nous avez-vous tout dit ou souhaitez-vous ajouter autre chose ? » Ysengrin réplique : « J'en ai dit suffisamment, et vous serez bien vite fatigué avant de vous en dépêtrer. Sachez que je n’ai pas bu aujourd’hui, je ne suis pas ivre. » Renart répond : « Sire, entendez-moi, puis décidez qui de nous deux a raison. Je vais retourner toutes les accusations qu’Yzengrin me met sur le dos. Il est vrai que vous m’aviez convoqué par l’intermédiaire de Grimbert, pour me présenter devant Ronel et m’en tenir à ce qu’il dirait. Je me rappelle avoir lu de votre plume quelque chose disant que si je prêtais serment devant tout le monde, alors je serais quitte. Après lecture de votre lettre, je me suis préparé à faire ce serment dont Ronel serait le garant. Je suis donc venu à la cour prêt et dispos, conformément à votre demande. Mais je vais vous raconter maintenant comment j’ai failli être mis à mal. Quand je suis arrivé le jour dit, sans retard ni contretemps, Ysengrin m’a laissé entendre, dans l’idée de me berner, que Ronel s’était étouffé avec un os, et qu’il était adossé à une tombe, où il a trouvé la mort. Ils avaient décidé, à tort ou à raison, que je devais jurer sur la dent Ronel pour m’acquitter de mon serment. Sans chercher à fuir, malgré ma colère, je me suis avancé, bien décidé à prêter serment à leurs conditions pour avoir la paix. J’ai retroussé les manches, et me suis approché de la dent, très énervé. Mais si je ne m’étais aperçu de rien, je me serais bien fait avoir. J’ai vu Ronel lever la tête peinant à retenir son souffle. J’ai vite compris la supercherie et qu’on allait me jouer un sale tour. On ne peut pas m’en vouloir d’avoir cherché à m’échapper pour ne pas me retrouver entre leurs mains, car ils auraient eu vite fait de m’estourbir. Ronel, censé être mort, n’a pas perdu de temps pour se jeter à ma poursuite à toute vitesse avec ses compagnons et me faire bien des misères. Il y avait au moins cinq cents mâtins qui se démenaient méchamment pour me dépouiller de ma pelisse. Voilà, sire, comment j’ai été traité et attaqué sur vos terres. Malheur à moi mais honte à vous à cause de ce traître de Ronel ! Il l’a fait par haine à cause de ma femme, dame Hermeline, qui a rejeté ses avances. Des plaintes ont été déposées l'autre jour, pour la honte qu’il vous a causée en se couchant ici la langue pendante. Vous devez rendre justice et le pendre plus haut que n’importe quel larron. Seigneur Frimaut le putois l’a bien vu, tout comme mon ami Grimbert et tous les barons qui étaient venus, tous se sont comportés avec loyauté. S’il plaît à Dieu, ils vous diront la vérité, car jamais ils ne mentiraient à mon égard, et tous savent bien que je dis vrai. Cela dit, afin d’avoir la paix, je prêterai serment ici devant vous en toute sincérité. Je n’ai rien à faire de la guerre, et souhaite au contraire la paix sur terre. Je suis prêt à jurer au plus petit d’entre tous de lui faire grand honneur. Si les barons prennent une décision juste, alors je ne prendrai pas la peine de plaider. Je suivrai volontiers leur décision sans chercher à discuter. — Écoutez, par les saints de Bethléem, répond Noble en souriant, Renart, si tu dis la vérité, ils seront tous dépouillés de leurs biens, car si tu as été trompé sur mes terres, je suis moi aussi concerné. Seigneurs, écoutez ce que dit Renart, car cela requiert une grande attention. Que les autres formulent leurs plaintes ! Écoutez-les bien, de grâce, mettez-y tout votre talent afin de rendre un jugement équitable. » | 25912 25916 25920 25924 25928 25932 25936 25940 25944 25948 25952 25956 25960 25964 25968 25972 25976 25980 25984 25988 25992 25996 26000 26004 26008 | Avez tot dit ? Volez plus dire ? » Dist Ysengrin : « J'ai dit assez. De tant serez vos toz lassez, Ainz que vos en soiez delivres. Je ne bui hui dont je soie ivres. » Renart respont : « Sire, entendez. Selonc l'un droit l'autre prenez. De ce q'Ysengrin me met sus, Le metrai ge du tot en sus. Ce fu voirs que vos me mandastes Et par Grimbert me conmandastes Que devant Roonel venisse Et a son los me deduisisse. Aprés trovai en vostre escrit Ce ne sai ge quel chose escrit, Que por quanqu'a cest mont apent En feïsse je serement ; Por tant en devroie estre quites. Et quant je oi les letres lites, Pres fui de mon sairement faire Et Roonel dut estre maire. Je ving a cort pres et garniz Par vo conmant, mes escharniz I dui estre mout malement, Et si vos conterai conment. Quant je sui venuz a mon jor Sanz contremant et sanz sejor, Ysengrin me fist a entendre, Con cil qui me voloit sorprendre, Que Roonel iert enossez. A .I. tombel ert adossez ; Illec devoit il estre morz. Esgarderent, fust droit ou torz, Sor la dent Roonel jurasse Et mon serement aquitasse. Onc n'en foï, ainz m'avanchié, Encor en fusse ge irié ; Si voil fere mon serement Por pes avoir a lor talent. Je ving au dent toz rebraciez, Mout en dui estre corrouciez ; Se ne me fusse aparceüz, J'eüsse esté mout deceüz. Je li vi la teste lever Et a s'alaine mout pener. Bien aparçui la vilanie Q'en i entendoit felonnie, Et se ge quis ma guerison Que ne cheïsse en lor prison, De ce ne me doit nus blasmer, Que tost m'eüssent fet pasmer. Morz devoit estre Rooniaux, Mes aprés moi fu toz isniaux. Il me sivi grant aleüre Et si me fist mainte laidure Entre lui et ses compaignons. Bien i avoit .VC. gaignons Qui laidement me demenerent, Mon peliçon me despanerent. Sire, si fui ge maubailliz Et en vo conduit assailliz. Vostre est la honte et miens li maux Par vo justisiers qui fu faux. Ce fist Roonel par haïne Por ma fame dame Hermeline Qui nu volt aaisier d'amors. L'autrier en furent les clamors De la honte qu'il vos a faite, Qu'il jut issi la langue traite. Bien en devez justise prendre Et plus haut qu'autre larron pendre. Ce vit danz Frimaux li putois Et Grimbert qui mout est cortois Et tuit li baron qui la vindrent Et mout loiaument se contindrent. Se Diex plest, le voir en diront, Que ja por moi n'en mentiront. Bien sevent tuit que je di voir. Et neporquant por pes avoir Peroie je le serement Ci devant vos mout loiaument. Je n'avroie mestier de guere, Que pes vodroie estre en la terre, Si juroie tot le menor Et porteroie grant honor. S'en dient ces barons droiture, N'averoie de plaider cure. Mout volentiers sivrai lor dit, Ja n'i meterai contredit. — Oz, por les sainz de Biauliant, Respont Noble en sorriant, Renart, se tu dis verité, Dont sont il tout desherité. S'en mon conduit fus deceüz, Ge meïsme i sui receüz. Seignors, oez que dit Renart, Ci afiert .I. mout grant esgart ; Facent li autre lor clamor. Vos i entendez par amor, Metez i vostre entendement Por faire loial jugement. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire