ce serait mal de refuser. Ordonnez à vos bêtes de participer sans se défiler face à celles de la reine. Nous les battrons sans faillir, n’en doutez pas. — Renart, répond Noble le roi, tu es plein de sagesse et de prévenance. Je te charge de cette tâche, fais en sorte que mon honneur reste intact, organise les jeux à ta façon. J’ordonne à tous de suivre tes instructions sans rechigner. » Voilà exactement les paroles que ce trompeur de Renart attendait. Il va provoquer de belles chutes aujourd’hui ! Renart ordonne qu’on délimite un espace suffisamment large dans la grand-salle, pour que les bêtes puissent s’asseoir autour et tout voir. Il appelle Brun en premier, car il n’en voit pas de plus lourdaud que lui. « Brun, fait Renart, avancez donc. Je vous demande selon les vœux du roi de faire une culbute, dont vous êtes maître en l’art. » Brun comprend qu’il doit le faire et qu’il lui est impossible de refuser d’une manière ou d’une autre. Il se place au milieu, arrange sa tenue, lisse son poil, et se prépare à culbuter. Il baisse la tête vers le sol, laisse son cul partir en l’air, et retombe lourdement par terre. Peu s’en faut que son ventre si plein n’éclate. Son trou de balle se desserre et s’ouvre, et il pète malgré lui sous les yeux de tous, tellement la chute est forte. Toute la salle en retentit, et tous se mettent à rire. « Quelle belle culbute, dit la reine, qui plus est, en jouant de la trompette du cul ! » Elle fait alors lever une bête avec une bonne vingtaine de têtes, et lui demande de faire une démonstration. Elle arrange sa tenue, se place bien en évidence, s’exécute, se retourne parfaitement avec une grande légèreté, puis se rassoit tout bonnement. Tout le monde est d’accord qu’elle a mieux fait que Brun. Renart le roux, toujours aussi malveillant, prépare quatre cerceaux, deux grands, un moyen, et un plus petit. Il les installe l’un devant l’autre au milieu de la salle, les fixe solidement, et vérifie qu’ils ne tomberont pas lors des sauts. Tout sauteur qui en rate un est éliminé. Renart appelle Brichemer et lui demande de sauter. Il ne peut choisir de meilleur sauteur si apte à ce jeu pour s’exécuter devant le roi. Seigneur Brichemer se prépare sans précipitation, mais il est plus malheureux qu’à son aise. Il tend la tête et le cou en avant, et plaque sa queue sur son dos. Il arrive aux cerceaux, passe à travers les deux premiers, commence à fatiguer au troisième, et se retrouve coincé dans le quatrième, la gueule grande ouverte d’être si serré, qu’il croit son heure arrivée. Son ventre est tellement rempli que Brichemer se sent mal. Il le rentre et son trou de balle s’ouvre, une bouse en jaillit, et Renart, en train de le sermonner par-derrière, se la prend en pleine face. Brichemer finit par s’extirper à grand-peine. Renart, recouvert de merde, se sent honteux et malheureux, au grand plaisir de tous, qui ne se privent pas de manifester leur joie. La reine appelle une bête, puis lui ordonne de se préparer à sauter. Elle s’y prend parfaitement, sans faillir, saute et passe à travers, avec grâce et légèreté. Tous s’écrient : « Elle a mieux sauté que celle qui a souillé Renart. » | 27548 27552 27556 27560 27564 27568 27572 27576 27580 27584 27588 27592 27596 27600 27604 27608 27612 27616 27620 27624 27628 27632 27636 27640 27644 | Ja mar i avra contredit. Conmandez que voz bestes jeuent, C'onc vers elles ne detrieuent. Nos les vaincrons tot sanz faillance, Ja mar en averez doutance. — Renart, ce dist Noble li rois, Mout par es sages et cortois. Ge met sor toi tot cest afere, Gardes qu'en saches m'onor trere. Assié les giex a ton talant, Et jel conmant sanz mautalant Qu'en sivent trestuit vostre asise. » Or est la parole ainsi prise Conme Renart le velt li faux. Encui fera fere biax saux. Renart conmande faire parc En mi la sale grant et larc, Et viengnent les bestes seoir Por plus plenierement veoir. Brun apele tot premerain, Ne veoit plus legier ferain. « Brun, fet Renart, venez avant. De par le roi je vos conmant Que vos tumbez por sa proiere ; Tot en savez le majestiere. » Bruns ot que tumber li estuet, Que escondire ne s'en puet Que totes voies ne le face. Venuz en est en mi la place. Mout s'acesme, mout s'aplanie Et de bien tumber s'amanie. La teste lesse a terre aler Et puis lesse le cul aler, Si durement vient a la terre. Le pertuis eslesse et desserre, Que si ert plain, par poi ne crieve. Et li tumbers si fort li grieve, Mau gré sien li estuet peoir, Si que tuit le porent veoir. Toute la sale en rebondist, Chascune des bestes en rist. « Cist tumbe bien, fet la roïne, Que au tumber du cul buisine. » Lors a fet lever une beste ; Bien avoit .XX. et une teste. Conmande qu'ele face .I. tor ; Cele apareille son ator. Voiant toz en la place vient, Si fet son tor que bien revient. Mout par le fist legierement, Puis s'est assise bonement, Tuit la tesmoignent entresait Que miex de Brun a le tor fait. Renart li rous qui en mal veille .IIII. cerciaus lor apareille, Les .II. larges et .II. estrois. Li un fu plus petit des trois. En la place les a assis, L'un avant l'autre les a mis ; Il les a couchié roidement. Il voit tres bien entierement Que pas ne charront por le saut. Se l'un saut, li saillieres faut. Renart apele Brichemer, Por saillir le rueve acesmer. N'en i choisi nul si saillant Ne a cele euvre si vaillant Le saut face devant le roi. Danz Brichemer tot sanz desroi Du saillir s'est apareilliez, Mes plus en fu dolenz que liez. La teste et le col avant tent, Sa queue sor son dos estent. Vient aus cerciaus, les .II. en passe, Mes au tiers durement se lasse. Li quarz le pardestraint si fort Que bien en cuide avoir la mort, Si le destraint qu'il en baaille. Trop se fu empliz de vitaille, Mout fu Brichemer a malaise. Ventres estraint et trou eslesse. Renart le semont par derriere. Li boillons saut de la doiere Qui Renart fiert en mi le vis. A grant poines et a envis Est Brichemer outre glaciez. Mes Renart fu toz conchïez Que honteus en est et dolenz. Mes mout en i a de joianz, Grant joie en mainent et grant feste. La roïne apele une beste, Si li conmande qu'ele saille. Tres bien s'i gart qu'ele n'i faille ; Cele saut acesmeement, Outre s'en va legierement. Tuit s'escrient : « Miex a sailli Que cil qui Renart mesbailli. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire