les choses se présentent mal pour lui, car chacun tient un pilon ou une massue. Renart en a des sueurs froides, tandis qu’ils frappent l’un après l’autre. « Quel malheur ! se dit-il, mais que m’arrive-t-il ? Est-ce ainsi qu’on enseigne la magie ? Je ne mérite pas une telle pénitence. Je n’ai presque rien fait, et j’ai déjà reçu tant de coups. » Que dire d’autre ? Ils le battent tellement qu’il s’écroule par terre comme mort. Mais, Renart gît la gueule ouverte pour les tromper. Il n'est pas mort du tout, et les observe du coin de l’œil, en essayant d’entendre ce qu’ils racontent. « Prenons-lui la peau, dit l’un, je vais lui enlever avec un couteau. — En fait, on a eu tort, dit le maître, on aurait pu le nourrir tout l’été jusqu’en hiver, si on l’avait gardé vivant. La saison venue, son poil serait épais et bien blanc, et vaudrait beaucoup plus que maintenant. Ah, si seulement il pouvait revenir à lui ! Dieu m’est témoin, on ne le laisserait pas mourir tant qu’il serait ici. » Quand Renart entend qu’il peut s’en tirer sans qu’on lui fasse souffrir le martyre, et être juste emprisonné en attendant d’avoir son poil d’hiver, il est content comme tout. Alors, il s’étire un peu vers le feu, et pousse un grand soupir. Le maître pousse un juron : « Par le Saint-Esprit, il n'est pas mort ! Vite, aidons-le ! » Ils lui font avaler de grandes gorgées de lait bien chaud, et réussissent à ressusciter ce diable de Renart, puis l’attachent à une chaîne. Le maître prie ses domestiques de lui donner beaucoup à manger pour qu’il se rétablisse rapidement jusqu’à sa guérison complète. Sans rancœur ni méchanceté, Renart se comporte tout simplement et tout bonnement dans la maison. Il peut alors apprendre la nécromancie, alors qu’il le prenne en pitié. Chaque jour, allongé dans la classe, il écoute tout ce que le maître dit. Il est très sage et très attentionné. Il ne laisse pas ses oreilles tomber, mais les tient bien droites, et écoute à la fois concentré et perplexe. Il en apprend tellement qu’il devient très savant. Il n’est plus une bête sauvage, à leurs yeux, mais bel et bien apprivoisé, et le laisse aller et venir dans la maison. Une nuit, il se lève de son coin, pour suivre le maître qui se dirige vers la cave. C’est là qu’il se ressource auprès d’un grand crâne vide recouvert de cuivre, et qu’il prend conseil, seul et en secret. « Seigneurs, dit le maître, aidez-moi. J’ai de nombreux amis initiés à votre art, pour qui, ça ne vaut ni un bout de gras, ni une boule de suif, car ils n’arrivent pas à s’en servir, ce qui les rend malheureux et déconcertés. » La tête lui répond : « Maître, vous avez pourtant étudié des jours et des jours, et vous ne comprenez pas pourquoi ils ne peuvent rien en faire ? Alors écoutez-moi, je vais vous le dire, car jamais je ne vous mentirai. Pour qui veut bien pratiquer cet art, il doit tôt ou tard se mettre au-dessus du trou des cabinets, sans faire ni dire le signe de croix. Et s’il est prêt à nous faire confiance, il doit y sacrifier un coq des marais ou un chat noir, qu’il aura acheté s’il n’a pu le voler. Il dira ensuite sans autre discours : “ Écoutez, vous tous, diables de l'enfer, ceci est fait en votre honneur, car vous êtes les maîtres de ce pouvoir ! ” et il jettera son sacrifice dedans. Libre à lui de sortir ou rester dans les cabinets, mais malheur à lui s’il fait d’autres prières. Il pourra alors tout faire avec son pouvoir. » Puis, la tête n’ayant rien à ajouter et se tait. Renart retient tout ce qu’il peut. Le maître remonte sans délai dans la maison, et Renart se tient un peu à l’écart en attendant qu’il en sorte. Puis, Renart qui ne respecte rien, et fait mauvais usage de tout, s’empare du coq de la maison, qui est à portée de main. Il va ensuite dans les cabinets faire son tour de passe-passe comme le crâne lui a appris. Puis, il part sans demander congé. Il dit les formules magiques et invoque les esprits. On ne peut plus le retenir, et avec l’aide du vent, il arrive à Maupertuis en une heure. Il y retrouve sa femme en larmes, prise de remords d’avoir envoyé son mari déjà si éprouvé, aussi loin. Mais, il la rassure complètement en lui racontant son aventure, et ajoute qu’il est fin prêt, car il connaît tous les tours de magie. Et gare