mercredi 11 mars 2020

Le mariage du roi - La plainte de Chantecler




Chantecler, très en colère,
C


hantecler est sailliz en place
bondit sur place, se redresse,
lisse ses plumes avec son bec,
s’apprêtant à faire un grand discours :
« Sire, sire, dit Chantecler,
j’ai le cœur lourd
depuis la mort de dame Coupée
qui a failli servir de dîner à Renart.
Au nom de Dieu, sire, rendez-moi justice
devant tous vos vassaux
pour l’homicide qu’il a commis
sur la personne de dame Coupée.
Au nom de Dieu, je vous supplie de me venger,
car il ne peut pas le nier.
Écoutez donc le témoignage de dame Pinte
qui a assisté à sa sale besogne.
— C’est vrai, sire, dit-elle,
que Seigneur Dieu ait pitié de son âme !
J’étais là quand il l’a tuée,
ce seigneur a commis un grave péché. »
La plainte du coq se termine sur ce témoignage,
tandis que Renart, la tête penchée,
baisse les yeux vers le sol.
Mais il ne lui laissera pas le dernier mot,
et répond au contraire avec habileté
et hardiesse.
« Sire, fait Renart, écoutez-moi,
pour l’amour de Dieu, et ne vous fâchez pas,
car je n'ai pas si grand tort.
Et si je dois être condamné à mort,
je ne partirai pas avant d’avoir rétabli la vérité,
vous devez savoir toute l’histoire.
Quand je vous ai guéri l’an dernier
de la maladie qui vous avait fort affaibli,
vous m’aviez alors été très reconnaissant,
en me confiant, en tant que sénéchal,
la garde de vos terres
et la surveillance de vos intérêts.
Je me suis donc occupé de vos affaires,
et c’est avec fierté que j’ai pris la route.
Affamé et fatigué
d’avoir tant marché ce jour-là,
je me suis retrouvé chez Gombert du Praine,
bien connu pour chercher des ennuis.
Je l’ai prié aimablement de votre part,
sans chercher à le contrarier,
d’accepter de m’héberger
et de me donner à manger en votre faveur,
ne sachant pas où aller dans la nuit.
Mais il m’a forcé à changer mes plans
en me rejetant vilainement
sans prendre de gants.
Il m’a dit qu’il ne m’aimait pas plus que vous,
pour faire quoi que ce soit en votre faveur.
Je suis alors monté d’un ton
en le menaçant de votre part.
Je lui ai dit que je me plaindrai à vous,
et que pas un jour ne passera sans que je le haïsse,
et cherche à lui causer des ennuis.
Mais, avec son cœur de félon,
il m’a répondu : « Pour ton roi,
tu vas recevoir cette nuit un tel traitement
que tu vas te retrouver en pièces. »
Il a alors appelé tous ses mâtins
et les a lancés à ma poursuite.
Ils ont bien failli m’étriller.
Impossible de faire demi-tour,
ils m’ont fait courir un bon bout de chemin
avant de pouvoir sauter sur une roche.
Je suis resté là immobile, la gueule bien fermée
pour ne pas faire un bruit,
jusqu’à leur départ
chez eux.
J’ai passé un sale quart d’heure cette nuit-là.
Mais c’est aussi contre vous qu’on m’a fait tout ça,
en me chassant de la sorte avec des chiens.
Il m’a mis la honte, mais encore plus à vous
dont je me réclamais.
Je lui aurais bien fait mal
pour vous venger de lui
en m’attaquant à lui plutôt qu’à ses biens,
si j’en avais eu l’occasion.
Le lendemain matin,
j’ai rencontré dame Coupée,
la préférée de seigneur Gombert.
Fière d’elle-même,
elle s’est méchamment moquée de moi,
puis s’est aventurée vers moi en me disant
que si j’osais lui faire du mal,
je ne m’en tirerais pas comme ça.
Pleine d’assurance, grâce à son maître,
elle picorait tranquillement en dehors de la cour.
J’ai été pris d’un accès de colère
suite au sale coup de Gombert,
et pour m’acquitter de ma charge,
j’ai alors rassemblé tout mon courage
et vengé votre honte comme j’ai pu.
