Renart, si on vous donne des assurances, mais que vous continuez à nous faire du tort, sachez qu'on vous le fera payer. Je vous ai envoyé Tibert le chat, qui se plaint de votre sale coup. Il s'est retrouvé pendu à un collet, je ne sais où, à cause de vous, il ne l'a toujours pas digéré. » Tibert se dresse alors sur ses pattes, en entendant le roi parler de son cas, il lève la tête mollement vers Renar, car il le craint beaucoup depuis qu'il l'a lui-même poussé dans un piège. Il n'aurait d'ailleurs jamais pris la parole si le roi n'avait rien dit. Car après avoir bien écouté l'accusation se faire malmener, Renart va finir par avoir le dessus. Il aurait préféré garder le silence, mais maintenant qu'il est debout au milieu de la salle, il commence alors son discours. « Sire, dit Tibert au roi, Renart a commis un grave préjudice, s'il savait ce qui m'attendait là où il m'est arrivé ce malheur. Sur son conseil, j'ai foncé comme un fou dans le trou où je me suis fait prendre dans un nœud coulant. Certes, le prêtre en a eu pour son compte, car il s'en est pris à moi sans que je le provoque, et sa putain s'est mise à me battre à deux mains avec sa grande quenouille. Je lui ai tranché les couilles d'un coup de dent, et je l'ai laissé à son effroi. C'est comme ça qu'on devrait prendre soin de tous les prêtres qui ont une femme qui vit chez eux. Renart me hait de longue date, une haine terrible et sans fin, à cause d'un piège où il est tombé par malchance un jour, et a failli y laisser la peau. Il a mis cette trahison sur mon compte, alors que je n'avais rien fait, Dieu m'est témoin, car je n'avais jamais eu vent de rien. Ainsi, nos mésaventures se compensent, et s'il me pardonne, je ferai de même pour lui. Donc s'il est d'accord, sire, je vous prie d'ordonner un compromis tout de suite avec la bénédiction de tous les barons. » Renart comprend que son discours va dans le sens d'un accord à l'amiable, il est content comme il ne l'a jamais été. « Renart, lui dit le roi, approuvez-vous la proposition de Tibert ? Je vous pardonnerai alors votre faute, je n'ai aucune raison de compliquer les choses ni pour vous ni pour un autre baron. — Acceptez, Renart ! », s'écrient-ils tous, sans pouvoir s'empêcher d'en rire. « Sire, Sire, fait Renart peaufinant sa réponse, Tibert a certes très mal agi envers moi, mais même s'il avait fait pire, puisque vous le voulez vraiment, j'en accepte les conséquences. Mon cher roi, je m'en tiendrai tout simplement à votre recommandation, ainsi que tous les barons m'en prient. — Oui, oui, Renart », s'écrient-ils. « Seigneurs, je ne cherche pas la guerre, je veux au contraire faire la paix, j'accepte volontiers cet accord. Êtes-vous d'accord pour un baiser de paix ? — Oui, oui, tout de suite ! » Là-dessus, ils s'embrassent, la paix est faite entre eux-deux, puisse Dieu intervenir pour que les autres fassent pareil ! Maintenant que l'accusation et la défense ont parlé, le roi referme cette affaire. « Seigneurs, fait-il, écoutez-moi, vous qui traitez les dossiers et qui rendez justice, je ne veux pas vous compliquer la tâche, mais veuillez décider en priorité du différend entre Ysengrin et Renart. Il me semble que Renart accuse Ysengrin de trahison, qui lui-même l'accuse de ne pas avoir tenu sa promesse. Faites la part des choses de sorte que chacun trouve justice. Décidez ensuite comment Renart doit dédommager Chantecler suite à la mort de dame Coupée que l'on a enterrée l'autre jour. Déterminez enfin comment Renart peut faire réparation à Brun. Seigneur Plateau et Messire Cointereau, veuillez juger ces affaires avec l'aide de Brichemer le cerf et seigneur Grimbert le blaireau, j'aimerais aussi que le léopard y prenne part. Prenez des décisions équitables ou chacun y trouve son compte selon les règles de ma maison. Je vous en conjure, en vous rappelant au serment de loyauté que vous m'avez prêté, assurez-nous une paix durable, et vous en récolterez tous les honneurs. Et, s'il y a contestation, suivez alors l'avis de la majorité. » Là-dessus, tous les cinq se lèvent, pour se réunir dans une pièce à l'écart. Mais, peut-on se fier à la parole de Brichemer, et suivre son avis, car il pourrait se venger du lambeau de peau qu'il s'est fait arracher du dos. « Seigneurs, dit Plateau le cerf, vous avez entendu les accusations et la défense. Le roi vous estime et vous apprécie tellement, qu'il s'en remet à votre jugement. Mais, veillons à notre honneur et à celui de notre seigneur, et agissons pour qu'on ne nous fasse que des éloges, sachant que ce que l'un gagne, l'autre le perd. |
