quand les arbres bourgeonnent, et les loriots et les perroquets chantent haut et fort dans les bois. Renart, resté jusque-là calfeutré dans sa demeure, est content comme tout de voir le retour du beau temps, après avoir bien souffert de l’hiver. Il ouvre la porte de son château, et pointe son museau dehors. Il regarde en aval des prés au cas où quelqu’un arriverait, puis il part de chez lui. Que personne ne le recommande à Dieu ! Il file à toute allure à travers la lande en quête de nourriture. Comme il n’est ni empoté ni maladroit, il avance rapidement à grands bonds. Il passe entre les saules d’un enclos, à toute vitesse, tête baissée. Il y a dans cet enclos un parc récemment aménagé, et à l’intérieur, les coqs, les poules et les chapons de l’abbaye des moines blancs. Renart monte, grâce à une branche, sur les pieux de la palissade, puis saute dans la cour de toute la hauteur. Il fonce sur les chapons et les attaque comme un fou furieux. Il en mange deux coup sur coup avec la plus grande joie, puis ressort à travers la haie. Mais il se fait repérer par l’un des moines blancs qui prend un bâton en main, et fonce sur Renart dans une colère noire. Il lui dit aussitôt : « Renart, vous voilà attrapé maintenant ! » Il lui assène un coup de bâton qui lui fait plier l’échine. Cela n’amuse pas du tout Renart ! Il se jette alors sur le moine, se fiche entre ses jambes, et se débat comme un enragé. Il l’attrape par les couilles à pleines dents, et lui en arrache une. Le moine, pris de stupeur, tombe à terre de tout son long, tandis que Renart tourne les talons, sort de l’enclos à reculons et prend la fuite au trot. Il a bien eu le moine, il est tout content de lui avoir arraché une couille. Il n’est pas allé bien loin quand il tombe sur Couard chevauchant un destrier. Il transporte, sur son échine, un pelletier, à qui il a pris son épée, et entravé les jarrets avec une tige de jeune arbuste. Couard avance vers Renart, tranquillement. Renart, surpris de le voir ainsi, marque un temps d’arrêt, et prend le temps de l’examiner. Puis, de but en blanc, il le salue et lui dit : « Couard, soyez le bienvenu ! Mais dites-moi donc, s’il vous plaît, qui est cet homme que vous transportez ? Je suis curieux de l’apprendre. Est-ce une prise de guerre ? Et pour quelle raison lui infligez-vous un tel traitement ? Je veux le savoir et j’en ai bien le droit. » Couard lui répond : « Je vais vous le dire puisque que ça semble vous intéresser. » Il dépose alors son prisonnier et s’assoit. Renart s’installe à côté de lui. « Seigneur, fait-il, voici ce qui m'est arrivé ce matin en allant gambader dans le bois comme à l’habitude. Je suis tombé sur ce paysan qui m’a cherché des noises, en tirant son épée sur moi, je vous le jure. Sachez qu’il m’aurait frappé volontiers s’il avait pu, mais quand je l’ai vu arriver sur moi, et je me suis lancé sur lui tête baissée, sans retenue, en lui crachant au visage. Je l’ai couvert de crachats, et le paysan, déconcerté, est tombé de peur. Je lui ai aussitôt bondi sur le ventre sans hésiter, et j’ai réussi à lui soustraire l’épée de ses mains. Je veux maintenant demander justice à la cour de Noble le lion, et voir ce qu’ils vont lui faire. » Renart se réjouit d’entendre cette explication, et lui répond aussitôt : « Couard, quelle folie, quelle félonie, quel outrage ! Il ne convient pas à un homme de noble naissance, un homme d’honneur et propriétaire terrien, d’aller chercher justice ailleurs. S'il prend un homme en flagrant délit, il doit rendre justice lui-même. S’il m’avait causé du tort, croyez-moi, je me serais vengé moi-même. | 24108 24112 24116 24120 24124 24128 24132 24136 24140 24144 24148 24152 