et lui répond avec un sourire : « Bruyant, fait-il, vous êtes quitte pour cette fois, mais vous me promettez de vous constituer prisonnier au château. — Seigneur, répond-il, ça me va très bien, je ferai comme vous voulez. Mais s’il vous plaît, laissez-moi la vie sauve, c’est tout ce qui compte. » Ils remontent en selle aussitôt car il n’y a pas de temps à perdre. La bataille prend fin à l’avantage de Renart, qui emmène Brun l'ours et Bruyant le taureau en prison. Une fois dans le château, tout le monde est en liesse. Seul le roi Noble est triste et malheureux, fâché d’avoir perdu ses deux barons. Il implore Dieu et tous les saints, bien décidé à rester ici tant qu’il ne les aura pas ramenés avec lui. Mais Renart se fiche pas mal de tout ce que le roi peut raconter, il ne le craint pas du tout. Ils descendent sur le perron, puis montent dans le palais. Jamais accueil n’a été aussi chaleureux que celui que de la reine. Elle leur demande : « Qu’ont-ils fait ? — Tout va bien, répond Renart, grâce à Dieu. Nous avons amené Brun l'ours et Bruyant le taureau en prison. Je n’accepterai ni argent ni or ni aucune rançon contre eux. Au contraire, nous les garderons ici comme monnaie d’échange, au cas où l’un de nous serait pris, faites-moi confiance. — Par saint Simon, voilà qui est bien parlé. » À ces mots, elle le prend dans ses bras, avec Malebranche et Percehaie, et accueille chaleureusement tous les autres. C’est la joie dans le palais, tout le monde chante des lais et des sonnets. Ils font tous la fête jusqu’à tard dans la nuit. On y joue de belles mélodies au son des harpes et des violes, des pipeaux et des citoles. Les demoiselles dansent la carole, et chantent avec entrain. Il y a de nombreux instruments dans la grand-salle et dans tout le palais. On ne dit du mal de personne, ni des riches, ni des pauvres, mais seulement du roi Noble, contre qui tous profèrent des menaces. « C'est étonnant qu’il ne s’enfuie pas, font-ils, nous lui avons bien fait peur avec tous les blessés et les morts que nous avons faits. — Barons, dit Renart, tout cela est bel et bien, mais il est inutile de le menacer. Nous verrons bien demain au lever du jour, qui saura mieux se battre, s’empoigner, se donner des coups, et brandir ses étendards. Si je vois que vous vous comportez bien pendant la bataille pour les mettre en fuite, comme vous en avez l’intention, alors vous m’aurez servi. Si en plus vous les mettez hors de combat, alors je serai ravi. » Tous continuent à faire des discours pendant toute la nuit jusqu’au petit matin. Puis, les chevaliers se lèvent sans plus attendre, prennent leurs armes, montrant au roi comme ils sont courageux. Seigneur Renart l’empereur lui aussi prend ses armes, ainsi que ses deux fils et son cousin Grimbert toujours aussi fidèle, loyal et courageux. Renart monte un cheval de valeur. Il prend congé de la reine et lui dit : « Madame, à mon avis, le roi sera en prison avant la tombée de la nuit. — Seigneur, fait-elle, que Dieu vous donne raison. » Il l’embrasse une dernière fois, puis fait ouvrir les portes et descendre le pont. Ils sortent tous d’un seul élan, et foncent vers l’armée du roi. Mais chacun a la peur au ventre malgré toutes leurs armes. Le roi Noble et ses soldats ont déjà leurs équipements sur eux pour ne pas se faire surprendre à nouveau. Quand il voit ceux d’en face arriver il appelle ses chevaliers. « Seigneurs, fait-il, je compte sur vous pour m’aider à me venger de ce traître et bandit qui a pris possession de ma maison. Il a tort de me faire la guerre, honte à moi s’il s’en tire. Je ne retrouverai le sourire que lorsque je serai vengé de lui. — Sire, font-ils, c’est bien compris. Honni soit qui manque à votre appel ! Mais n’ayez crainte, car aucun de nous ne vous