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Renart, se nos vos afions Et vos les maus nos porchaciez, Nos vos en paions, ce sachiez. A vos tramis Tybert le chat ; Mout se plaint de vostre barat. Par vos fu il au laz penduz Que ne sai ou estoit tenduz. Encore en est toz corrouciez. » Lors s'est Tybert en piez dreciez, Puis que li rois por lui parole. Vers Renart a la teste mole ; Mout durement le redouta Por l'escharpel ou le bouta, Ne ja, se li rois s'en teüst, La parole n'en esmeüst, Que j'ai oï et escouté C'on a tant sachié et bouté Que Renart s'en va au deseure. Bon taire feïst a cele eure. En piez est en mi la meson, Si a conmencié sa reson. « Sire, ce dist Tybert au roi, Mout par fist Renart grant desroi, S'il savoit la descovenance, La ou me fist la mesestance, Que par son conseil i alai, Ou trou conme fox avalai Ou je fui pris au laz corant, Mes le prestre lessai coustant. Sanz m'envie se degratoit Et sa putain, qui me batoit A .II. mains de sa grant quenoille. Por ce q'as denz tranchai la coille, Tot lessai le prestre effreé. Tel fussent ore conreé Tuit li prestre qui fames ont, S'en lor ostex lor dames sont. Renart me het de viez haïne, Mout est dure, encore ne fine, S'est la rete por .I. charpel Ou l'autrier dut lessier la pel ; Par male aventure i cheï. Sus me mist que je le traï, Mes voir, non fis, se Diex me voie, Onques n'en soi ne vent ne voie. Cist mesfait soit contre celui, Sel me pardoint et je a lui. S'einsi le voloit otroier, Sire, vos en vueil ge proier Que vos le conmandez de bot, Que cist baron l'en prient tot. » Or entent Renart que cest plais Li torne auques a la pais ; Or est si liez q'ainz ne fu si. « Renart, loez le vos ainsi, Ce dist li rois, con Tybert fet ? Je vos pardone le mesfet. N'ai soing a tendre a desreson. Sus vos ne sor autre baron. — Faites, Renart », tuit li escrient. Ne puet muer que il n'en rient. « Sire, sire, Renart respont, Qui sa parole bien espont, Tybert a mout vers moi mespris. S'il m'avoit fet encore pis, Si le voussisiez bien a certes, S'en soufferroie ge les pertes. Biau sire, vostre loement Vueil ge fere mout bonement Et ce que cist baron m'en prient. — Voire voir, Renart », cil escrient. « Seignor, n'avroie soing de guerre, Ainz vodroie la pes aquerre, Si ostroie tres bien la pes. Et loez vos que je le bes ? — Oïl, oïl, tot pié estant ! » Entrebesié se sont a tant. La pes est fete de ces deus ; Entre autre gent la mete Dex ! Or sont et clain et respont fait, Li rois a respitié le plait, « Seignors, fet il, or m'entendez, Qui les droiz fetes et prenez, Et ceus qui doivent atirer, Je ne vos veil pas empirier. Alez, fetes primes esgart D'entre Ysengrin et Renart. Vis m'est Renart en sa raison Reste Ysengrin de traïson, Et Ysengrin lui de faillance Qui li failli de covenance. Partissiez si bien l'aventure Que chascuns en ait sa droiture. Aprés jugiez de Chantecler Con Renart li doit amender La mort de ma dame Coupee Qui l'autre jor fu enterree. Et s'esgardez conment soit prise Por Brun de Renart l'amendise. Fetes cest esgart, dan Platel, Et vos, misire Cointerel. Avec soit Brichemer li cers Et li taisons sire Grinberz, Si voil que i voist le lieparz ; Si faites si loial esgarz Que chascun ait bien sa raison Selonc le droit de ma meson. Je vos conjur, le serement Que me feïstes loiaument Faites si q'ennor en aiez Et que nos aions bone pes. Et s'il i a controuverie, Sivez en la greignor partie. » A tant li .V. s'en lievent sus, En une chambre vont en sus. S'or estoit creüz Brichemers Et que de toz en fust loez, La corroie seroit vengie Qui sor le dos li fu tranchie. « Seignors, ce dist Platiaus li dains, Oï avez respons et clains. Li rois vos aime tant et prise, Sus vos a la parole assise. Or i esgardons nostre honor, A l'onorance no seignor Faisomes tant qu'en nos en lot, Que qui soi pert d'autrui ne jot. |
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