devant la forteresse, dans la joie et la bonne humeur, tout le long de la journée et une grande partie de la nuit, jusqu’à ce qu’ils tombent tous de sommeil sans exception. Renart, qui ne connaît rien d’autre que le mal et la trahison, appelle ses deux fils et Ysengrin son compagnon : « Seigneurs, dit-il, que faire maintenant qu’ils dorment tous dans l’autre camp ? Vite, prenez vos armes, et allons les attaquer. Que Dieu ait pitié de mon âme, si j’arrive jusqu’au roi sans arriver à le tuer alors que je le tiens à ma merci. — Seigneur, répondent-ils, c’est bien parlé. » Sur ce, tous les quatre, et personne d’autre, prennent leurs armes sans en dire plus. Ils font descendre le pont-levis tout doucement, et s’éloignent sans faire le moindre bruit. Puis, ils donnent l’assaut dans le camp ennemi, brutalement, et en tuent quatre pour commencer. C’est le branle-bas de combat dans le camp. Ils se dirigent vers la tente du roi et coupent les cordes, la tente tombe et le roi se réveille, surpris par tout ce tapage. Les siens se précipitent tous sur leurs armes, se harnachent en toute hâte. Ils veulent capturer les quatre assaillants sans délai, mais ils sont déjà sur le chemin du retour. Ils les rattrapent devant la tour, et leur livrent un combat féroce. Les quatre barons résistent aux partisans du roi. Renart, Ysengrin, Rouvel et Malebranche, qui est vraiment très fort, tuent plusieurs ennemis. Mais, malgré les nombreux blessés qu’ils font, la situation se retourne à leur désavantage. Les soldats du roi finissent par attraper Renart de force, tandis que les autres, qu’ils le veuillent ou non, parviennent à se réfugier dans le château. Renart, dans un tumulte général, est amené devant le roi, qui est fou de rage. Il lui dit aussitôt : « Alors, saleté de rouquin, sale engeance ! Tu as causé tant de dégâts parmi les miens que tu vas en être récompensé. Tu vas être pendu sur-le-champ, ni ruses ni tromperies n’y feront. — Pitié, répond-il, bon roi Noble, pardonnez-moi pour cette fois. Je sais bien que j’ai mal agi envers vous, mais si vous me pardonnez maintenant, alors je serai bien récompensé pour le service que je vous ai rendu en allant à Palerme, à Rome et à Salerne, pour vous guérir de la fièvre. J’ai passé plus de sept mois outremer, chez les sarrasins, pour chercher un remède. En me récompensant en retour, Dieu et Notre-Dame vous le rendront pour le salut de votre âme. » Le roi l’écoute dans sa grande sagesse, se remémore le service rendu jadis par Renart, puis se met à réfléchir. Tout le monde se tait et garde le silence. Après mûres réflexions, il déclare : « Seigneurs, écoutez-moi bien. Voyez ce traitre, qui m'a causé tant de tort, me rappeler maintenant à son bon souvenir, quand il m’a sauvé de la maladie ! Mais il est en droit de le faire, ce qui va lui être utile, car même pour tout l’or du monde, je ne lui ferai pas le moindre mal, au contraire, je lui pardonne tous ses méfaits jusqu’à ce jour, je le déclare quitte pour tout sur-le-champ. » Renart répond : « Je vous en remercie. » Sur ces mots, la paix est conclue, le roi fait sonner la retraite, ordonne de cesser l’assaut de la tour, et fait démonter les tentes sans plus attendre. Puis il se dirige avec sa troupe d’une traite vers le château. Il descend sur le perron, où dame Fière vient à sa rencontre, et l’accueille avec toute l’allégresse que l’on doit à son mari. Le roi l’embrasse avec fougue et bonheur, puis monte dans le palais tout guilleret. Elle lui raconte des boniments, de sorte qu’il ne se doute même pas que Renart l’avait épousée. Personne d’autre n’en a parlé, et personne n’en parlera jamais. Renart rentre à Maupertuis, où ses fils l’accueillent avec joie, comme il se doit. Depuis, il s’entend si bien avec le roi Noble, que même ceux de Constantinople, par médisance ou par calomnies, n’ont jamais pu les brouiller d’une manière ou d’une autre, ainsi qu’il est écrit. Il y a entre