vous avez déjà entendu parler de Renart, eh bien voici l’une de ses plus grosses supercheries qui lui a sauvé la mise. Renart le roux se dit un jour que tant qu’il restera brouillé avec le roi, il ne pourra jamais avoir la paix, à moins de faire preuve d’ingéniosité. « Sire, sire, dit Renart, je n’ai pas l’intention de discuter ce que vous me demanderez. Faites de moi ce que vous voulez. Je suis venu à votre demande, je suis à vos ordres. Car, si j’avais commis tant de fautes envers vous, qui me vaudraient d’être exécuté, je ne me serais jamais présenté devant vous, au contraire je ne serais pas sorti de mon château, en attendant votre armée et la guerre. Un malheur arrive bien assez vite ! Mais je suis venu à vous de plein gré, car je suis innocent et irréprochable, je n’ai commis aucune faute, et je m’en remets à votre justice. Je vous ai servi maintes fois, Dieu m’en soit témoin, en toute fidélité. Vous seriez totalement discrédité, si j’étais mis à mort sans jugement ni raison sous votre toit. Mais je sais qu’en vérité vous êtes la charité même, certes vous êtes fort et fier, vous n’en êtes pas moins juste et bon. Vous ne feriez de tort à quiconque même pour tout l’or de Rome. J’en suis convaincu, d’ailleurs s’il m’arrivait un malheur, comme vous êtes un roi bon et loyal, en aucun cas simoniaque, vous ne feriez aucun mal à vos sujets pour de l’or ou de l’argent. Sire, s'il vous plaît, faites taire ces criards et cesser tout ce tapage. Que ceux qui le veulent vraiment, vous remettent leur plainte. Vous saurez alors de quoi ils se plaignent vraiment. Que ces grands barons qui s’agitent, disent ce qu’ils ont à dire. Et si je ne parviens pas à me justifier ni à faire valoir mes droits, on pourra alors me faire passer aux aveux, à la queue d'une vieille jument. Mais accordez-moi un procès équitable. — Voilà qui est bien dit, répond l'empereur. Par la foi que je dois à l'âme mon père, je ne veux pas avoir la réputation de faire du tort à quiconque pour de l’argent ou d’avoir une cour abusive, mais au contraire d’être juste et loyal. Que ceux qui reprochent quoi que ce soit à Renart viennent s’en plaindre. Et soyez bien certains que s’il est reconnu coupable, il ne s’en tirera pas vivant, et mourra dans la honte. » Ysengrin se dresse sur ses pattes, toujours très en colère, parce qu’il tient au serment de Renart, suite au jugement des barons en réparation de ses ennuis. Il s’avance vers le roi et dit : « Mon roi, ne vous fâchez pas, si je me plains encore de Renart, car les barons avaient décidé qu’il devait me présenter ses excuses par serment pour l’adultère qu'il a commis sur mon épouse, pour lequel elle s’est fait blâmer. Je me plains aussi parce qu’il s’est caché dans ma tanière, puis a battu mes louveteaux et leur a pissé dessus sans qu’ils puissent se défendre. Nous savons tous très bien qu’il est venu jusqu’au lieu du serment. Il pensait que je l’aimais assez pour lui pardonner, mais quand il a compris qu’il devait jurer, il a eu vite fait de se tirer et de s’enfuir chez lui. Tous les barons le savent bien et ne peuvent l’approuver sans hypocrisie. Faites preuve de droiture à mon égard pour ce préjudice, je vous en saurais gré, il doit avoir ce qu’il mérite. Peut-être Renart est-il si rusé, qu’il ne cherchera pas querelle, et dira qu’il était là par méprise sans chercher à nuire. Mais je le tiens entièrement responsable. Au nom de notre Seigneur qui est aux cieux, je ferai ce que l’on voudra et m’en tiendrai au jugement de la cour, à