« Mettez une selle sur Ronel, puis faites un galop de charge, le palais est assez large. » On lui apporte une bride et une selle magnifique, entièrement décorée en or, qu’on installe sur Ronel, et le singe monte dessus. « Montrez-leur ! seigneur Cointereau, vengez-nous de ce fiasco. Piquez bien des éperons pour que le mâtin le sente bien. » Le singe se prépare, Renart lui donne des éperons en acier bien pointus, qu’il attache à ses talons. Il prend son petit écu à l’effigie d’un lion, et l’accroche sous le cou sur le côté gauche. Il met la bride autour de la tête de Ronel pour pouvoir le tenir à sa merci. Cointereau monte son destrier sans daigner utiliser les étriers. Il met son épée à la ceinture, et s’élance au galop à travers la grand-salle, lance levée. Mais ce jeu ne plaît pas du tout à Ronel, éperonné par seigneur Cointereau à grands coups qui lui font gicler le sang. Il a les flancs très enflés tellement il a bu et mangé, on dirait qu’il s’est fait engrosser. Seigneur Cointereau le maltraite si fort, que sa panse est sur le point d’éclater. Il croit qu’il va mourir, mais finit par se vider copieusement par le cul. Le singe le frappe devant et derrière, et tire la bride en arrière. Il lui esquinte complètement la gueule alors que l’autre ne lui a jamais fait de mal. Seigneur Cointereau baisse sa lance, et s’élance à toute allure. Il frappe durement, avec fureur, mais manque de tomber et brise sa lance. Il retourne à son point de départ et recommence à charger. Il éperonne Ronel et lui perce la peau un peu partout. Le sang jaillit en filets à une bonne vingtaine d’endroits. Une fois la charge terminée, il descend de sa monture. Tous disent alors : « C’est pas mal, mais sa monture était trop lourde. » Deux des bêtes enchantées montent aussitôt sur deux autres. Elles se démènent dans un grand vacarme, joutent parfaitement, brisent leurs lances, puis retournent s’asseoir à leur place. Noble dit : « Voilà une belle joute ! Renart, nous ne rattrapons pas notre retard. Veillez à sauver notre honneur ! — Sire, répond Renart, avec joie ! » Renart sort de la grand-salle, dévale l’escalier, et entre dans une cabane donnant sur la cour. Grâce à sa magie, il fabrique une corde plus lourde qu’un fardeau de paysan, puis remonte dans le palais. « Tibert, viens ici, dit Renart en le flattant, tu es bon et valeureux, monte cette corde au plafond et attache-la. » Même menacé de pendaison ou de noyade, le chat ne pourrait pas la porter tout seul, car il n’est pas assez fort. Renart lui donne un coup de main pour l’attacher aux poutres, mais il lui prépare un sale coup. Renart somme alors Tibert de la parcourir d’un bout à l’autre, et ce sera tout. Tibert pense pouvoir s’en tirer car il s’y connaît dans ce domaine, à condition toutefois que la corde soit bien faite et non enchantée. Habitué à grimper, il monte facilement jusqu’aux poutres. Alors qu’il croit sauter sur la corde, il rate son coup malgré lui et fait une vilaine chute. Il descend en piqué, s’écrase par terre en beauté, et grimace de douleur en serrant les dents. Il a bien failli casser sa pipe ! Puis il tombe dans les pommes, et gît au milieu de la salle dans un sale état. Une des bêtes enchantées de Renart, fort habile et bien dressée, monte sur la poutre, saute sur la corde, et fait un aller-retour sans tomber. Quand Rousseau l’écureuil voit ça, il se sent honteux, et aussi très peiné par la chute de Tibert le chat. « Seigneur Renart, dit-il, écoutez-moi, laissez-moi courir dessus. — Taisez-vous malheureux ! répond-il, vous feriez une folie. » Après une telle réprimande, Rousseau n’ose plus rien dire et se tait, mais Noble le lion s’énerve. Furieux, il appelle Renart en jurant du fond du cœur et de ses entrailles : « Renart, tu m’as trahi avec tes jeux, il n’y a rien à en tirer ! Bon sang de bois, sache que je veux que tu me fasses toi-même sur-le-champ une démonstration qui les impressionne. » Renart comprend, sous les jurons du roi, qu’il doit garder une juste mesure. Il répond qu’il va essayer de le faire selon sa volonté. Il monte en haut du palais pour y faire un de ses tours. Il s’assoie sur le toit, et tout le monde sort pour le voir. Il dit une formule magique sans que personne ne l’entende, et invoque l’aide du diable pour qu’il ne lui arrive rien de mal. Il se dresse sur ces pattes, siffle un coup, et une bête noire arrive. Il sait alors qu’il pourra s’en tirer à bon compte. Il se laisse tomber en criant à pleine voix : « Atterrissage en douceur ! » Grimbert son cousin fond en larmes, croyant qu’il est devenu fou. Mais Renart vole grâce au diable, et retombe sur ses pieds sain et sauf. Tous font le signe de croix. Il se dirige vers la reine et lui dit en insistant : « Madame, c’est au tour de l’un des vôtres ! — Renart, répond-elle, à quoi bon ? Je ne veux pas tuer les miens, je vais vous montre ce que je sais faire. » | 27648 27652 27656 27660 27664 27668 27672 