samedi 5 septembre 2020

Le mariage du roi - La culbute de l'ours




— Sire, dit Renart, elle a raison,
S


ire, dist Renart, bien a dit.
ce serait mal de refuser.
Ordonnez à vos bêtes de participer
sans se défiler face à celles de la reine.
Nous les battrons sans faillir,
n’en doutez pas.
— Renart, répond Noble le roi,
tu es plein de sagesse et de prévenance.
Je te charge de cette tâche,
fais en sorte que mon honneur reste intact,
organise les jeux à ta façon.
J’ordonne à tous de suivre
tes instructions sans rechigner. »
Voilà exactement les paroles
que ce trompeur de Renart attendait.
Il va provoquer de belles chutes aujourd’hui !
Renart ordonne qu’on délimite un espace
suffisamment large dans la grand-salle,
pour que les bêtes puissent s’asseoir autour
et tout voir.
Il appelle Brun en premier,
car il n’en voit pas de plus lourdaud que lui.
« Brun, fait Renart, avancez donc.
Je vous demande selon les vœux du roi
de faire une culbute,
dont vous êtes maître en l’art. »
Brun comprend qu’il doit le faire
et qu’il lui est impossible de refuser
d’une manière ou d’une autre.
Il se place au milieu,
arrange sa tenue, lisse son poil,
et se prépare à culbuter.
Il baisse la tête vers le sol,
laisse son cul partir en l’air,
et retombe lourdement par terre.
Peu s’en faut que son ventre si plein n’éclate.
Son trou de balle se desserre et s’ouvre,
et il pète malgré lui
sous les yeux de tous,
tellement la chute est forte.
Toute la salle en retentit,
et tous se mettent à rire.
« Quelle belle culbute, dit la reine,
qui plus est, en jouant de la trompette du cul ! »
Elle fait alors lever une bête
avec une bonne vingtaine de têtes,
et lui demande de faire une démonstration.
Elle arrange sa tenue,
se place bien en évidence,
s’exécute, se retourne parfaitement
avec une grande légèreté,
puis se rassoit tout bonnement.
Tout le monde est d’accord
qu’elle a mieux fait que Brun.
Renart le roux, toujours aussi malveillant,
prépare quatre cerceaux,
deux grands, un moyen,
et un plus petit.
Il les installe l’un devant l’autre
au milieu de la salle,
les fixe solidement,
et vérifie
qu’ils ne tomberont pas lors des sauts.
Tout sauteur qui en rate un est éliminé.
Renart appelle Brichemer
et lui demande de sauter.
Il ne peut choisir de meilleur sauteur
si apte à ce jeu
pour s’exécuter devant le roi.
Seigneur Brichemer se prépare
sans précipitation,
mais il est plus malheureux qu’à son aise.
Il tend la tête et le cou en avant,
et plaque sa queue sur son dos.
Il arrive aux cerceaux, passe à travers les deux premiers,
commence à fatiguer au troisième,
et se retrouve coincé dans le quatrième,
la gueule grande ouverte d’être si serré,
qu’il croit son heure arrivée.
Son ventre est tellement rempli
que Brichemer se sent mal.
Il le rentre et son trou de balle s’ouvre,
une bouse en jaillit,
et Renart, en train de le sermonner par-derrière,
se la prend en pleine face.
Brichemer finit par s’extirper
à grand-peine.
Renart, recouvert de merde,
se sent honteux et malheureux,
au grand plaisir de tous,
qui ne se privent pas de manifester leur joie.
La reine appelle une bête,
puis lui ordonne de se préparer à sauter.
Elle s’y prend parfaitement, sans faillir,
saute et passe à travers,
avec grâce et légèreté.
Tous s’écrient : « Elle a mieux sauté
que celle qui a souillé Renart. »
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Ja mar i avra contredit.
Conmandez que voz bestes jeuent,
C'onc vers elles ne detrieuent.
Nos les vaincrons tot sanz faillance,
Ja mar en averez doutance.
— Renart, ce dist Noble li rois,
Mout par es sages et cortois.
Ge met sor toi tot cest afere,
Gardes qu'en saches m'onor trere.
Assié les giex a ton talant,
Et jel conmant sanz mautalant
Qu'en sivent trestuit vostre asise. »
Or est la parole ainsi prise
Conme Renart le velt li faux.
Encui fera fere biax saux.
Renart conmande faire parc
En mi la sale grant et larc,
Et viengnent les bestes seoir
Por plus plenierement veoir.
Brun apele tot premerain,
Ne veoit plus legier ferain.
« Brun, fet Renart, venez avant.
De par le roi je vos conmant
Que vos tumbez por sa proiere ;
Tot en savez le majestiere. »
Bruns ot que tumber li estuet,
Que escondire ne s'en puet
Que totes voies ne le face.
Venuz en est en mi la place.
Mout s'acesme, mout s'aplanie
Et de bien tumber s'amanie.
La teste lesse a terre aler
Et puis lesse le cul aler,
Si durement vient a la terre.
Le pertuis eslesse et desserre,
Que si ert plain, par poi ne crieve.
Et li tumbers si fort li grieve,
Mau gré sien li estuet peoir,
Si que tuit le porent veoir.
Toute la sale en rebondist,
Chascune des bestes en rist.
 « Cist tumbe bien, fet la roïne,
Que au tumber du cul buisine. »
Lors a fet lever une beste ;
Bien avoit .XX. et une teste.
Conmande qu'ele face .I. tor ;
Cele apareille son ator.
Voiant toz en la place vient,
Si fet son tor que bien revient.
Mout par le fist legierement,
Puis s'est assise bonement,
Tuit la tesmoignent entresait
Que miex de Brun a le tor fait.
Renart li rous qui en mal veille
.IIII. cerciaus lor apareille,
Les .II. larges et .II. estrois.
Li un fu plus petit des trois.
En la place les a assis,
L'un avant l'autre les a mis ;
Il les a couchié roidement.
Il voit tres bien entierement
Que pas ne charront por le saut.
Se l'un saut, li saillieres faut.
Renart apele Brichemer,
Por saillir le rueve acesmer.
N'en i choisi nul si saillant
Ne a cele euvre si vaillant
Le saut face devant le roi.
Danz Brichemer tot sanz desroi
Du saillir s'est apareilliez,
Mes plus en fu dolenz que liez.
La teste et le col avant tent,
Sa queue sor son dos estent.
Vient aus cerciaus, les .II. en passe,
Mes au tiers durement se lasse.
Li quarz le pardestraint si fort
Que bien en cuide avoir la mort,
Si le destraint qu'il en baaille.
Trop se fu empliz de vitaille,
Mout fu Brichemer a malaise.
Ventres estraint et trou eslesse.
Renart le semont par derriere.
Li boillons saut de la doiere
Qui Renart fiert en mi le vis.
A grant poines et a envis
Est Brichemer outre glaciez.
Mes Renart fu toz conchïez
Que honteus en est et dolenz.
Mes mout en i a de joianz,
Grant joie en mainent et grant feste.
La roïne apele une beste,
Si li conmande qu'ele saille.
Tres bien s'i gart qu'ele n'i faille ;
Cele saut acesmeement,
Outre s'en va legierement.
Tuit s'escrient : « Miex a sailli
Que cil qui Renart mesbailli. »
Le mariage que Renart fit au roi Noble le lion Ci conmance le mariage que Renart fist au roi Noble le lyon (M24)

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