elle déclare à tous : « Chers seigneurs, puisqu’il le demande, je dois me résoudre à le faire, d’ailleurs je ne vois personne pour me remplacer. Le royaume est à moi et dépend de moi, je dois donc le conserver. J’aimerais cependant savoir si Renart est d’accord. — Madame, je suis prêt à faire sans discuter tout ce que vous me demanderez. — Ma foi, seigneur, voilà qui est bien parlé. » Les barons sont partagés entre la tristesse d’avoir perdu le lion et la joie d’avoir seigneur Renart comme nouveau roi. Sans tarder davantage, ils fêtent cette nouvelle union dans la bonne humeur à travers le palais. Les troubadours racontent des histoires, et chantent accompagnés de leurs violes. Les dames et les jeunes filles dansent la carole. Tous font la fête et dorment peu cette nuit-là. Dès le lendemain, Renart épouse la reine, et tous les barons du royaume lui jurent fidélité. Ils placent sur sa tête une couronne avec une frise en or, magnifiquement décorée de fleurs. Il a vraiment l’allure d’un empereur. Les barons font le serment qu’ils l’aideront chaque fois qu’il aura besoin d’eux. Renart ne fait pas de long discours, du moment que tout le monde s’amuse. Les barons dansent et jouent, car ils aiment tous faire ça. Puis, tout le monde se lave les mains avant de s’asseoir autour des tables que le connétable Ysengrin a fait installer pour manger. Grimbert, le cousin germain de Renart, apprécié de tous, leur sert des mets dignes d’une telle occasion. Il en amène une centaine ou plus, difficile de les compter tous. À la fin du repas, ils sortent de table tous ensemble à l’exception de Tibert et Grimbert, les deux meilleurs amis de Renart. Tous deux bénissent le lit nuptial, puis se retirent de la chambre. Renart et la reine se couchent juste après et prennent du bon temps jusqu’au petit matin. Renart le roi, se lève de fort bonne humeur et avec entrain. Sans perdre de temps, il fait ouvrir le trésor royal car il ne veut pas attendre plus longtemps. Il distribue deniers, or et argent à tous les siens, au cas où il ne reviendrait plus ici. Il en fait aussi porter à Maupertuis, car il a craint à juste titre que le roi finisse par arriver. Afin de pouvoir lui tenir tête, il fait garnir son château de suffisamment d’armes et de provisions pour tenir sept ans s’il faut. Le château est si bien placé qu’il est impossible de le prendre par la force. À moins d’être réduit à la famine, Renart ne craint pas grand-chose. Il fait approvisionner son château à volonté, et il a beaucoup d’exigences depuis qu’il s’est fait proclamer empereur. Il est content comme tout d’avoir bien préparé sa forteresse. La reine l'aime et le chérit comme son époux légitime, elle semble même l’aimer encore plus que Noble le lion. Ils profitent bien de leur bonheur, mais plus dur sera le réveil, car le roi avance rapidement. Il emmène Chantecler et le hérisson sur une civière qui leur servira aussi de cercueil, il regrette beaucoup ces deux barons là. Il envoie l’écureuil en éclaireur pour donner de ses nouvelles, mais il lui est impossible d’entrer dans le château car le pont est levé. Renart appuyé contre le mur, l’interpelle et lui dit : « Mon ami, d’où êtes-vous donc ? De quel pays venez-vous ? — Seigneur, fait-il, par saint Simon, je suis un sujet de Noble le lion, qui rentre avec son armée. Dieu merci, il l’a menée à la victoire, et a vaincu tous ses ennemis. Mais, il est très affecté par la mort de Chantecler que l’on ramène avec seigneur Épineux dans un cercueil. — N’en déplaise à Dieu, répond Renart, il est libre de venir ici quand il veut, mais il ne mettra pas les pieds chez moi ! Allez-vous en et dites-lui donc que dorénavant le roi ici, c’est moi, et qu’il n'a plus à me donner d’ordres. » L’écuyer fâché d’entendre ça, lui répond aussitôt : « Quoi ? Comment ? Voyons seigneur Renart, vous plaisantez ? Vous ne prétendez tout de même pas interdire au roi d’entrer chez vous ? » Renart dit : « Bien au contraire, sachez qu’il ne mettra jamais les pieds ici tant que