Puisque Chantecler est quelqu'un de courtois, il saura garder une juste mesure, et demander justice avec raison. Sachez aussi que je ne trahirai mon serment en faveur de personne. Je m'en remets donc à Chantecler pour rendre justice sur cette affaire, en prenant soin d'agir, de sorte que nous lui en soyons tous reconnaissants. J'apprécie beaucoup sa loyauté, on fera donc comme il décidera. En attendant qu'il nous dise comment il souhaite obtenir réparation, faisons amener les saintes reliques, puis, que tous ceux concernés se tiennent tranquilles et prêts à prêter serment comme il leur a été indiqué. » Suite aux paroles du roi, le coq incline la tête vers lui en signe de remerciement. Il appelle dame Pinte et dame Rousse, leur fait signe de venir, puis les invite toutes deux à le suivre. On apporte alors les saintes reliques, et les barons se tiennent debout, prêts à faire la paix comme on leur a demandé. Chantecler commence les délibérations, et y met toute son attention. « Pinte, fait-il, êtes-vous d’accord avec la décision que vous avez entendue ? Que doit-on penser de la réparation que Renart doit nous faire? Votre sœur dame Coupée est morte, et bien sûr on ne peut pas la faire revivre, que Dieu ait pitié de son âme. Il est temps de pardonner ce crime à Renart. — Quoi ? dit Pinte, que voulez-vous faire ? Pardonner la mort de ma sœur dame Coupée que j’aimais tant ? Vous voulez me faire mourir de chagrin. — Pinte, fait Rousse, écoutez-moi donc, au nom de Dieu, et prenez la bonne décision concernant Coupée votre sœur. Nous devons profiter de la faveur du roi, pour bien punir Renart. Faisons-lui au moins crever les yeux ou couper les deux pieds, pour qu'il ait honte partout où il va. » Pinte répond : « Rousse, tu dis n'importe quoi ! Défigurer Renart ? Avec des conseils pareils, il nous tuera à la première occasion si on le laisse en vie, car il est rempli de haine et du désir de mal faire. Il est aussi très intelligent et rusé, il aura vite fait de se venger de nous. Par ma tête, je ne suis pas du tout d'accord. Il a fait une mauvaise pioche, il est tombé entre nos mains, on va lui faire payer. Je veux qu'on le pende, et qu'on ne l'acquitte sous aucun prétexte. Au nom de Dieu qui jamais ne ment, si vous en décidez autrement, vous ne serez plus jamais mon ami, et vous ne couvrirez plus jamais ma croupe. » Chantecler comprend alors que son amie ne pardonnera jamais à Renart l'outrage qu'il leur a fait, en lui signifiant clairement qu'elle ne l'aimera plus jamais tant que Renart vivra. Il est préférable pour lui que Renart meure, comme son amie le veut, plutôt que de la perdre à jamais. Ah ! les femmes ont toujours un coup d'avance, donnez-leur tout ce qu'elles veulent, vous n'en souffrirez pas moins pour autant. Leurs délibérations se terminent là-dessus, et font pencher la balance en défaveur de Renart, lui qui s'imagine s'en tirer à bon compte. L'affaire prend donc une tout autre tournure. Tous trois quittent leur lieu de réunion, et se présentent devant le roi. Chanteclerc baisse le tête, le jeune homme a l'air pitoyable. Les larmes lui mouillent le visage, laissant des traces sous ses yeux. Il s'incline aux pieds du roi, comme il se doit, et lui expose leur décision. « Sire, fait-il, que Dieu vous préserve, vous qui me faites tant d'honneur. Dame Pinte est mortifiée par la mort de sa sœur, et tient à en tirer vengeance. Nous voulons que Renart soit pendu ! Nous n'avons que trop attendu. Il a donné la mort, qu'il la reçoive maintenant ! » Renart tremble alors plus qu'une feuille, quand il entend plaider pour son exécution, car personne ne peut plus lui venir en aide, puisque le roi a fait le serment de suivre leur volonté. |
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Que tant est Chantecler cortois Qui en esgardera mesure Et par raison prendra droiture. Ce sachiez, por nului tenser Ne vueil mon serement fausser. Sus Chantecler met cest afaire, Qui en soit justicier et maire Et il regart que tant en face Dont moi et autre gré l'en sache. Tres bien li am loiaument Qu'en en fera son loement. Or se conseult de l'amendise Conment il velt qu'ele soit prise, Si façon ci les sainz venir, Et li autre por pais tenir Soient prest de lor serement Et sivent lor ostroiement. » Li cos a la parole oïe ; De ce qu'il ot li rois mercie, La teste en a vers lui clinee. Dame Pinte a apelee Et ma dame Rosse et açaine ; A son conseil an .II. les maine. Aporté sont li saint a tant, Et li baron sont en estant, S'ont lor pais faite et atiree Si con on lor ot esgardee. Chantecler est a son conseil Qui mout en est en grant esveil. « Pinte, fet il, que m'en loez De cest conseil que vos oez ? Que diron nos de l'amendise Qui de Renart est sor nos mise ? Morte est vo suer dame Coupee ; Mort ne puet estre recovree. Pardonons li la mort por l'ame, Que Diex ait merci de la dame. — Coi ? dist Pinte, quel la ferez ? La mort ma seror pardonrez Que tant amai, dame Coupee ? Ja me verrez de duel pasmee. — Pinte, fet Rosse, or m'entendez, Por Dieu bon jugement prenez De Coupee vostre seror. Puis qu'avons le gré du seignor, Nos le devons mout bien grever. Fesons au meins ses eulz crever Ou il perde les piez andeus. En toutes corz soit mes honteus. » Fait Pinte : « Rousse dit merveille Qui en tel guise me conseille Con de Renart desfigurer. Ja mes ne nos lairoit durer, S'il sanz mort remanoit en vie, Que mout est fel et plains d'envie, S'est mout sages et vezïez ; Tost se seroit de nos vengiez. Par mon chief, ce n'est pas mes los. Il a trait le plus cort des loz, Si est cheüz en no manede. Bien li devons or fere lede. Je l'otroi bien qu'il soit penduz, Por prïere ne soit renduz. Par le haut Seignor qui ne ment, Se vos le fetes autrement, Ja mes mes amis ne serez Ne ma croupe ne chaucerez. » Or ot Chantecler que s'amie A Renart ne pardonra mie La laidure qu'il lor a faite. Tel parole li a retraite Que ja mes jor ne l'amera Tant conme Renart vivera. Miex li vient il que Renart muire, Quant s'amie le velt destruire, Qu'il la perdist d'ore en avant. Bien ont fames les dez avant ; Otroiez li quanqu'ele velt. Mes neporquant le cuer en deult. A tant ont lor conseil finé, Renart i ont mal encliné, Qu'il cuidoit avoir bone pais. Mes autrement torne li plais ; Du conseil reperent tuit troi, Si sont venu devant le roi. Mout se tint enbruns Chanteclers, Piteus fu mout li bachelers. Les lermes li moillent la face, Desous ses ielz i pert la trace. As piez le roi s'est aploiez, Puis est li conseulz desploiez. Ce covient il que devant viegne. « Sire, fait il, Diex vos maintiegne, Que grant honor m'avez portee. Dame Pinte est mout amortee Por sa seror qui est occise Et velt que venjance en soit prise. Volons que Renart soit penduz : Trop est il assez atenduz. Mort a donnee, mort recueille ! » Or tremble Renart plus que fueille, Quant de sa mort oï plaidier, Nus ne l'en pooit mes aidier, Li rois ot fet son sairement Qu'il sivroit lor atirement. |
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