condition qu’il soit juste. » | 25800 25804 25808 25812 25816 25820 25824 25828 25832 25836 25840 25844 25848 25852 25856 25860 25864 25868 25872 25876 25880 25884 25888 25892 25896 25900 25904 25908 | Qui de Renart oï avez, S'orrez une mout grant voisdie Qui a Renart fist grant aïe. Renart li rous s'est porpensez Que tant estoit au roi meslez ; Ne puet a nul jor pes avoir, Se ce n'est par mout grant savoir. « Sire, sire, Renart a dit, Vers vos n'ai ge nul contredit De quanque vos demanderez. Vostre plaisir de moi ferez. Je sui venuz a vostre mant, Si fetes tot vostre comant. Se tant fusse vers vos mesfaiz Que j'en deüsse estre desfaiz, Tresisse moi de vos en sus, De mon chastel ne fusse issuz, Ainz atendisse guerre et ost, Que au mal vient en assez tost. A vos sui venuz volentiers, Que tant me sant saus et entiers Que sui sanz nule forfeture, Et bien m'offre a vostre droiture. Je vos ai servi mainte foiz, Si m'aïst Diex, en bone foiz ; S'en serïez mout avilliez, Se ge estoie essilliez Sanz jugement et sanz reson El conduit de vostre meson. Mes je sai bien de verité Qu'en vos a tant de charité, Encor soiez vos forz et fiers, Que vos estes bons droituriers, Ne ferïez tort a nul home Por trestot le tresor de Rome. De ce sui ge tot asseür, Porquant se j'ai mavés eür, Que bons rois estes et loiaux, N'estes mie simonïaux, Que vos por or ne por argent Faciez mal mener vostre gent. Sire, s'il vos vient a plaisir, Que faites ces crïeurs taisir Et ceste grant noise abessier. Aprés qui nel voldra lessier Face son clain a vos de moi, Et vos i entendez por coi Et por quel mesfet il se claiment. Cist haut baron qui ça sus mainent, Die chascuns que vodra dire. Se ge ne m'en puis escondire Et ge n'en sai mon droit mostrer, Dont me doit on fere mostrer A la queue d'un viel jument. Faites m'avoir droit jugement. — Cist a bien dit, fet l'emperere, Foi que je doi l'ame mon pere, Je ne vueil pas le los avoir Que je face tort por avoir Ne que ma cort soit loonice, Ainz vueil estre loial justice. Qui riens velt Renart demander, Si se viegne de lui clamer. Et il de ce soit touz certains, Se il de ces plez est atains, Que ja vis n'en eschapera ; A mout grant honte fenira. » Isengrin s'est en piez dreciez, Qui encor ert mout corrouciez, Por ce qu'il velt son sairement Selon l'esgart du jugement Que li baron li orent fait En amendise du mes fait. Devant le roi s'est aprouchiez, Dist : « Rois, ne vos en corrouciez, Se ge me reclain de Renart. Va baron firent .I. esgart Qu'il se dut vers moi escondire Par serement de l'avoutire Qu'en li mist sus de m'espousee Dont ele a mout esté blasmee. De ce me plaing qu'i se quati En ma loviere et si bati Mes loviaux et les compissa, Aine nus d'euls ne s'en revenja. Ce savons nos bien vraiement Que il vint jusqu'au serement. Il quida que je tant l'amasse, Espoir, que je li pardonasse. Quant vit qu'il li convendroit fere, Mout tost se sot arriere trere, Si s'en foï en sa meson. Ce sevent bien tuit cist baron, Que nel porroient consentir, S'il n'en voloient bien mentir. Or en prenez bien vo droiture Por moi de ceste forfeture. Fetes tant que gré vos en sache ; Bien doit avoir ce qu'il porchace. Espoir Renart est trop voiseus, Encor ne soit il pas noiseus, Qu'il dira ja par mesprison Q'ainz ne porchaça traïson. Mes tot ce li met ge bien sus. Par cel Seignor qui meint la sus Bien en ferai quanqu'en voudra, Si con la cort esgardera. Bien m'en acort au jugement, Et l'on le face loiaument. » |
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