lâchera aujourd’hui. » Le roi est content de les entendre et les remercie tous. | 23360 23364 23368 23372 23376 23380 23384 23388 23392 23396 23400 23404 23408 23412 23416 23420 23424 23428 23432 23436 23440 23444 23448 23452 23456 23460 23464 23468 23472 23476 | Si li respondi en riant : « Bruiant, fet il, a ceste foiz Vos quit, mes vos fiancerez Prison a tenir el chastel. — Sire, fet il, ce m'est mout bel, Si le feré conme vos dites. Mes que soie de la mort quites, Issi con il vos plest l'otroi. » A tant remontent sanz deloi Conme cil a cui estoit tart. A itant le chaple depart, Bien l'a fait Renart a cel cors, En prison en mainne Brun l'ors Et Bruiant li tors autresi. El chastel en sont reverti Tuit ensemble lié et joiant. Et le roi fu tristre et dolent Et coroucié de ses barons ; Forment prie Dieu et ses nons Et dit d'ileuc n'en partira Jusqu'a tant que pris les avra. Mout par est a Renart petit, De tout ice que li rois dit Ne doutoit pas .I. esperon. Descendu en sont au perron Et puis sont monté el palés. Ainz si grant joie ne fu mes Conme la roïne leur fet, Puis lor demande : « Que ont fet ? — Bien, fet Renart, la merci Dé. Brun l'ors avon ci amené En prison et Bruiant le tor ; N'en prandroie argent ne or Ne nul avoir de raençon, Mes ça dedenz les garderon, Qar ice sai je tout de fis Que se .I. des nos estoit pris, Que par ices les ravrion. — Foi que je doi saint Semion, Vos en avez mout bien parlé. » A icest mot l'a acolé, Et Malebranche et Percehaie, A touz les autres fet grant joie. Grant joie font par le palés, Chantoient et lais et sonés. Toutes et tuit, si con moi semble, Firent la nuit grant joie ensemble. Harpes i sonent et vieles Qui font les melodies beles, Les estives et les chitoles. Les damoiseles font queroles Et chantent envoisiement. Illec avoit maint estrument Par le palés et par la sale. Ainz n'i ot dit parole male De nul home, riche ne povre, Ne mes seulement du roi Noble ; Celui menacent il trestuit. « C'est merveille s'il ne s'en fuit, Font il, mout l'avon esmaié, Mout en avon mort et plaié. — Barons, dist Renart, or est bien. Onques nel menaciez de rien ; Mes le matin quant jor vendra, Savron qui miex se combatra As coux ferir et emploier Et as ensaingnes desploier. Se la vos voi bien contenir Et bien en l'estor maintenir Qu'a la fuie les puisson metre, S'ainsi vos volez entremetre, Vos m'avrïez servi a gré. Sel avoie desbareté, Mout avroie de mon deduit. » Issi furent jusque a la nuit Que ne finerent de parler Jusque au matin a l'ajorner, Si se lievent li chevalier, Que il n'ont fait nul delaier, Si se sont maintenant armé, Au roi vodront mostrer fierté. Autresi s'arment d'autre part L'emperere sire Renart Et si dui fil et si cousins Grimbert qui mout fu enterins De loiauté et de valor. Renart monte el misoudor, A la roïne congié prent Et dist : « Dame, mon escïent Encore anuit avrez le roi En prison, si conme je croi, — Sire, fait ele, Diex l'otroit Que ce que vos dites voir soit. » Si la baise au departir, Puis a fait les portes ovrir Et le pont a fait avaler. Hors s'en issent san demorer, Si se fierent en l'ost le roi. Mes chascun ot peor de soi, Si se sont armé richement. Li rois meïsmes et sa gent Avoient lor garnemens pris, Ne voloient estre sourpris. Si tost con choisi ceus de la, Ses chevaliers en apela. « Seignors, fet il, je vos requier Que vos m'aïdiez a vengier Du traïtor et du larron Qui a asise ma maison. Il me guerroie si a tort, Je sui honiz, se il m'estort. Ja mes nul jor joie n'aroie, Se je de lui vengiez n'estoie. — Sire, font il, or i parra. Honiz soit qui vos en faudra, Or n'aiez nisune peor ! Ja ne vos en faudron .I. jor. » Quant li rois l'ot, si en fu liez, Si les en a touz merciez. |
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