vendredi 28 août 2020

Le mariage du roi - La colère de la lionne




Tandis que les serviteurs et les valets
T


uit servirent de lor mestier,
s’activent à leur tâche,
la dame s’assoit à la table du maître des lieux,
seigneur Noble le roi.
Ysengrin découpe la viande devant eux,
et prépare leur plat.
Il avait jadis été écorché
de la tête aux pieds
afin de guérir le roi Noble
d’une maladie de peau.
Elle a repoussé depuis,
mais le poil est encore jeune et court.
Les pieds sont par contre tout poilus
et la tête toute blanche,
là où les vieux poils sont restés.
J’ai bien peur qu’il paye à nouveau de sa peau,
car Renart a l’intention de s’en prendre à lui,
comme il l’a déjà fait tant de fois.
Ce démon, animé par le mal,
se demande
comment il va lui nuire,
ou s’il peut, le détruire.
Sans plus attendre,
Renart fait pleurer la lionne,
qui se met à soupirer et à changer de couleur,
puis cesse de manger.
Le roi s’en aperçoit, très contrarié,
appelle Renart, qui se lève.
« Renart, fait-il, mais qu'a donc cette dame ?
Que les feux de l’enfer brûlent
quiconque me cache la vérité
ou m’empêche
d’ordonner ce qu’elle veut
pour y remédier. »
Renart sait alors qu’il en fera
tout ce qu’il voudra.
Il va pouvoir causer des ennuis à Ysengrin,
pour se faire justice à lui-même.
Il n’a pourtant rien à lui reprocher,
sinon de l’avoir fait convoquer à la cour
au sujet de sa femme.
Quelle folie il a fait de s’en plaindre !
« Sire, dit Renart, je suis bien embêté
de la voir se conduire ainsi
alors que madame est si noble et distinguée.
Je me demande si on n’a pas fait quelque chose de mal. »
Renart pousse la dame
à dire à Noble, son seigneur et maître,
la raison de sa mauvaise humeur.
Renart la connaît bien,
mais il veut rester en dehors de tout ça,
pour ne pas se le faire reprocher ensuite.
« Madame, dites ce que vous voulez,
vous ne devez pas souffrir de la sorte,
je ferai tout ce qui vous fera plaisir. »
Elle peut maintenant sortir de son silence,
comme Renart lui a demandé
de la part du roi.
Elle secoue un peu la tête,
puis parle avec fierté.
« Renart, toi qui trahit ton monde,
quand tu m’as amenée dans ce pays,
je ne pensais pas y trouver
une bête qui fasse preuve
d’une telle grossièreté,
voire d’une certaine perfidie,
que ce chevalier qui nous sert.
Je le vois rempli d’orgueil,
mais je ne suis pas dupe,
je m’en suis bien aperçue.
Il devrait servir son maître et moi-même
avec joie et déférence,
mais ce n’est qu’un félon.
Il a gardé son capuchon toute la journée
sans daigner l’enlever.
Maudit soit qui l’a engendré !
Si ça se passait dans mon pays,
on aurait vite fait de le lui ôter
en lui faisant bien sentir.
Personne n’aurait laissé faire ça !
Je me demande s’il n’a pas la teigne
à le voir grimacer de la sorte.
Mais il y a autre chose
qui me soulève encore plus le cœur,
il découpe la viande devant nous
en portant des moufles,
et avec, s’essuie le nez et la bouche.
Peut-être s’est-il touché là où c’est dégoûtant
après avoir fait ses besoins !
Pas une fois, il n’a daigné les retirer,
j’en ai des haut-le-cœur.
Sire, je vous garantis
que jamais vous ne coucherez à mes côtés,
tant qu’il ne retirera pas ici devant moi
son capuchon et ses moufles. »
Ysengrin, irrité et prêt à se rebiffer,
se retient de répondre méchamment,
sans l’approbation du roi,
qui au contraire pourrait lui en vouloir.
