir signalé les fautes.

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