il est inutile de rester là plus longtemps. Il n'a pas beaucoup de chemin à parcourir pour rejoindre le roi. Aussitôt devant lui, il est impatient de lui raconter toute l'affaire, et répète mot pour mot ce que Renart lui a dit. Le roi l’écoute, fait un rictus, puis éclate dans une colère noire. Il convoque alors tous ses barons : « Seigneurs, fait-il, vous avez entendu la façon dont Renart me sert : il m’interdit l’accès à mes terres, et se fait appeler roi à ma place. Au nom de Dieu, j’ai grand-besoin d’un conseil qui me soit utile : — Sire, lui dit Brun, allons lui donner l’assaut demain sans faute à coups de pierres avec des mangonneaux, pour reprendre possession de votre château. Allons l’attaquer dès demain matin. Une fois attrapé, c’en sera terminé pour lui sans espoir d’en réchapper. On le pendra ensuite au sommet de la colline, voilà mon avis, c’est mon vœu le plus cher. » Le roi lui répond : « Excellente idée. » Là-dessus, ils se mettent en route et chevauchent rapidement jusqu’au château. Privés de logement, faute de pouvoir entrer, ils installent leurs pavillons dehors. Le roi se met en colère et jure que s'il pouvait le tenir entre ses mains, il le ferait mourir en le torturant comme on le fait pour les brigands, pendu, brûlé ou écartelé, sans espoir de s’en tirer. Il fait installer plusieurs mangonneaux, des trébuchets et des béliers. « Que se passe-t-il ? dit Renart, diable ! Croient-ils vraiment m’avoir comme ça ? Je vais faire une sortie pour me défendre aujourd'hui même, sans perdre plus de temps. » Là-dessus il fait armer ses hommes, y compris ses deux fils et son cousin, pour aller rendre visite au roi. On fait descendre le pont, ils sont au moins dix mille à sortir, et tous foncent sans hésiter en direction de l’ennemi avec frénésie. Quand Percehaie les voit venir, il quitte le camp du roi sur-le-champ, avec ceux qui veulent bien le suivre. Ils se mettent à courir en direction du roi, qui va avoir de gros ennuis sous peu, car il ne porte pas d’arme sur lui, pris au dépourvu par cette attaque. Il est en grand danger. Il saisit une épée d’une main, et un bouclier de l'autre. On entend des cris, des bruits de combat, et de nombreux coups d’épée. Le roi serait perdu sans le secours de Brun l’ours. Bruyant, Bernard et Baucent courent chercher leurs armes rapidement, pour prêter main-forte au roi que Renart a bel et bien trahi. Baucent sort des rangs en premier car c’est un dur à cuire. Quand il voit le roi malmené, il pique une pointe. Il donne de grands coups à Ysengrin qui ne peut lui résister. Il le frappe à nouveau et le renverse par terre. Il s’arrête au-dessus de lui, l’épée tirée, prêt à le mettre à mort sans hésiter, car il ne fera jamais la paix avec lui. Mais voici Grimbert le blaireau, qui s’interpose et parvient à remettre Ysengrin en selle bien qu’il souffre le martyre. Brun l’ours accourt à son tour, mais croise Percehaie sur son chemin, l’un des fils de Renart. Quand Percehaie le voit arriver, il tourne son bouclier contre lui. Ils se donnent alors de grands coups d’épée. Celle de l'ours se brise et vole en morceaux. Percehaie lui assène un coup sur le haut du bouclier tel un vrai chevalier, et lui plante sa lance en acier tranchante dans le flanc gauche. Voici alors Bernard l'archiprêtre qui vient à la rescousse de Brun l'ours. Il pique une pointe sur un grand destrier noir tacheté de blanc. Une centaine d’hommes de Renart accourent pour donner main forte à Percehaie. Ysengrin se débat comme un fou avec Rouvel, Malebranche, et tous les siens. À tort ou à raison, ils font prisonnier seigneur Brun en dépit de ses hommes sur le terrain. Ils partent ensuite s’en prendre à l'archiprêtre pour avoir essayé de l’aider. Quand ce dernier voit Malebranche, il tourne son cheval vers lui, tous deux se battent entre contrebas à grands coups de lance. Les coups pleuvent sur leurs boucliers, et les lances finissent par voler en éclats. Ils tirent alors leurs épées, et se mettent à se frapper sur leurs heaumes. Malheur à celui qui ne se protégera pas correctement. Bernard lui donne un coup d’épée à travers le heaume, et le fait tomber à la renverse de tout son long. Il l’aurait eu sans l’intervention rapide de Tibert, qui lui donne un bon coup de main. Au grand dam de Bernart, Malebranche parvient à se remettre en selle. La bataille est très vive, Renart arrive à toute vitesse, le bouclier levé, l'épée tirée, prêt à combattre avec vigueur. Il fait face à Bruyant le taureau, qu’il trouve plutôt bien armé. Il va pour le frapper en s’approchant au plus près avec son cheval, mais Bruyant frappe le premier. Renart brandit son bouclier contre lui et Bruyant se retrouve projeté au sol. Bruyant a frappé si fort, que sa lance se brise entre ses mains, et qu’un morceau du heaume de Renart tombe par terre. Renart descend de son cheval gascon, et lève