jeudi 23 avril 2020

Le mariage du roi - Le baiser de paix




— C'est parfait, fait le lion.
B


ien est einsi, fet li lions,
Renart, si on vous donne des assurances,
mais que vous continuez à nous faire du tort,
sachez qu'on vous le fera payer.
Je vous ai envoyé Tibert le chat,
qui se plaint de votre sale coup.
Il s'est retrouvé pendu à un collet,
je ne sais où, à cause de vous,
il ne l'a toujours pas digéré. »
Tibert se dresse alors sur ses pattes,
en entendant le roi parler de son cas,
il lève la tête mollement vers Renar,
car il le craint beaucoup
depuis qu'il l'a lui-même poussé dans un piège.
Il n'aurait d'ailleurs jamais pris la parole
si le roi n'avait rien dit.
Car après avoir bien écouté
l'accusation se faire malmener,
Renart va finir par avoir le dessus.
Il aurait préféré garder le silence,
mais maintenant qu'il est debout au milieu de la salle,
il commence alors son discours.
« Sire, dit Tibert au roi,
Renart a commis un grave préjudice,
s'il savait ce qui m'attendait
là où il m'est arrivé ce malheur.
Sur son conseil, j'ai foncé
comme un fou dans le trou
où je me suis fait prendre dans un nœud coulant.
Certes, le prêtre en a eu pour son compte,
car il s'en est pris à moi sans que je le provoque,
et sa putain s'est mise à me battre
à deux mains avec sa grande quenouille.
Je lui ai tranché les couilles d'un coup de dent,
et je l'ai laissé à son effroi.
C'est comme ça qu'on devrait prendre soin
de tous les prêtres qui ont une femme
qui vit chez eux.
Renart me hait de longue date,
une haine terrible et sans fin,
à cause d'un piège
où il est tombé par malchance un jour,
et a failli y laisser la peau.
Il a mis cette trahison sur mon compte,
alors que je n'avais rien fait, Dieu m'est témoin,
car je n'avais jamais eu vent de rien.
Ainsi, nos mésaventures se compensent,
et s'il me pardonne, je ferai de même pour lui.
Donc s'il est d'accord,
sire, je vous prie
d'ordonner un compromis tout de suite
avec la bénédiction de tous les barons. »
Renart comprend que son discours
va dans le sens d'un accord à l'amiable,
il est content comme il ne l'a jamais été.
« Renart, lui dit le roi, approuvez-vous
la proposition de Tibert ?
Je vous pardonnerai alors votre faute,
je n'ai aucune raison de compliquer les choses
ni pour vous ni pour un autre baron.
— Acceptez, Renart ! », s'écrient-ils tous,
sans pouvoir s'empêcher d'en rire.
« Sire, Sire, fait Renart
peaufinant sa réponse,
Tibert a certes très mal agi envers moi,
mais même s'il avait fait pire,
puisque vous le voulez vraiment,
j'en accepte les conséquences.
Mon cher roi, je m'en tiendrai
tout simplement à votre recommandation,
ainsi que tous les barons m'en prient.
— Oui, oui, Renart », s'écrient-ils.
« Seigneurs, je ne cherche pas la guerre,
je veux au contraire faire la paix,
j'accepte volontiers cet accord.
Êtes-vous d'accord pour un baiser de paix ?
— Oui, oui, tout de suite ! »
Là-dessus, ils s'embrassent,
la paix est faite entre eux-deux,
puisse Dieu intervenir pour que les autres fassent pareil !
Maintenant que l'accusation et la défense ont parlé,
le roi referme cette affaire.
« Seigneurs, fait-il, écoutez-moi,
vous qui traitez les dossiers
et qui rendez justice,
je ne veux pas vous compliquer la tâche,
mais veuillez décider en priorité
du différend entre Ysengrin et Renart.
Il me semble que Renart
accuse Ysengrin de trahison,
qui lui-même l'accuse
de ne pas avoir tenu sa promesse.
Faites la part des choses
de sorte que chacun trouve justice.
Décidez ensuite comment Renart
doit dédommager Chantecler
suite à la mort de dame Coupée
que l'on a enterrée l'autre jour.
Déterminez enfin comment Renart
peut faire réparation à Brun.
Seigneur Plateau et Messire Cointereau,
veuillez juger ces affaires
avec l'aide de Brichemer le cerf
et seigneur Grimbert le blaireau,
j'aimerais aussi que le léopard y prenne part.
Prenez des décisions équitables
ou chacun y trouve son compte
selon les règles de ma maison.
Je vous en conjure, en vous rappelant au serment
de loyauté que vous m'avez prêté,
assurez-nous une paix durable,
et vous en récolterez tous les honneurs.
Et, s'il y a contestation,
suivez alors l'avis de la majorité. »
Là-dessus, tous les cinq se lèvent,
pour se réunir dans une pièce à l'écart.
Mais, peut-on se fier à la parole de Brichemer,
et suivre son avis,
car il pourrait se venger du lambeau de peau
qu'il s'est fait arracher du dos.