27676 27680 27684 27688 27692 27696 27700 27704 27708 27712 27716 27720 27724 27728 27732 27736 27740 27744 27748 27752 27756 27760 27764 27768 27772 27776 27780 27784 27788 27792 27796 | « Metez la sele en Roonel, Si nos ferez ci .I. eslés ; Assez est larges li palés. » On li aporte frain et sele Tote a or painte, mout fu bele ; Si ont Roonel enselé. Et quant li singes fu monté : « Or i parra, dant Cointerel, Vengiez moi bien de ce wadel. Coitiez le bien des esperons Si que le sente li gaignons. » Li singes tres bien s'apareille ; Renart uns esperons li baille Qui sont agu de bon acier. En ses talons li a fichiez, Son escucel a lion prent, A senestre a son col le pent. Met Roonel le frain el chief Qu'il le puist tenir a meschief. Cointeriaux monte a son destrier, Ne se deigna prendre a estrier. A son costé ceint a l'espee, Galopant va lance levee, Par la sale fait son eslais. A Roonel fu cist gieus lais, Que danz Cointeriaus l'esperonne. Des esperons granz cops li done Que il en fet voler le sanc. Il avoit mout farsi le flanc, Que tant a beü et mengié. Vis est c'on l'eüst enpreignié. Danz Cointeriaus si fort le grieve, Par .I. petit que il ne crieve, Et sachiez que morir i cuide, Vilainement du cul se wide ; Cil fiert devant et fiert derriere Et retire le frain arriere. Toute la gueule li desfait, Si ne li avoit riens mesfait. Danz Cointeriaus sa lance besse, Par grant aïr forment s'eslesse. Durement fiert par grant aïr, Mes mout estoit pres de cheïr ; Sa lance brise, puis repaire. Son eslais reconmence a faire, Des esperons fiert Roonel, En meint leu li perce la pel. Le sanc en vole fils a fils En plus de .XXIIII. lius. Quant il a ses eslais renduz, De son cheval est descenduz. Tuit dient : « Cist n'est pas vilains, Mes ses chevaus estoit trop plains. » .II. des bestes d'enchantement Sont remontees erranment Desor .II. de lor autres bestes. Mout demenoient granz tempestes Et jostent bien, lor lances brisent ; A lor leus vont, si se rasisent. Ce dist Noble : « Cist jostent bien. Renart, nos ne venchons de rien. Prenez garde de nostre honeur ! — Sire, dist Renart, a beneur ! » Renart issi hors de la sale, Par mi les degrez en avale, En la cort entre en une borde. Par enchant i fet une corde, — .I. vilain i eüst son fais — A tot est venuz el palais. « Tybert, ce dist Renart, ça vien. En toi a mout proesce et bien, — Or oez conment il l'aborde — Portez moi la sus ceste corde En haut la vos estuet lïer. » Qui le deüst pendre ou noier, Ne l'i portast il par son cors, Que il n'estoit mie si fors. Mes Renart l'en a fet aiue, Qu'il en tendra mavese feue. Sor les trez l'ont lie a mont. Renart dit Tybert et semont Qu'il la queure de chief en chief. Ainsi quite tendra son chief. Tybert quide estre respassez, Que de cest gieu set il assez, Se la corde fust bien ovree, Que par enchant ne fust trovee. Tybert fu sus les trez montez Qui de ramper fu bien dantez. Sus la corde cuide saillir, Mes mau gré sien l'estut faillir Et cheoir mout vilainement. De cul et de pointe descent, Merveilleus flat prist a la terre, D'angoisse eschigne, les denz serre. Par poi n'est crevee sa male. Toz pasmez chiet en mi la sale ; A grant malaise Tybert gist. Une beste que Renart fist, Que bien ot aprise et dantee, Sus le travers en est montee, Aprés sor la corde sailli, Cort et racort ; ainz ne failli. Voit le Roussiaus li escureus. Toz fu honteus, si ot granz deuls Por ce que danz Tybert cheï. « Sire Renart, dist il, oï. Laissiez me corre la deseure. — Taisiez vos, dist il, en maleure ! Vos vos presentez de folie. » Roussiaus entent qu'il le chastie, A tant se taist, n'ose plus dire, Et Noble li lions s'aïre. Par mautalent Renart apele, Jure le cuer et la boele : « Renart, ti gieu m'ont hui traï, Onques bien ne nos en chaï. Mes, par mon chief, tres bien le saches. Je vueil que tu .I. gieu me faces Du cors de toi sanz delaier, Dont tu les faces esmaier. » Renart ot que ses sires jure, Si l'en convient garder mesure, Et dit, s'il puet, qu'il le fera, A son voloir se maintenra, Montez en est en son palés, Il fera ja .I. de ses lais. Sus la feste se va seoir, Tuit en issent por li veoir, Ses conjures dist mot a mot, Et apele que nus ne l'ot, Les vis deables qu'a lui viegnent Et si belement le sostiegnent Que il n'i soit .I. point grevez. Puis est Renart en piez levez, .I. petit siffle sor le feste ; Voit venir une noire beste. Or est seürs de son afaire Qu'il en porra a bon chief traire. Venir s'en lesse trebuchant Et a plaine gueule huiant Et crie : « Ce desouz de seure ! » Et Grimbert ses cousins en pleure, Qu'il crient qu'il ne soit afolez. Mes par deable estoit volez, Si que toz sainz en piez remaint. N'i a celi qui ne s'en saint. Devant la dame vint arriere, Puis parole en tel maniere : « Dame, fetes fere cest saut. — Renart, fet ele, ne me vaut, Moi meïsmes convient joer ; Je ne vueil pas ma gent tuer. » |
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