Craignant le pire,
il n’ose dire mot et préfère se taire,
tout en reculant d’un pas.
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Serjanz, vallez et bachelier.
 La dame sist el mestre dois
Et li sires Noble li rois,
Et Ysengrin devant euls taille,
Qui lor apreste lor vitaille,
Il fu autrefoiz escorchiez
Des le haterel jusqu'es piez
Por le roi Noble le lyon,
C'on fist de sa pel guerison.
Ses cuirs li estoit revenuz,
Li peuls ert juenes et menuz.
Les piez avoit ja toz veluz,
Mes li chiés estoit toz chanuz
Por les viex peuls qui i remestrent.
Mes je crien que il ne comperent,
Que Renart s'en est garde pris,
Qui meintes foiz l'a entrepris.
Or se porpense li maufez,
Qui de grant mal fu eschaufez,
En quel maniere li nuira,
Que s'il puet, il le destruira,
Et si ne velt plus demorer.
La lionesse fet plorer,
Soupirer et colot changier,
De tot en laisse le mengier.
Li rois la voit, si li en grieve,
Renart apele et cil se lieve.
« Renart, fait il, qu'a ceste dame ?
Arde le feus et male flambe
Qui la verité n'en dira
Et qui ja li escondira
Chose qu'el vueille conmander
Por quoi on le puist amender. »
Or ot Renart c'on en fera
Tot ce que il conmandera.
Ysengrin voudra ennuier,
S'a son droit se puet apuier ;
Si ne li set que demander
Fors tant qu'a cort le fist mander
Por sa fame dont le bani ;
Que fox fist, quant il en groinni.
 « Sire, ce dist Renart, moi poise
— Ma dame est mout franche et cortoise —
Quant ele tel senblant vos fait.
Ne sai s'on li a riens forfait. »
Renart la dame dist et prie
Que a son seignor Noble die
De quoi tel mautalant avoir.
Porquant Renart bien le savoit,
Mes du blasme se velt geter,
C'on ne l'en puist de riens rester.
« Dame, dites vostre voloir.
Ja ne vos en convient doloir,
Que j'en ferai vostre plesir. »
Or ne s'en puet ele teisir,
Des que Renart rot conmandé
Et li rois li a demandé.
.I, petit a crollé la teste,
Ja parlera con fiere beste.
« Renart, qui tot le mont trais,
Quant m'amenas en cest païs,
Je ne quidai mie trover
Beste que on peüst prover
De si aperte vilenie
— Ne sai se c'est par felonnie —
Que cist vassaus qui ci nos sert.
Je le voi mout d'orgueil apert.
Nis .I. seul point ne sui deçute,
Ainz me sui tres bien aparçute.
Il deüst moi et son seignor
Servir a joie et a honor,
Et il est de felon apel,
Hui tote jor a son chapel
Fermé, q'oster ne le deigna.
Mal dahez ait qui l'engendra.
Se ce feüst en ma contree,
S'aumuce li fust tost ostee
Si belement qu'il le sentist ;
Ne trovast qui le consentist.
Ce ne sai ge s'il est tigneus,
Que je le voi mout rechigneus.
Encor voi autre mesfeture
Dont au cuer ai greignor ardure,
Que tote jor devant nos taille
Mouffles chauciees no vitaille,
Dont il tert son nes et sa bouche.
Espoir en plus ort leu l'atouche,
Quant il fet le vilain afaire.
Onques por nos nes deigna traire,
S'en ai eü grant mal au cuer.
Sire, bien vos ai dit le fuer
Que ja ne gerrez a ma coste,
S'on ci devant moi ne li oste
Chapel et mouffles a rebors. »
Ysengrin fu fel et rebors.
Ja parlast felenessement,
S'il en eüst consentement
Et li rois nel deüst haïr,
Que il cremoit en pis chaïr.
N'ose mot dire, ainçois se taist,
.I. petit arriere se traist.
Le mariage que Renart fit au roi Noble le lion Ci conmance le mariage que Renart fist au roi Noble le lyon (M24)

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