lundi 17 août 2020

Le mariage du roi - L'arrivée en Espagne




Sur ce, la cour se retire,
A


tant toute la cort depart.
et Renart part de son côté.
Il échappe à la justice une fois de plus.
De retour chez lui,
il demande conseil à sa femme,
qui se faisait du mouron pour lui.
Elle lui fait la fête,
mais la joie est de courte durée,
quand il lui raconte toute l'affaire.
Renart ne sait plus à quel saint se vouer,
car il ne pense pas être à l’abri
à moins de quitter le pays rapidement.
Après mûre réflexion, Dame Hermeline,
une jeune femme vraiment très avisée,
lui conseille de parfaire ses connaissances
en apprenant la nécromancie :
« Allez à Tolède en Espagne,
où l’on s’y connaît le plus.
C’est un art qui permet,
lorsqu’on le maîtrise bien,
de faire tout ce que l’on veut,
c’est l’art de l’enchantement.
Si vous l’apprenez,
vous pourrez alors
faire ce que vous avez promis au roi
grâce à la magie. »
Renart sait que sa femme
est toujours de bon conseil.
« Madame, fait-il, vous me conseillez
toujours au mieux,
j’irai donc là où vous me dites,
mais, je dois vous laisser seule.
Veillez alors à ce que votre maison
soit toujours bien pourvue,
et vos terres bien tenues,
car je ne sais ni quand, ni si
je reviendrai,
ni quelles trouvailles je ferai. »
Là-dessus, il étreint sa femme tendrement,
puis l’embrasse et la quitte.
Elle est inquiète par l’ampleur de sa besogne,
et prie Dieu qu'il le guide.
Renart avance du mieux qu’il peut,
car il le faut bien.
Il traverse collines et vallées,
bois et forêts,
cols et défilés.
Habile et rusé,
il chasse la nuit
pour qu’on ne le voie pas.
Après plusieurs jours
passés sur les routes,
il arrive en terre d’Espagne.
Il lève la patte et se signe sur le front,
en remerciant Dieu
de l’avoir guidé jusque-là.
Puis, il suit la trace d'une charrette,
et atteint Tolède de nuit.
Il monte par les rues
entre de hautes maisons collées les unes aux autres.
Il avance en cachette, toujours sur ses gardes,
car il redoute beaucoup
de se faire attaquer par un chien ou une autre bête.
Il a tellement faim qu’il en baille,
et se met en quête de viande ou de restes.
Il mangerait volontiers une poule
pour son dîner.
Sachant parfaitement ouvrir
les cages et les poulaillers,
il se faufile entre les haies et les clôtures.
Mais il va bientôt récolter une volée de coups.
Il tombe par hasard sur la demeure
d’un maître en nécromancie,
qu’on appelle maître Henri,
et qui ne se méfie pas de Renart.
Il a mis des chapons bien gras
dans une cage à côté du feu.
Renart les a flairés,
mais il ne voit pas de passage.
Il se met à gratter sans hésiter
sous le seuil de la porte,
car il veut à tout prix
entrer à l’intérieur
pour se remplir le ventre de chapons.
À force de gratter,
il réussit à faire un petit trou
dans lequel il se glisse
et se retrouve dans la maison.
Succombant à la gourmandise,
il se laisse guider par son flair
sans avoir besoin d’invoquer Sainte Marie.
Il arrive droit sur la cage,
brise l’un des barreaux avec ses dents,
passe sa tête à l’intérieur,
puis les reste de son corps.
Mais il n’en sortira pas si facilement
s’il se fait surprendre.
Il saisit un chapon à pleines dents,
qui se met à crier de toutes ses forces.
Les domestiques de la maison alertés
par le vacarme se lèvent aussitôt.
Ils tombent rudement sur Renart,
tandis que leur maître s’écrie :
« Par tous les saints de Dieu, c’est un goupil !
Fils de pute ! Allez à la porte,
il y a un trou sous le seuil.
Je l’ai vu dans mon sort.
Honte à nous s'il nous échappe ! »
Il saute de son lit à son tour
pour assister à la course-poursuite et à la punition
que ses valets collent à Renart,
sorti tardivement de la cage.
Pas de chance, la pièce est bien éclairée,
et le trou a été rebouché.