à ceux qu’il hait, car il leur arrivera malheur sous peu ! Ils font alors la fête jusqu’au petit jour. | 27068 27072 27076 27080 27084 27088 27092 27096 27100 27104 27108 27112 27116 27120 27124 27128 27132 27136 27140 27144 27148 27152 27156 27160 27164 27168 27172 27176 27180 27184 27188 27192 27196 | Au conmencier a male estraine. Chascuns tient pesteil ou maçue ; De la poor Renart tressue. Qui primes vint, primes i fiert, « Las, pense Renart, ce que iert ? List on ainsi de nigromance ? Trop en ai ja grief penitance. Encor n'en ai gueres ouvré, S'en ai ja maint cop recouvré. » Qu'en diroie ? tant l'ont batu, Por mort l'ont a terre abatu. Renart se gist gueule baee, Auques a cele gent gabee. N'estoit pas mort du tot en tot, Ainz prenoit bien a euls escot. Oïr voloit que il diroient Et que de lui deviseroient. « Prenons en, dist li uns, la pel, Je li toudrai a .I. coutel. — Mal avons fet, ce dist le mestre, Que tot vif le peüsson pestre Jusqu'a yver aprés esté, Se vif l'eüssons arresté. Adont fust sa seson venue Et sa gorge blanche et chanue ; Miex vausist que ne fet assez. Que fust il ore respassez ! Si m'aïst Diex, mes ne morroit, Tant con ici vivre porroit. » Quant Renart ot q'ainsi puet vivre, De mort ne le fera nus cuivre, Ainçois le tendront em prison Tant que sa pel soit en seson, Or est si liez q'ainz si ne fu. .I. petit s'estent vers le fu, Et agité .I. grant soupir. Li mestres jure saint Espir : « N'est mie morz, or li aidons. » Let li gietent a granz randons En la gueule tot eschaufé, Si respasserent le maufé. D'une chaane l'ont lïé. Le mestre a ses serjanz prïé Qu'a mengier li doingnent assez Tant que il soit toz respassez ; Il si firent tant qu'est gueriz. Or ne fu fel ne esmarriz, Ainz se contient mout simplement En l'ostel et mout bonement. Or puet aprendre d'ingromance, Que assez li font de pitance. Chascun jor en l'escole gist Et ot quanque le mestre dist. Mout fu sages et entendanz, N'ot pas les oreilles pendanz, Ainz les tient droites et escoute Mout parfont pense que il doute. Tant en aprist que toz fu sages, Si n'estoit pas entr'eus sauvages, Ainz estoit mout aprivoisiez ; Par l'ostel aloit deslïez. Une nuit se leva de l'estre, Si s'en ala aprés le mestre En une voute desouz terre, Ou il aloit son savoir querre A une grant teste cavee Qui estoit de cuivre gitee. A cele prenoit ses conseulz Les plus privez et les plus seus. « Barons, dist le mestre, que doit ? Meint compaignon ai orendroit Qui assez sevent de vostre art. Ne lor vault denree de lart Et non fet il demie d'oint, Qu'il n'en pueent savoir .I. point, S'en sont dolent et confondu. » La teste li a respondu : « Mestre, meint jor lit en avez Et plus encor, si n'en savez Ne ne poez par vos trover Que doit qu'il n'en pueent ovrer. Or m'entendez, gel vos dirai, Que ja ne vos en mentirai. Qui bien velt ovrer de cest art Venir l'estuet ou tempre ou tart Au trou d'une chambre privee. Croiz ne soit fete ne nomee ! Mes si se velt en nos fïer, Illeques doit sacrefïer D'un coc marchois ou d'un noir chat. Qui nel puet embler, si l'achat. Aprés die sanz autre fable : “Oiez, d'enfer tuit li deable, “De ceste oevre soiez seignor “Et si soit fet en vostre honor !” La dedenz giet son sacrefice, Aprés, s'il velt, de la chambre isse ; Ja mar fera autre proiere. Tot puet faire son majetiere. » Ne volt plus dire, si se tut. Renart retint ce que il put. Li mestres sanz arrestoison Est revenuz en sa meson. .I. petitet s'est tret en sus Tant que le mestre en fu issus. De son acostement n'a cure. Fet i a male norreture, Qu'il a pris le coc de l'ostel. N'en savoit nul ci pres ne tel. A tant s'en va a la longaigne, Ilec a fet sa barbacane Si con la teste l'ot apris. Puis s'en va, congié n'i a pris, Fist ses charmes et ses caraudes, Ses conjuremenz et ses laudes. Ainz puis ne pot estre tenuz, Avec le vent s'en est venuz A Malcrues en une seule eure, Ou sa fame trova qui pleure Par la dolor de son mari, Qu'en envoia si esmarri, Mes il l'a bien reconfortee, S'aventure li a contee. Dit bien avra toz ses ators, D'enchantement set toz les tors. Or se gart bien que il harra, Qu'assez tost li en mescherra. Grant joie ont ensemble menee Tant que ce vint a la jornee. |
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