j’y serai, c’est mon dernier mot. » | 23084 23088 23092 23096 23100 23104 23108 23112 23116 23120 23124 23128 23132 23136 23140 23144 23148 23152 23156 23160 23164 23168 23172 23176 23180 23184 23188 23192 23196 23200 23204 23208 | Oiant trestoz a respondu : « Biau seignors, puis que il le mande, Fere m'estuet ce qu'il conmande, Quant je voi qu'autre estre ne puet Et li reaumes de moi muet ; Mien est et bien le doi avoir. Mes or vodroie je savoir Se Renart le velt otroier. — Dame, jel voil sanz delaier Fere ce que vos conmandez. — Par foi, sire, bien dit avez. » Lié et dolent sont li baron : Por ce c'ont perdu le lyon Dolent sont, et lié d'autre part Quant il ont a seignor Renart. Tantost sanz nule demorence Ont fete d'eus .II. l'acordance. Grant joie font par le palés ; Chançonnetes, lais et sonés Dient jugleors en vieles, Quarolent dames et puceles ; Grant joie font totes et tuit, Mout dorment pou icele nuit. Et l'endemain sanz demoree A Renart la dame espousee ; Et li ont faite feeuté Trestuit li baron du regné. Une coronne d'or de Frise Li ont desus le chief assise Qui mout estoit bien painte a flor, Mout semble bien empereor, Et li baron juré li ont Que par tout li aïderont Se il avoit d'eus nul besoing. Renart n'a de trop parler soing, Que grant joie mainnent entre eus, Li baron font dances et gieus ; De jouer ne sont pas aver. Tantost ont donné a laver ; Cil qui en sert, li connoistables Ysengrin fist metre les tables, Si se sont assis au mengier. Grimbert qui mout fist a proisier, Qui fu cousin Renart germains, Lor aporta entre ses mains Tiex mes conme au jor apent ; Je cuit bien qu'il en orent .C., Les mes ne vos conteré pas. Quant mengié ont enelepas, Si se lievent conmunement Tybert et Grimbert seulement, Qui mout furent bon compaingnon. Cil dui font la beneïçon Desus le lit andui amant ; De la chambre issent a itant Et cil se couchent toute voie. Lor delit ont fet a grant joie Jusqu'au matin qu'il ajorna. Et li rois Renart se leva A grant joie et a grant baudor. Tot maintenant et sanz demor A fait le tresor esfondrer Que la ne volt plus demorer. Les deniers et l'or et l'argent A fait tout donner a sa gent, Par covent que n'i entra puis. Porter en fait a Malpertuis, Qar il se doute, si a droit, Du roi qui arier retornoit. Contre lui se voudra tenir, Por ce fait son chastel garnir D'armeüres et de vitaille, Ne cuit devant .VII. anz li faille. Li chastiax est si bien assis, Ja ne sera par force pris, Se il n'est par force afamez, Ja par force n'en ert grevez. Renart fait garnir son chastel, Assez i a de son avel, Et mout a de ses volentez, Que empereres est clamez. Grant joie en a et grant leece, Bien fet garnir sa forterece ; La roïne l'ainme et tient chier Conme son seignor droiturier ; Miex l'amoit, si con nos dison, Ne fesoit Noble le lion. Grant joie demainnent entre eus, Mes par tens i avra grant deus, Qar li rois chevauche a esploit Qui Chantecler en aportoit Et le heriçon en litiere Aussi fete conme une biere. Mout ot de ses barons grant duel ; Devant envoie l'escureul Por les noveles aconter, Mes el chastel ne pot entrer Qar li ponz si estoit levez. Renart fu as murs acoutez, Si l'apele et li dist : « Amis, Dont estes vos ? De quel païs ? — Sire, fet il, par saint Symon, Je sui a Noble le lion ; De l'ost repaire ou a esté, Mout a bien fait, la merci Dé ; Touz ses anemis a vaincuz. Mais il s'est forment irascuz Por Chantecler que il aporte Tot mort, dont mout se desconforte, En litiere et sire Espinart. — Si m'aïr Diex, se dit Renart, Bien puist venir quant il vendra ! Ja çaiens le pié ne metra. Alez, si li dites itant Que rois sui des ore en avant, Il n'i a mes que conmander. » En l'escuier n'ot qu'aïrer, Si li respondi erroment : « Q'est ce ? sire Renart, conment ? Est ce a certes ou a gas Que li rois n'i enterra pas ? » Dist Renart : « Tout de voir sachiez Que ja mes n'i metra les piez Nul jor tant conme il soit vis ; Or vos en ai dit mon avis. » |
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