mais avec beaucoup de peine tellement il est accablé par la faim. Puis, il suit Drouin sur le chemin, mais doucement et sans forcer, car il a très envie de manger. Drouin lui dit de se cacher dans un buisson sur le bord du chemin. Et il ajoute : « Maintenant écoutez-moi, attendez-moi ici sans bouger, vous allez bientôt avoir à manger, car je vois arriver une charrette bien chargée de pain et de viande. Je vais aller distraire le charretier, alors sois prêt à agir vite. Quand tu le verras occupé à m'attraper, va à la charrette, et, sans autre forme de procès, retires-en un jambon assez gros pour satisfaire tes besoins. — Ma foi, bien volontiers, répond Morant. » Là-dessus, Drouin s'élance, tandis que le charretier arrive à grande allure. Il vole dans sa direction avec détermination, et va au-devant du charretier comme s'ils se connaissaient. Le charretier descend, bondit sur lui, mais Drouin s'envole, alors le charretier lui court après avec un bâton sur l'épaule. Drouin n'est pas fou et n'a pas l'intention de l'attendre. Le charretier lui court après de plus bel en espérant l'attraper. Drouin vole devant lui aussi énergiquement que possible, tandis que Morant, couché dans le buisson, décide d'y aller. Il rassemble ses forces, va à la charrette tant bien que mal, mais au moment de monter dessus, il est bien embêté, sachez-le, car il n'est vraiment pas en forme. Il arrive quand même à monter dessus, puis jette un jambon par terre, et redescend aussitôt. Il s'en va en traînant son jambon, c'est un véritable supplice pour lui. Drouin, qui s'amuse à occuper le charretier, s'envole alors sans délai en le laissant sur place. Ce dernier retourne à sa charrette en courant, le dos trempé de sueur. Il s'en veut terriblement et se traite de tous les noms pour s'être fait avoir de la sorte en essayant d'attraper Drouin. Furieux et dépité, il saute sur son cheval, et s'en va avec son chargement, tout en recommandant Drouin au diable. Ce dernier se pose sur le buisson, l'air pensif, tout en regardant Morant en train de manger. « Morant, fait-il, que Dieu soit avec toi ! — Seigneur, dit-il, bienvenu à toi ! je me lèverais bien à ta rencontre, mais je ne suis pas encore remis. — Reste assis et économise ton souffle, répond Drouin, repose-toi donc, tu as tout ce qu'il te faut. — Seigneur, c'est bien vrai, que Dieu me sauve. Il faudrait que je boive maintenant que je suis repu. — Il est tout à fait possible que tu aies à boire, aujourd'hui, et même en grande quantité, n'en déplaise à quiconque, répond Drouin, car je crois voir arriver une charrette de vin dont tu vas bien profiter, et j'ai tout intérêt à te rendre service comme tu le souhaites. — Vous êtes d'une grande sagesse, fait-il. » À ces mots, Drouin se lève avec détermination, et se dirige vers le milieu du chemin avec une idée derrière la tête. Il se pose là, tandis qu'un charretier arrive tambour battant, on peut dire qu'il ne vient pas à reculons. Drouin saute aussitôt sur la tête du cheval entre les limons, et lui donne une série de coups de bec sur l'œil, presque à lui crever. Ça ne plaît pas du tout au charretier, qui se met très en colère. Il saisit vivement son bâton pour le frapper mais manque Drouin qui saute sur le côté pour éviter le coup. Mais, le cheval le prend en pleine tête, et le coup est si fort qu'il s'écroule mort au milieu du chemin, le cou brisé et deux pattes cassées. Le charretier lui-même trébuche, ce qui ne l'amuse pas du tout. L'essieu se brise, la charrette se renverse, et le tonneau éclate par terre. Le moineau s'envole alors vers la haie où se trouve Morant : « Morant, fait-il, sois rassuré maintenant, car tu vas avoir beaucoup à boire ! — Seigneur, je vous crois, répond Morant, Dieu vous en saura gré ! » Le charretier est dévasté à la vue de son cheval étendu mort, et de son vin répandu sur le sol. La mort dans l'âme, il tire son couteau, lentement, puis se met à dégager son cheval, la rage au cœur. Morant s'en moque bien, tandis que Drouin lui dit : « Ma foi, je vois le charretier partir, après la viande salée, voilà de la chair fraîche, tu vas avoir beaucoup à manger. Viens donc boire un coup, si ça te dit, tu en auras plus qu'il ne faut. » Tous deux se dirigent vers la flaque de vin, et Morant boit autant qu'il peut : « Tu te sens mieux, Morant, demande Drouin, tu as eu ce que tu veux ? — Oui, vraiment, seigneur, fait Morant, grand merci. » Ils restent là quelque temps, à manger et boire à volonté pour que Morant reprenne du poids