et Renart part de son côté. Il échappe à la justice une fois de plus. De retour chez lui, il demande conseil à sa femme, qui se faisait du mouron pour lui. Elle lui fait la fête, mais la joie est de courte durée, quand il lui raconte toute l'affaire. Renart ne sait plus à quel saint se vouer, car il ne pense pas être à l’abri à moins de quitter le pays rapidement. Après mûre réflexion, Dame Hermeline, une jeune femme vraiment très avisée, lui conseille de parfaire ses connaissances en apprenant la nécromancie : « Allez à Tolède en Espagne, où l’on s’y connaît le plus. C’est un art qui permet, lorsqu’on le maîtrise bien, de faire tout ce que l’on veut, c’est l’art de l’enchantement. Si vous l’apprenez, vous pourrez alors faire ce que vous avez promis au roi grâce à la magie. » Renart sait que sa femme est toujours de bon conseil. « Madame, fait-il, vous me conseillez toujours au mieux, j’irai donc là où vous me dites, mais, je dois vous laisser seule. Veillez alors à ce que votre maison soit toujours bien pourvue, et vos terres bien tenues, car je ne sais ni quand, ni si je reviendrai, ni quelles trouvailles je ferai. » Là-dessus, il étreint sa femme tendrement, puis l’embrasse et la quitte. Elle est inquiète par l’ampleur de sa besogne, et prie Dieu qu'il le guide. Renart avance du mieux qu’il peut, car il le faut bien. Il traverse collines et vallées, bois et forêts, cols et défilés. Habile et rusé, il chasse la nuit pour qu’on ne le voie pas. Après plusieurs jours passés sur les routes, il arrive en terre d’Espagne. Il lève la patte et se signe sur le front, en remerciant Dieu de l’avoir guidé jusque-là. Puis, il suit la trace d'une charrette, et atteint Tolède de nuit. Il monte par les rues entre de hautes maisons collées les unes aux autres. Il avance en cachette, toujours sur ses gardes, car il redoute beaucoup de se faire attaquer par un chien ou une autre bête. Il a tellement faim qu’il en baille, et se met en quête de viande ou de restes. Il mangerait volontiers une poule pour son dîner. Sachant parfaitement ouvrir les cages et les poulaillers, il se faufile entre les haies et les clôtures. Mais il va bientôt récolter une volée de coups. Il tombe par hasard sur la demeure d’un maître en nécromancie, qu’on appelle maître Henri, et qui ne se méfie pas de Renart. Il a mis des chapons bien gras dans une cage à côté du feu. Renart les a flairés, mais il ne voit pas de passage. Il se met à gratter sans hésiter sous le seuil de la porte, car il veut à tout prix entrer à l’intérieur pour se remplir le ventre de chapons. À force de gratter, il réussit à faire un petit trou dans lequel il se glisse et se retrouve dans la maison. Succombant à la gourmandise, il se laisse guider par son flair sans avoir besoin d’invoquer Sainte Marie. Il arrive droit sur la cage, brise l’un des barreaux avec ses dents, passe sa tête à l’intérieur, puis les reste de son corps. Mais il n’en sortira pas si facilement s’il se fait surprendre. Il saisit un chapon à pleines dents, qui se met à crier de toutes ses forces. Les domestiques de la maison alertés par le vacarme se lèvent aussitôt. Ils tombent rudement sur Renart, tandis que leur maître s’écrie : « Par tous les saints de Dieu, c’est un goupil ! Fils de pute ! Allez à la porte, il y a un trou sous le seuil. Je l’ai vu dans mon sort. Honte à nous s'il nous échappe ! » Il saute de son lit à son tour pour assister à la course-poursuite et à la punition que ses valets collent à Renart, sorti tardivement de la cage. Pas de chance, la pièce est bien éclairée, et le trou a été