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Renart s'en torne d'une part
Qui a cort dut estre traïz,
Revenuz est en son païs
A sa fame prendre conseil
Qui por lui est en grant esveil.
Por lui a grant joie menee,
Mes mout li a corte duree,
Que tot li a conté l'afaire.
Ne sevent preu a quel chief trere.
Ce dist Renart, guerir ne cuide,
Se trestot le païs ne wide.
Porpensa soi dame Hermeline
Qui mout par fu sage meschine.
Loé li a que se science
Mete a aprendre d'ingromance :
« Jusqu'en Espaigne vos allez,
A Tolete en set on assez.
Ce est un ars de tel maniere
Que qui bien en set la maniere
Tot fait a son conmandement,
Que ce est l'art d'enchantement.
Se de cel art apris avez
Et de l'enchantement savez,
Par vostre enchant le roi ferez
Quanque fere li deverez. »
 Renart sot que s'amie dist
Qui de bon conseil le garnist.
« Dame, fet il, vos me loez
Du mieuz que vos fere savez,
Et je irai puis qu'il vos gree.
Mes je vos les mout esgaree.
Or pensez de vostre mesnie
Que richement soit amanie.
Vostre terre soit bien tenue,
Que ne sai de ma revenue,
Et quel termine le ferai,
Ne quels merveilles troverai. »
A tant s'en va, sa fame lesse ;
Mout doucement l'acole et bese.
De son travail mout li ennuie,
Si prie Dieu qu'il le conduie.
 Va s'en Renart au miex que puet
Si conme fere li estuet.
Passe les monz et les valees
Et les forez larges et lees
Et les destroiz et les passages
Si conme vezïez et sages.
Les nuiz va mout sovent en proie,
Que il n'a cure c'on le voie.
Tant a tenues ses jornees
Et les granz terres trespassees,
Entrez est en terre d'Espaigne.
Lieve son pié, sa teste saigne ;
En Espaigne ert, bien le savoit.
Or prie Dieu que il l'avoit.
La trace suit d'une charrete,
Par nuit est venuz a Tolete.
A mont en va par mi les rues
Ou les mesons sont granz et drues.
Mout se demuce, pres se tient,
Que mout se doute et mout se crient
Que cheins ou beste ne l'asaille.
Tel fain a que mout en baaille,
Cerche citieres et cuisines,
Volentiers goutast de gelines
Et s'en preïst a son souper.
Engin savoir a destouper
Trous de jaioles et de toiz,
Muce par haies et par soiz.
Par aventure est enbatuz
En tel ostel ou ert batuz,
A l'ostel le mestre de l'art
Qui ne se gardoit de Renart.
Mestre Henriz avoit a non,
S'estoient mis si gras chapon
En une cage lez le fu.
Ainc mes tele voie ne fu ;
Renart a flairié et senti.
Ainz de grater ne s'alenti
Desous le sueil de la meson,
Que volentiers queroit reson
Conment il fust laienz entrez
Tant que des chapons fust ventrez.
Il i a tant graté a preu
Que fet i a .I. petit treu.
A par soi s'est tant avanciez
Qu'il s'est en la meson fichiez.
Mout l'angoisse la lecherie,
Et si n'a pas voie marie,
Que li flairiers l'en fesoit sage.
Venuz est tot droit a la cage,
Li un des piex brise a ses denz
Tant que son chief a mis dedenz.
Puis i entre de tot son cors,
Mes ja ainçois n'en istra fors,
Qu'il en sera mout entrepris.
L'un des chapons a aus denz pris,
Lors s'escria de tel randon
Que les serjans de la meson
Por la noise se sont levé.
Durement ont Renart grevé,
Que li maistres lor escria :
« Por les sainz Dieu, gorpil i a.
Filz a putain, alez a l'uis,
Desouz le sueil est le pertuis.
Tres bien l'ai veü en mon sort ;
Honniz somes, s'il nos estort. »
Il meïsmes saut de son lit
Veoir la chace et le deduit
Que si vallet font a Renart
Qui de la cage issi a tart,
Que grant clarté fet la lumiere,
Si ont estoupé sa doviere.
Le mariage que Renart fit au roi Noble le lion Ci conmance le mariage que Renart fist au roi Noble le lyon (M24)
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