et des forces, et se sente à nouveau d'attaque. | 21772 21776 21780 21784 21788 21792 21796 21800 21804 21808 21812 21816 21820 21824 21828 21832 21836 21840 21844 21848 21852 21856 21860 21864 21868 21872 21876 21880 21884 21888 21892 21896 21900 21904 21908 21912 | Mes tant estoit de fain grevez Qu'a paines se pouoit lever. Tout souavet et sanz dangier S'en va Morant aprés Droïn Trestout belement le chemin, Car covoitise ot de mangier. En .I. buisson le fist mucier Pres du chemin illec delez. Et dist Droïn : « Or m'entendez, Atendez moi ci voirement. Vos avrez a mengier briément, Car je voi la venir .I. char Ou il a assez pain et char. G'irai le charretier lober, Et tu penses de tost aler. Quant verras que il entendra A moi, vers la charrete va, Maintenant et sanz contençon En traïneras .I. bacon Si con tu sez qu'il est mestiers. — Par foi, fet Morant, volentiers. » A tant s'en va Droïn corant ; Es vos le charretier errant Qui a grant erre cheminoit. Et Droïn cele part venoit Mout durement sanz atargier, S'en vet devant le charretier Tout aussi con s'il fust ses druz. Le charretier est descenduz, Saillant de devant li s'en va, Et li charretier aprés va Corant .I. levier a son col. Mes Droïn ne fist pas que fol, Que pas atendre ne le volt. Le charretier durement cort Aprés, que prendre le voloit. Et Droïn devant li coroit Quant que il pouoit durement, Et Morant ne va demorant, Qui se gisoit enz el buisson. A la charrete de randon En est venuz si con il puet, Mes ce que haut monter l'estuet Li anuie, mout ce sachiez, Qar mout estoit mesaiesiez. Toutes voies est montez sus, Si a geté .I. bacon jus, Puis descendi delivrement. Son bacon en va traïnant, Et a mout grant dolor l'emporte. Et Droïnet qui se deporte Au charretier qu'il fet muser, Si s'en vole sanz demorer, Si a lessié le charretier. Et cil se met au repairier, A sa charrete vint corant, Tot ot le poil du dos suant. Durement se laidenge et blasme, Et mout forment se mesaesme Por ce qu'il a Droïn chacié, Si se tenoit a engingnié. Mout est corouciez et marriz Desus son cheval est sailliz Et s'en vet a tot sa viande, Droïn au deable conmande. Et cil qui aillors fu pensis Desus le buisson s'est assis, Si trova Morant qui menjut. « Morant, fait il, Diex t'en aiut ! — Sire, dist il, bien veniez vos, Je me levasse contre vos, Mes je n'en sui pas aesiez. — Seez vos et si vos taisiez, Fait Droïn, et si te repose, Que tu n'as mestier d'autre chose. — Sire, c'est voir, se Diex me saut. Mes a boivre, sire, il me faut, Qar a mengier ai a foison. — Tu en avras, se nos pouon, Fait Droïn, a cui qu'il anuit, A grant plenté encor enuit ; Qar je voi, si con je devin, Une charretee de vin Dont tu avras a grant plenté, Car je sui bien entalenté De toi servir a ton voloir. — Vos ferez, fait il, grant savoir. » A cest mot s'est Droïn levez Conme cil qui fet de bon grez Et qui asez savoit d'engin, Venuz est en mi le chemin. La s'areste ; ez vos a tant .I. charretier qui vient batant Et ne vint pas a reculons. Droïn au cheval des limons Saut sus sa teste maintenant, Et de son bec le vet bechant En l'ueil que a poi ne li crieve. Au charretier durement grieve Si li anuie mout forment. Son levier a pris erroment, Si le volt ferir, mes il faut ; Car Droïnet d'autre part saut Qui ne volt pas estre feru. Cil a son cheval conseü Par mi la teste si tres fort Qu'en mi la voie l'abat mort. Le col li brise et les .II. piez, Li charretier n'en fu pas liez, Car il meïsmes trebucha. Le char verse, l'esoil brisa, Si est desfonsiez li tonniax. D'autre part s'en va li moisniax A Morant qui fu en la haie : « Morant, fait il, or ne t'esmoie, Car tu avras a boivre assez. — Sire, Diex vos en sache grez ! Fait Morant, qar je sai de voir. » El charretier n'a que doloir ; Son cheval vit mort estendu, Et si vit son vin espandu. Grant duel en ot, son coutel tret Tot belement et tout a tret, Si a son cheval escorchié ; Mout avoit le cuer coroucié. Mes a Morant en fu mout poi Et Droïn li dist : « Par ma foi, J'en voi aler le charretier, Et tu as assez a mengier .II. mes de char fresche et salee. Or vien boivre, se il t'agree, Que tu en avras a plenté. » Andui sont cele part alé, Si but assez tant con lui plot : « Es tu bien aaise, Morot, Fait Droïn, as tu ton voloir ? — Sire, se vos plet, oïl voir, Fait Marant, la vostre merci. » Une piece furent ainsi, Et menja et but a grant tas Tant que il fu et gros et cras, S'ot le cors legier et ignel. |
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