il est ma foi fort regrettable de voir mes messagers ainsi maltraités. Vous m’avez renvoyé Brun l'ours et seigneur Tibert le chat, amochés et en sang. Je n'accepterai aucune excuse si vous en êtes la cause, et vous serez exécuté sur-le-champ. — Mais non, sire, ne croyez pas cela. Pour l’amour de Dieu, pensez-vous donc que je sois assez fou ou sous l’influence du diable pour ne pas traiter avec respect les messagers que vous m’envoyez ? Je vais vous dire la vérité. Certes, Brun est venu chez moi, et m’a dit que vous m’aviez convoqué à votre cour où vous m’attendiez. Mais, je ne savais pas s’il disait vrai car il ne m’a montré aucun écrit sous scellé. Puis il m'a prié, au nom du Dieu du ciel, de lui donner un peu de miel, ou de l'amener là où il y en avait si je connaissais un endroit. Je l'ai donc conduit volontiers à travers broussailles et sentiers, jusqu'à des ruches, où il n'a pu se retenir d'en manger. Peut-être s'est-il fait piquer par les abeilles, mais moi, je ne l'ai touché à aucun moment. — Brun, demande le roi, vous a-t-il touché ? — Certes, il ne m'a pas touché, mais il connaissait bien le piège où je me suis retrouvé prisonnier. — Diable, mais qui donc ? dit Renart, moi ? Seigneur Brun, pourquoi dites-vous cela ? N'avez-vous trouvé rien de mieux à dire ? Que Dieu le couvre de honte immédiatement, que les flammes de l'enfer le brûlent, lui qui ne fait attention à rien. — Ma foi, dit Brun, vous dites n'importe quoi. Vous croyez vraiment vous en tirez comme ça ? Vous m'avez raconté qu'il y avait une ruche dans un tronc, alors qu'il avait été fendu par un paysan pour y tendre un piège. — Vous-a-t-il vraiment fait croire cela ? — C'était un tronc où il y avait du miel, et seigneur Lanfrois le savait bien, c'est à cause de lui que vous vous êtes retrouvé dans cet état. Tout cela m'a attristé plus que réjoui, je vous aurais bien aidé si j'avais pu ou su comment faire. Mais, afin de renouer notre amitié, je vous ferai volontiers l'honneur de jurer sur tous les saints que je n'ai rien dit au paysan. Je suis au contraire peiné par vos ennuis, et sachez bien que je me sens honteux de vous avoir conduit à votre malheur. Mais je vous aiderai à vous venger et à faire du mal à ce paysan. Quand tous les seigneurs, petits et grands honnêtes et loyaux, qui siègent de droit au tribunal royal, auront décidé comment je devrai vous faire réparation, je ne chercherai pas à discuter. — Brun, fait Froment, Renart a bien parlé, et vous-même êtes complètement rétabli. Ne prenez pas les choses si mal pour que ça le devienne encore plus. Rien de bien n'arrive, que je sache, en cherchant à se venger de tous ses malheurs. Si le médecin vous a coûté trop cher, Renart pourrait vous dédommager en partie. Décidez une fois pour toutes de lui pardonner toutes ses fautes, et remettez-vous en à notre jugement. — Quoi ? Vous voulez que je me range à votre avis ? Seigneur Froment, vous êtes trop honnête, fait Brun. Si je le tenais entre mes griffes, et qu'il continuait à nier sa trahison, vous n'auriez pas le temps de ramasser un bâton que je l'aurais déjà tué. — Brun, fait Froment, vous avez tort de tenir un tel propos, car vous vous acharnez sur quelque chose qui n'est pas prêt d'arriver. Renart acceptera de faire la paix, mais n'a aucune raison de s'inquiéter pour cette affaire ou de s'amuser à se battre contre vous tant qu'elle n'est pas encore jugée. Vous vous y prenez mal ! Avez-vous seulement des témoins qui pourraient garantir vous avoir vu dans le besoin quand Renart vous a collé cette honte ? — Des témoins, répond Brun, pour quoi faire ? N'ai-je pas assez saigné pour que cela suffise comme témoignage ? — Brun, dit le singe Cointereau, voilà qui tombe à pic ! Si vous n'avez que ça à dire, vous vous êtes levé pour rien. Dieu soit béni ! Si un jour vous vous trouvez en sang ou vous écorchez vous-même, vous pourriez, par haine, dire que c'est moi qui l'ai fait, et exiger réparation pour quelque chose que vous êtes le seul à connaître ! Non, ce n'est pas possible, laissez tomber ou changez de discours, car Renart a très bien expliqué qu'il ne vous a pas touché, ce que vous avez reconnu devant la cour. » À ces mots Brun se tait, ne trouvant rien à redire, puis mesure sa réponse : « Chers seigneurs, fait-il, alors écoutez-moi. Puisque vous m'en priez si aimablement, et sachant que doivent mourir de honte ceux qui n'écoutent pas les bons conseils, je ne chercherai pas à me disputer avec vous, ni à m'énerver davantage, et me rangerai à votre décision en m'efforçant de la respecter. |