rebouché. | 26956 26960 26964 26968 26972 26976 26980 26984 26988 26992 26996 27000 27004 27008 27012 27016 27020 27024 27028 27032 27036 27040 27044 27048 27052 27056 27060 27064 | Renart s'en torne d'une part Qui a cort dut estre traïz, Revenuz est en son païs A sa fame prendre conseil Qui por lui est en grant esveil. Por lui a grant joie menee, Mes mout li a corte duree, Que tot li a conté l'afaire. Ne sevent preu a quel chief trere. Ce dist Renart, guerir ne cuide, Se trestot le païs ne wide. Porpensa soi dame Hermeline Qui mout par fu sage meschine. Loé li a que se science Mete a aprendre d'ingromance : « Jusqu'en Espaigne vos allez, A Tolete en set on assez. Ce est un ars de tel maniere Que qui bien en set la maniere Tot fait a son conmandement, Que ce est l'art d'enchantement. Se de cel art apris avez Et de l'enchantement savez, Par vostre enchant le roi ferez Quanque fere li deverez. » Renart sot que s'amie dist Qui de bon conseil le garnist. « Dame, fet il, vos me loez Du mieuz que vos fere savez, Et je irai puis qu'il vos gree. Mes je vos les mout esgaree. Or pensez de vostre mesnie Que richement soit amanie. Vostre terre soit bien tenue, Que ne sai de ma revenue, Et quel termine le ferai, Ne quels merveilles troverai. » A tant s'en va, sa fame lesse ; Mout doucement l'acole et bese. De son travail mout li ennuie, Si prie Dieu qu'il le conduie. Va s'en Renart au miex que puet Si conme fere li estuet. Passe les monz et les valees Et les forez larges et lees Et les destroiz et les passages Si conme vezïez et sages. Les nuiz va mout sovent en proie, Que il n'a cure c'on le voie. Tant a tenues ses jornees Et les granz terres trespassees, Entrez est en terre d'Espaigne. Lieve son pié, sa teste saigne ; En Espaigne ert, bien le savoit. Or prie Dieu que il l'avoit. La trace suit d'une charrete, Par nuit est venuz a Tolete. A mont en va par mi les rues Ou les mesons sont granz et drues. Mout se demuce, pres se tient, Que mout se doute et mout se crient Que cheins ou beste ne l'asaille. Tel fain a que mout en baaille, Cerche citieres et cuisines, Volentiers goutast de gelines Et s'en preïst a son souper. Engin savoir a destouper Trous de jaioles et de toiz, Muce par haies et par soiz. Par aventure est enbatuz En tel ostel ou ert batuz, A l'ostel le mestre de l'art Qui ne se gardoit de Renart. Mestre Henriz avoit a non, S'estoient mis si gras chapon En une cage lez le fu. Ainc mes tele voie ne fu ; Renart a flairié et senti. Ainz de grater ne s'alenti Desous le sueil de la meson, Que volentiers queroit reson Conment il fust laienz entrez Tant que des chapons fust ventrez. Il i a tant graté a preu Que fet i a .I. petit treu. A par soi s'est tant avanciez Qu'il s'est en la meson fichiez. Mout l'angoisse la lecherie, Et si n'a pas voie marie, Que li flairiers l'en fesoit sage. Venuz est tot droit a la cage, Li un des piex brise a ses denz Tant que son chief a mis dedenz. Puis i entre de tot son cors, Mes ja ainçois n'en istra fors, Qu'il en sera mout entrepris. L'un des chapons a aus denz pris, Lors s'escria de tel randon Que les serjans de la meson Por la noise se sont levé. Durement ont Renart grevé, Que li maistres lor escria : « Por les sainz Dieu, gorpil i a. Filz a putain, alez a l'uis, Desouz le sueil est le pertuis. Tres bien l'ai veü en mon sort ; Honniz somes, s'il nos estort. » Il meïsmes saut de son lit Veoir la chace et le deduit Que si vallet font a Renart Qui de la cage issi a tart, Que grant clarté fet la lumiere, Si ont estoupé sa doviere. |
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