eux une véritable amitié. Ainsi finit l’histoire. | 23984 23988 23992 23996 24000 24004 24008 24012 24016 24020 24024 24028 24032 24036 24040 24044 24048 24052 24056 24060 24064 24068 24072 24076 24080 24084 24088 24092 24096 24100 24104 | Tendu devant la forteresce. A grant joie et a grant baudor Furent illeques tout le jor Et grant partie de la nuit, Tant que il s'en dormirent tuit ; Nus n'en i ot qui ne dormist. Renart qui onques bien ne fist, Se mal non et desloiautez, En a ses .II. filz apelez Et Ysengrin son compaingnon : « Seignors, dist il, quel la feron ? Il se dorment trestuit en l'ost ; Fetes et si vos armez tost, Si les iromes estormir. Se ge puis au roi avenir, Ja Diex n'ait de m'ame merci, Se je le tieng, se ne l'oci. — Sire, font il, bien avez dit. » Adonc s'arment sanz contredit Tuit .IIII. que n'en i ot plus. Le pont ont fait avaler jus Tout belement et touz souef. Et quant li pont fu avalez, Si s'en vont sanz noise et sanz cri, Durement ont l'ost estormi. .IIII. en ont mort au premier saut, L'ost s'estormi et bas et haut. Vers la tente le roi en vont, Les cordes coupees en ont ; La tente chiet, li rois s'esveille, La noise entent, si se merveille. As armes corent cil de l'ost, Ignelement s'arment et tost. Ja les vodront toz .IIII. prendre, Mes il ne se vodrent mie atendre. Ançois se sont mis el retor, Atains les ont devant la tor, La ont fait .I. chaple felon. Bien se contienent li baron Tuit .IIII. contre les roiaux : Renart, Ysengrin et Rovaux Et Malebranche qui fu fors Maint en i ont ocis et mors. Mes qui que soit navrez ne pris Seur eus en est torné le pis, Que la gent au roi tant s'esforce Que Renart i ont pris a force, Et li autre, qui que soit bel, Se sont feru enz el chastel. Et Renart par mout grant desroi En fu mené devant le roi Trestoz corociez et plain d'ire. Li rois li conmença a dire : « Ha ! pugnés rous de male part, De ma gent as fet grant essart. Mes li guerredon t'ert renduz, Que orendroit seras penduz ; Ne t'i vaudra enging ne boules. — Merci, fait il, gentis rois Nobles, Pardonnez nos a ceste foiz, Bien sai que vers vos sui mesfoiz. Se ceste foiz me pardonnez, Bien me sera guerredonnez Le servise que je vos fis Qant de la fievre vos garis, Quant je fui por vos en Palerne, En Romenie et en Salerne. Outre mer en Sarrazinois Fui ge por vos plus de .VII. mois Por querre vostre garison. Or m'en rendez le guerredon, Et Damedieu et nostre Dame Si le vos rendra bien a l'ame. » Li rois si fu plains de savoir ; Ot le servise amentevoir Que Renart li ot fet jadis ; Adonc a porpenser s'est pris. Chascun se test et ne dist mot. Et quant longuement pensé ot, Si dist : « Seignor, entendez ça : Vez cel traïtor qui mout m'a Mesfet ; or me reproche ci Ce que de mon mal m'a gari. Il le me doit bien reprouchier. Orendroit li avra mestier, Que por tot l'or qui el mont soit Ne li mesferoie orendroit, Ainz li pardon tout le mesfet Que il m'a en cest monde fet, Trestout li quit orendroit ci. » Renart respont : « Vostre merci. » A icest mot fu la pes faite ; Li rois fist corner la retraite, Ceus qui asailloient la tor A il fait metre el retor. Et maintenant sanz arester A fait ses paveillons oster. O toute sa gent s'en retorne, De si au chastel ne sejorne ; Tantost au perron descendi, Dame Fiere vint contre lui Qui a grant joie le reçut Si con son seignor fere dut, Durement la baise et conjoie. El palés monte a grant joie Li rois ; par parole deçoit Si que il point ne s'aparçoit Que Renart l'eüst espousee. Onques n'en fu aresonnee, Ne il n'en fu parole puis. Renart s'en vint a Malpertuis Ou a grant joie le reçurent Si fil si conme fere durent. Puis fu il si bien du roi Noble Que tuit cil de Costentinoble, Par parole ne par mesdit, Issi con l'escripture dit, Nel feïssent au roi meller Por riens qu'en li seüst parler, Mes entre eus mout grant amor ot. Li contes fenist a cest mot. |
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