Je laisse à votre cour de justice
le soin de décider d’une réparation
si j’ai quelque peu mal agi.
Mais si vous me condamnez lourdement pour ça,
vous n'aurez plus ni serviteur ni sénéchal
disposé à mettre un paysan en colère,
pour défendre à vos intérêts.
Je n’en veux pas non plus à Chantecler,
s’il reconnaît l’acte de cruauté à mon égard,
je suis prêt à faire réparation
comme le décidera votre cour.
— Par ma tête, dit le lion,
me voilà fort chagriné par le mépris
de ce paysan qui ne me craint pas,
et qui chasse un de mes officiers de justice,
en essayant de le faire dévorer par ses chiens,
alors qu’il devrait me craindre.
Par ma barbe, quand j’en aurai l’occasion,
je lui ferai perdre de son assurance.
Cela dit, Chantecler ne méritait pas
d’en subir les conséquences.
Barons, prenez donc votre décision
concernant la réparation de Renart. »
D’autres plaignants interviennent aussitôt : « Pas maintenant,
barons, écoutez d’abord ce que nous avons à dire. »
Brun l’ours se dresse sur ses pattes,
fou de rage
à cause du roi qui prend parti pour Renart
au lieu de le mettre à mort.
« Sire, Sire, dit Brun l’ours,
que Dieu préserve votre cour
dont la justice est si bienveillante,
ainsi que le seigneur qui la dirige.
S'il vous plaît, sire, vengez-moi plutôt,
après avoir été si maltraité par Renart,
quand vous m'avez envoyé
dans son essart à Maupertuis.
J’ai été tellement esquinté à cause de lui
que vous pouvez encore le voir.
Il ne peut pas le nier,
pourtant je n’en ai jamais eu réparation.
Je vais lui montrer sur lui-même ce que j’ai subi,
donnez-le-moi mort ou vif.
— Faites donc, dit Renart, si Dieu le veut !
Mais quel piètre combat en perspective,
car vous êtes grand et fort,
et moi je suis tout petit,
faible et menu,
vieux et chenu.
Quiconque vous laisserait faire,
n’aiderait certainement pas à l’élévation de votre gloire.
Je ne suis pas venu ici pour me battre,
sinon je m’en serais tenu au piège de Ronel.
Je suis venu parler à mon seigneur,
pour le prier au nom de Dieu et de son amitié
de me garder comme vassal
ainsi que sa loyauté.
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Touz corrouciez, mout se rebrace,
Au bec ses pennes aplanoie
Et de bien parler s'amanoie :
« Sire, sire, dist Chanteclers,
Onques mes cuers ne fu puis clers
Que morte fu dame Coupee
Que Renart dut avoir soupee.
Por Dieu, sire, fetes m'en droit
Voiant voz homes orendroit
De l'omicide que il fist,
Quant il dame Coupee ocist.
Por Dieu vos en venge prier,
Que ce ne puet il pas noier :
Vez dame Pinte le tesmoigne
Qui avec fu en la besoigne.
— Voire, sire, ce dist la dame,
Damediex ait merci de l'ame !
Au lieu fui ge ou il l'ocist,
Li sire qui grant pechié fist. »
 Li cos a si son clain finé,
Et Renart a son chief cliné,
Vers terre .I. poi ses eulz bessa.
La parole a tant ne lessa,
Ainz respondi mout sagement,
Si se contient hardiement.
« Sire, fet Renart, or oez,
Por Dieu ne vos en gramoiez,
Que je n'ai mie si grant tort.
Se g'en devoie avoir la mort,
S'en irai ge par mi le voir ;
Bien le vos doi fere savoir.
Quant je vos oi l'autre an gueri
Du mal dont vos vi esmari,
Vostre merci mout m'en amastes.
En baillie me conmandastes
Que garde fusse de vo terre,
Penasse moi de vo preu querre.
Ge porchaçoie vo besoigne ;
Je m'en issi fors de vergoigne.
Touz fameilleus et alassez
Que meinz pas oi ce jor passez,
Ving a l'ostel Gombert du Praine,
Qui meint mal porchace et amaine.
De vostre part bel li priai,
C'onques ne le contraliai,
Qu'ilec me lessast osteler.