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Par mon chief, ce fu grant dessrois, Quant mon mesage laidenjastes. Lez et seignanz les m'envoiastes, Brun l'ours et dant Tybert le chat. Je n'en prendroie nul rachat, Se par vos avoit esté fait, Que morz ne fussiez entresait. — Ostez, sire, ne creez onques. Por amor Dieu, creez vos donques Que je fusse si forsenez Ne par deable si menez Que ne servise jusqu'as piez Message que m'envoissiez ? Je vos dirai une reson. Voirs fu, Bruns vint en ma meson, Si dist que vos me mandiez Et a vo cort m'atendïez. Ce ne sai ge se voir m'a dit ; Onques n'en vi seel n'escrit. Puis me proia por Dieu du ciel, Se je savoie point de miel, Que je .I. petit l'en donasse Ou la ou il est le menasse. Je l'i menai mout volentiers Et par broces et par sentiers, Tant que venimes a chatoire Ou Bruns devoit mengier et boivre. Espoir, si le poindrent les es, C'ainc par moi ne fu adesez. — Bruns, fet li rois, toucha vos il ? — Il me toucha certes nenil. Mes il sot bien la traïson Dont remanoir dui en prison. — Qui deable ? dist Renart, ge ? Dan Brun, por quoi dites vos ce ? Quant vos vodrez, vos direz miex. Male honte li doint hui Diex Et male flambe le cors arde Qui aine de ce se donoit garde. — Par foi, dist Bruns, merveilles dites. Et por ce quidez estre quites ? Vos deïstes du tronc fendu C'un vilain i avoit tendu Que ce estoit une chatoire. — Vos ot il ce fet a acroire ? — Çou ert un trons ou miel avoit. Sire, Lanfrois bien l'i savoit Par qui fustes contralïez. Plus en fui ge dolenz que liez, Et se ge aidier vos peüsse, Gel feïsse, se jel seüsse. Mes por aquerre vostre amor Vos en ferai ge tant d'onnor, Volentiers jurerai tos sainz Que par moi nu sot li vilains, Ainz me poise de vostre ennui. Sachiez que toz honteus en sui Por ce que je vos i menai ; Mavesement vos assenai. Vos aiderai bien a vengier, Se le vilain puis laidengier. Aprés esgardent cil seignor, Et li petit et li greignor Qui preudome sont et loial, A droit siéent el banc roial, Conment jel vos amenderai ; Ja contredit n'en esserai. — Brun, fet Frumanz, il dit assez, Et vos estes toz respassez. Ne prenez chose si en grief Que puist torner a grant meschief. Qui toz ses deuls vengier voudra, Ja ce sache, bien n'en vendra. Si vos a trop costé au mire, Si vos aïst d'une partie. Ferme conseil et bon prenez Que touz mesfaiz soit pardonez, Si vos metez en nostre esgart. — Voir ge, sire, de vostre part, Frumans, fet Bruns, molt estes preus. Si je le tenoie a ces greus, Por qu'il noiast la traïson, N'avriez pris a terre .I. tison Si tost con je l'avroie mort. — Bruns, fet Frumans, vos avez tort Qui tel parole maintenez, Que de tel chose vos penez Qui devant aoust n'avendra. Renart a la pes se rendra ; Il n'est mie si desreez Ne por cest plet si effreez Qu'il face bataille envoisie Qui encor ne li est jugiee. Trop malement en artilliez ; Avez tesmoinz apareilliez Qui de ce porteront tesmoing Que vos veïssent au besoing Ou Renart vos fist ceste honte ? — Quels tesmoinz, respont Bruns, i monte ? Dont ne fu li sanz aparanz Qui par tesmoing me soit guaranz ? — Bruns, dist le singes Cointeriaus, Dont est bien vostre li meriaus. Se por ce desresnié avez, Por neent vos estes levez. A Dieu beneïçon ce soit ! Vos me harrez de quoi que soit, Puis vos serez ensanglantez Ou vos meïsme esgratinez. Puis direz que je l'avrai fet, S'en amenderai le mesfet De chose qui n'est conneüe Ne de nus fors de vos seüe ? Lessiez ester, qu'estre ne puet, Autre parole vos estuet. Renart s'en est bien deschargiez, Q'ainz par li ne fustes touchiez Et bien l'avez en cort connut. » A ces paroles Bruns se tut, Pensa ne puet avoir duree, Sa raison a amesuree : « Biau seignor, fet il, or m'oez. Por ce que si biau m'en proiez, Et a grant honte morir doit Qui a la foiz conseil ne croit, Ne vueil vers vos tant estriver Ne mon mautalent alever, Que en vostre esgart me metrai Et a vo los me contendrai. |
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