« Seigneurs, dit Plateau le cerf,
vous avez entendu les accusations et la défense.
Le roi vous estime et vous apprécie tellement,
qu'il s'en remet à votre jugement.
Mais, veillons à notre honneur
et à celui de notre seigneur,
et agissons pour qu'on ne nous fasse que des éloges,
sachant que ce que l'un gagne, l'autre le perd.
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Renart, se nos vos afions
Et vos les maus nos porchaciez,
Nos vos en paions, ce sachiez.
A vos tramis Tybert le chat ;
Mout se plaint de vostre barat.
Par vos fu il au laz penduz
Que ne sai ou estoit tenduz.
Encore en est toz corrouciez. »
Lors s'est Tybert en piez dreciez,
Puis que li rois por lui parole.
Vers Renart a la teste mole ;
Mout durement le redouta
Por l'escharpel ou le bouta,
Ne ja, se li rois s'en teüst,
La parole n'en esmeüst,
Que j'ai oï et escouté
C'on a tant sachié et bouté
Que Renart s'en va au deseure.
Bon taire feïst a cele eure.
En piez est en mi la meson,
Si a conmencié sa reson.
 « Sire, ce dist Tybert au roi,
Mout par fist Renart grant desroi,
S'il savoit la descovenance,
La ou me fist la mesestance,
Que par son conseil i alai,
Ou trou conme fox avalai
Ou je fui pris au laz corant,
Mes le prestre lessai coustant.
Sanz m'envie se degratoit
Et sa putain, qui me batoit
A .II. mains de sa grant quenoille.
Por ce q'as denz tranchai la coille,
Tot lessai le prestre effreé.
Tel fussent ore conreé
Tuit li prestre qui fames ont,
S'en lor ostex lor dames sont.
Renart me het de viez haïne,
Mout est dure, encore ne fine,
S'est la rete por .I. charpel
Ou l'autrier dut lessier la pel ;
Par male aventure i cheï.
Sus me mist que je le traï,
Mes voir, non fis, se Diex me voie,
Onques n'en soi ne vent ne voie.
Cist mesfait soit contre celui,
Sel me pardoint et je a lui.
S'einsi le voloit otroier,
Sire, vos en vueil ge proier
Que vos le conmandez de bot,
Que cist baron l'en prient tot. »
Or entent Renart que cest plais
Li torne auques a la pais ;
Or est si liez q'ainz ne fu si.
« Renart, loez le vos ainsi,
Ce dist li rois, con Tybert fet ?
Je vos pardone le mesfet.
N'ai soing a tendre a desreson.
Sus vos ne sor autre baron.
— Faites, Renart », tuit li escrient.
Ne puet muer que il n'en rient.
 « Sire, sire, Renart respont,
Qui sa parole bien espont,
Tybert a mout vers moi mespris.
S'il m'avoit fet encore pis,
Si le voussisiez bien a certes,
S'en soufferroie ge les pertes.
Biau sire, vostre loement
Vueil ge fere mout bonement
Et ce que cist baron m'en prient.
— Voire voir, Renart », cil escrient.
« Seignor, n'avroie soing de guerre,
Ainz vodroie la pes aquerre,
Si ostroie tres bien la pes.
Et loez vos que je le bes ?
— Oïl, oïl, tot pié estant ! »
Entrebesié se sont a tant.
La pes est fete de ces deus ;
Entre autre gent la mete Dex !
 Or sont et clain et respont fait,
Li rois a respitié le plait,
« Seignors, fet il, or m'entendez,
Qui les droiz fetes et prenez,
Et ceus qui doivent atirer,
Je ne vos veil pas empirier.
Alez, fetes primes esgart
D'entre Ysengrin et Renart.
Vis m'est Renart en sa raison
Reste Ysengrin de traïson,
Et Ysengrin lui de faillance
Qui li failli de covenance.
Partissiez si bien l'aventure
Que chascuns en ait sa droiture.
Aprés jugiez de Chantecler
Con Renart li doit amender
La mort de ma dame Coupee
Qui l'autre jor fu enterree.
Et s'esgardez conment soit prise
Por Brun de Renart l'amendise.
Fetes cest esgart, dan Platel,
Et vos, misire Cointerel.
Avec soit Brichemer li cers
Et li taisons sire Grinberz,
Si voil que i voist le lieparz ;
Si faites si loial esgarz
Que chascun ait bien sa raison
Selonc le droit de ma meson.
Je vos conjur, le serement
Que me feïstes loiaument
Faites si q'ennor en aiez
Et que nos aions bone pes.
Et s'il i a controuverie,
Sivez en la greignor partie. »
A tant li .V. s'en lievent sus,
En une chambre vont en sus.
S'or estoit creüz Brichemers
Et que de toz en fust loez,
La corroie seroit vengie
Qui sor le dos li fu tranchie.
« Seignors, ce dist Platiaus li dains,
Oï avez respons et clains.
Li rois vos aime tant et prise,
Sus vos a la parole assise.
Or i esgardons nostre honor,
A l'onorance no seignor
Faisomes tant qu'en nos en lot,
Que qui soi pert d'autrui ne jot.
Le mariage que Renart fit au roi Noble le lion Ci conmance le mariage que Renart fist au roi Noble le lyon (M24)
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