24156 24160 24164 24168 24172 24176 24180 24184 24188 24192 24196 24200 24204 24208 24212 24216 24220 24224 | Que cil arbre caillent semence, Que cler chantent par mi le gaut L'oriol et le papegaut : A icel tens que vos dison Estoit Renart en sa meson, Qui por le biau tens qui revint Mout liez et mout joiant se tint, Qar mout ot l'yver mal soufert. De son chastel tint l'uis ouvert, Si s'en issi sanz demouree Et regarda a val la pree S'ame venoit de nule part. A tant de sa meson se part Que nule ame a Dieu ne conmande. Poingnant s'en va par mi la lande Por sa viande pourchacier. Il ne fu ne clos n'eschacier, Ainz s'en va poingnant a grant saus. Par mi .I. plaiseïs de saus S'en va Renart tout eslessié, Esperonnant le col bessié. Dedenz cel plaisseïs avoit .I. parc qui noviaux i estoit ; Dedenz avoit, si con lisons, Coux et gelines et chapons Qui sont d'une abaie blanche. Renart monte par une branche Sor les piex et sus le palis, Puis est dedenz la cort saillis Des piex a terre qui sont haut. As chapons vient, si les asaut Conme desvez et esragiez. .II. chapons a tantost mengiez A grant leece et a grant aise, Puis s'en issi par mi la haise. Mes issi con il s'en issoit, Uns des blans moines l'aparçoit, S'a pris .I. baston en sa main ; Aprés Renart s'en va le plain, Tot corouciez et toz plain d'ire. Maintenant li a pris a dire : « Renart, or vos ai atrapé. » Lors l'a si du baston frapé Que toute l'eschine li ploie. En Renart n'a ne ris ne joie. Vers le rendu s'en est alez, Entre ses jambes s'est colez Conme cil qui fu d'ire espris. Renart l'a par la coille pris As denz et si forment le sache Que .I. des coillons li esrache. Li moines fu mout esperduz, A la terre chiet estenduz. Et Renart torne les talons, Du paliz ist a reculons ; A la fuie se met le trot. Le moine a bien tenu por sot, Qu'il li ot la coille tolue, Si en a mout grant joie eüe. Mes n'a mie granment alé Que il a Couart encontré Qui chevauchoit sor .I. destrier. Sor son col tint le peletier A qui il ot tolu s'espee ; Par les garez li ot boutee Une verge d'un vert plançon. Vers Renart s'en vint sanz tençon. Si tost com Renart l'aparçut, Merveilla soi, si s'arestut Et le regarda une piece. A cui que desplace ne siece, Le salue et dist itant : « Coart, bien soiez vos venant ! Dites moi, se vos le volez : Qui est cil hons que vos portez ? Savoir le voil sanz nule faille. Avez le vos pris em bataille ? Et conment et par quel reson Li fetes vos tel mesprison ? Savoir le voil, quar il est droiz. » Coart respont : « Bien le savroiz, Puis qu'il vos plest et il vos siet. » A tant le met jus, si s'asiet, Et Renart s'asist joste lui. « Sire, fait il, il m'avint hui Matin que jouer m'en aloie Par cel bois si con je souloie, Si encontré par aventure Cel vilain qui me fist laidure Mout grant, car s'espee sor moi Sacha, par la foi que vos doi. Et sachiez que feru m'eüst Mout volentiers, se il peüst. Quant je le vi vers moi venir, Adonques ne me poi tenir, Ainz vin a lui tot ademis, Si li crachai en mi le vis Et escopi par grant vertu. Li vilains en fu esperdu, De peor a terre chaï, Et je maintenant li sailli Sus le ventre sanz demorer. L'espee li alai oster Hors de la main espertement. Or en vois querre jugement Por savoir que de lui feron A la cort Noble le lyon. » Renart qui la parole oï, Mout durement s'en esjoï, Si li respont sanz demoree : « Coart, folie avez pensee, Et grant felonnie et outrage. N'afiert a honme de parage, Puis que il tient hennor et terre, Que aillors aut jugement querre ; Et s'il prent honme en son forfet, Il meïsmes justice en fet. S'il m'eüst mesfet, par ma foi, Justice em preïsse par moi. |
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