Nuiz ert, ne savoie ou aler,
Por vos me donast a mengier.
Il me fist mout mon sens changier,
Mout m'en escondist laidement
Et mout contralïeusement
Dist n'amoit tant ne vos ne moi
Que por vos feïst ce ne quoi.
.I. poi vers lui me redreçai,
De vostre part le menaçai.
Dis li qu'a vos me clameroie,
Ne ja mes jor ne l'ameroie,
Ainz li querroie son damage.
Mes il ot mout felon corage
Et dist : “Por ton seignor anuit
“Te liverrai si mal conduit
“Que tu seras bien chapigniez.”
Touz ses gaignons a apelez,
Ses me hua aprés la queue.
Chacier me durent male veue.
Je ne me poi pas retorner.
Bon pas me firent retorner,
Ainz fu sailli sor une roche ;
La fui toz quoiz a close bouche.
Onques n'osai .I. mot tentir
Duques les chiens vi departir,
Si s'en ralerent en maison.
Cele nuit oi male saison.
Por vos me fist on tant de biens
Que de cort fu chaciez a chiens.
Honte m'a fet et vos greignor,
Qu'i reclamoie a seignor.
Volentiers li feïsse ennui,
Venjasse vos du cors de lui
Plus volentiers que de l'avoir,
Se g'en peüsse leu avoir.
Et l'endemain la matinee
Encontrai ge dame Coupee,
Que danz Gomberz avoit mout chiere,
Ele meïsme estoit fiere,
Vilainement me ramposna.
Aprés a moi s'abandona,
Se ge mal li osoie fere ;
Ge ne m'en pooie retrere.
Por son seignor s'aseüroit,
Ça defors la cort pasturoit.
Mes maltalent m'ot sormené
Por Grombert que m'ot mal mené.
Por fornir vostre mandement
Cueilli ge greignor hardement ;
.I. petit venjai vostre honte.
De ce que amendise monte,
Se riens i a de mesfaiture,
Vostre est la cort et la droiture.
Se vos por ce me fetes mal,
N'avrez serjant ne seneschal
Qui por vo preu a porchacier
Osast un vilain corroucier.
Ne Chantecler ne hé je mie,
S'il prent sor lui la felonnie,
Bien l'en ferai amendement
Au los de toute vostre gent.
— Par mon chief, le lyon a dit,
Or me regrieve du despit
Que li vilains ne me douta
Qui mon serjant me debouta,
Et volt fere a ses genz mengier ;
Auques me deüst resoignier.
Par ma barbe, se g'en ai aise,
Je l'en ferai estre a malaise.
Mes Chantecler par tel deserte
N'en deüst pas avoir la perte.
Barons, s'en faites vostre esgart
Conment li amende Renart. »
Dient li autre : « Nou feron,
Baron, entendez que diron. »
Bruns li ours est en piez levez.
A poi qu'il n'est de duel crevez,
Quant li rois ne destruit Renart
Et qu'il est auques de sa part.
« Sire, sire, dist Brun li ours,
De Dieu soit guerie vo cors
Et li sires qui la maintient,
Quant si bone justice tient.
S'il vos plest, sire, or me vengiez
De ce que si sui ledengiez,
Quant m'envoiastes por Renart
A Malpertuis a son essart.
Par lui fui ge tel conreez
Con vos veïstes et veez.
Ce ne porroit il pas noier,
Ja m'en verroit gage ploier.
Envers son cors le mosterrai
Que vif ou mort le requerrai.
— Mostrez, dist Renart, Diex i vaille !
Ci avroit ja povre bataille,
Que vos estes et granz et fors
Et ge ai ci mout petit cors.
Si sui mout povres et menuz
Et si sui toz viex et chanuz.
Ja qui cest plet vos loeroit,
Certes vo pris n'i acrestroit.
Ne ving pas por bataille faire,
Restroie en Roonel le maire.
Ge vieng parler a mon seignor ;
Por Dieu li pri et por s'amor
Qu'il me mainteigne a feeuté
Et qu'il i gart sa loiauté.
Le mariage que Renart fit au roi Noble le lion Ci conmance le mariage que Renart fist au roi Noble le lyon (M24)
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