l'épée pour l’achever. Bruyant voit le coup venir, il a peur de se faire tuer, et lui demande pitié à mains jointes : « Renart, fait-il, de grâce, je me rends, ne me tue pas ! » | 23212 23216 23220 23224 23228 23232 23236 23240 23244 23248 23252 23256 23260 23264 23268 23272 23276 23280 23284 23288 23292 23296 23300 23304 23308 23312 23316 23320 23324 23328 23332 23336 23340 23344 23348 23352 23356 | Va s'en, que plus n'i atendi ; Il n'avoit gueres loing alé Quant le roi avoit encontré. Quant il le voit, ne se volt tere, Ainz li a conté tot l'afere Si con Renart li avoit dit. Li rois l'a oï, si s'en rit, D'ire a la chiere nercie, S'en apela sa baronnie : « Barons, fet il, avez oï De Renart con il m'a servi ; Ma terre a fermé contre moi Et si se fait apeler roi. Por Dieu et qar me conseilliez, Et a cest besoing me vailliez. — Sire, ce dist Bruns, sanz faillir L'irons le matin assaillir A pierres et a mangonniax, S'iron conquerre voz chastiax ; Nos les asaudron le matin. Se nos le prenons, a sa fin Sera venuz sanz raençon. Desus .I. tertre le pendron ; Issi le lou, issi le voil. » Dist li rois : « Ci a bon conseil. » A tant se metent a la voie Et cheminerent toute voie Tant que il vindrent au chastel ; Paveillons tendent, n'i otel, Qar dedenz ne porent entrer. Li rois se prent a aïrer Et jure, s'il le puet tenir, De tel mort le fera morir Con l'en doit larron tormenter, Pendre ou ardoir ou traïner ; Il ne s'em puet partir par el. Drecier i fet maint mangonnel, Maint trebuchet et maint chaable. « Et qu'est ce, dist Renart, deable ! Me cuident il or einssi prandre ? Je istrai hors por moi desfendre Encore encui sanz demorer. » A tant a fait sa gent armer Et ses .II. filz et son cousin, Par tans seront au roi voisin ; .X. mile s'en issi ou plus, Le pont a fait avaler jus, Si s'en issirent a bandon, Vers l'ost poingnent de grant randon. Percehaie les vit venant, Du roi se depart maintenant, Et ceus qu'il pot mener o soi Par tens feront anui au roi, Si li corurent demanois. Encor n'estoit armez li rois, Ançois fu desarmez sorpris. Or fu li rois mout entrepris, .I. espié a saisi de plain Et .I. escu a l'autre main. La ot grant cri et grant mellee, Maint coup i ot feru d'espee. Mout i eüst le roi perdu, Qant Brun li ors l'a secoru. Bruiant et Bernart et Baucent As armes corent vistement, Si ont secoreü le roi Que Renart menoit a belloi. Baucent desrenge tot premiers, Qui mout fu estouz pautonniers. Quant le roi vit issi mener, Vers lui prent a esperonner. Grant coup vet Ysengrin ferir, Mes ses cox ne pot pas sofrir ; Tel cop Baucent le referi Que a la terre l'abati. Sus lui s'areste et tret l'espee, Ja fust de lui la pes juree Que mort l'eüst sanz raençon, Estes vos Grimbert le tesson, A qui que il deüst peser, A fait Ysengrin remonter, Mes mout i soufri painne grant. Brun li ors i vint apoingnant, Si encontra en mi sa voie .I. des filz Renart Percehaie. Quant Percehaie l'a veü, Envers lui torne son escu, Granz cox se donent des espiez ; Celui a l'ors si est froissiez, Si est en .II. moiriez volez. Percehaie l'a asenez Haut en l'escu con chevaliers ; La lance dont tranche l'aciers Li mist par le costé senestre. Estes vos Bernart l'arceprestre A la rescousse de Brun l'ors Venoit poingnant plus que le cors Desus .I. grant destrier baucent. Des Renart i corurent cent Pour aïdier a Percehaie. Ysengrin forment se desroie, Rovel, Malebranche ensemble, Toz li parentez, ce me semble. Ou fust ou bien ou mesprison, Dant Brun en mainnent en prison Maugré toz cens qui el champ sont. L'arceprestre dolent feront Por ce q'aïdier li vouloit. Qant Malebranche l'aparçoit, Vers lui atorne le cheval. Andui poingnent par mi .I. val, Des lances se fierent granz cox Desus les escuz de lor cox. Les lances volent en asteles, Puis traient les espees beles, Sus les hiaumes se vont ferir ; Cil qui bien ne se sot covrir Pot dire qu'il a mal ovré. Bernart li a .I. coup donné Par mi le hiaume de l'espee, Que jus l'abat teste levee A la terre tout estendu. Ja l'eüst pris et retenu, Quant Tybert li chaz i a point, Por lui a enforcié son point. A qui que en deüst peser, Fist Malebranche remonter. Li chaples est mout enforciez, Renart i vint touz eslesciez, L'escu au col, l'espee traite, Forment de combatre s'afaite. Bruiant li tors a encontré, Si le choisi mout bien armé ; De l'espee le vait ferir Tant con cheval li pot venir. Le fiert Bruiant premierement, Renart met l'escu em present, Si l'a contre terre abatu, Et Bruiant l'avoit si feru Que sa lance li bruise es poins. Et Renart lui si que li coins De son elme fiert el sablon. Puis descent du cheval gascon, Hauce l'espee por ferir. Quant Bruiant voit le cop venir, Si a peor que ne l'ocie, A jointes mains merci li crie : « Renart, fait il, por Dieu merci ! Je me rent a toi, ne m'oci ! » |
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