tout le monde accourt vers Renart. Pas une bête ne reste à l'écart, toutes viennent jusqu'à la porte exprès pour se moquer de lui. Aucune ne se prive de le railler, certaines lui jettent même de la boue. Renart leur fait une grimace, et monte dans la chambre du roi. Le roi, dont le visage est bien pâle à cause de terribles maux de tête, se décompose complètement à la vue de Renart, entrant dans la pièce. Pourtant, Renart, qui s'y connaît en discours, le salue avec courtoisie : « Que Dieu, dit-il, qui jamais ne ment, qui a créé le ciel, la mer et la terre, protège le meilleur des rois de la terre ! je veux parler de monseigneur le lion, je prends à témoin tous ses barons, tous ceux considérés comme des hommes valeureux. Sire, je viens de Rome, de Salerne, et d'outre-mer, où j'ai cherché de quoi vous guérir. » Le roi répond sur-le-champ : « Renart, vous n'êtes qu'un vil trompeur, vous n'êtes pas le bienvenu ici. Fils de pute ! Nabot ! Mécréant ! Sachez dorénavant que vous êtes mon prisonnier ! Comment avez-vous l'audace de vous présenter devant moi ? Que j'y perde ma réputation, alors que je vous tiens entre mes mains, si je ne vous châtie pas comme ma cour le jugera bon. — Eh là ! sire, pourquoi cela ? fait Renart, mesurez vos propos. Est-ce donc là tout le mérite que je reçois pour service rendu, à chercher la bonne potion contre votre maladie ? Par Dieu le Père et le Saint-Esprit, j'en ai bavé à cause de cette potion, pourtant, vous voulez vous débarrasser de moi, et encore, sans savoir pourquoi. Au nom de Dieu, sire, écoutez-moi, refrénez un peu votre colère, et entendez ce que j'ai à dire. Vous semblez l'ignorer, sachez pourtant que j'ai pris beaucoup de peine pour vous. J'ai fait tout le pays en long et en large, j'ai été dans les Ardennes, en Lombardie et en Toscane, dès que j'ai appris votre maladie. Je ne suis pas resté plus d'une nuit dans le même château ou la même ville, sachez-le bien. Il n'y a pas de médecin de l'autre côté de la mer, ni à Salerne ou ailleurs, à qui je n'ai pas parlé de votre cas. Cela fait bien trois mois, je crois, que je n'ai pas passé une nuit ici. Mais, à Salerne, j'ai trouvé un expert à qui j'ai décrit votre maladie, et je vous apporte son remède. — Me dis-tu la vérité ? lui demande le lion. — Oui, sire, c'est la vérité, voyez donc la potion que j'ai là avec moi pour guérir votre maladie. Elle m'a donné bien du mal. Foi que je dois à saint Pierre de Rome, je vous rendrai sain comme pomme, si vous voulez bien suivre mon conseil. — Comment, fait Noble, peux-tu affirmer que tu me guériras ? Je ne crois pas que tu le puisses. — Si, sire, faites-moi confiance, vous n'avez plus à vous inquiéter, car vous allez être complètement rétabli. » | 20248 20252 20256 20260 20264 20268 20272 20276 20280 20284 20288 20292 20296 20300 20304 20308 20312 20316 20320 20324 | Tout li mondes a lui acort, Ainz n'i ot beste si reposte Qui ne venist jusque a la porte Por Renart seulement gaber. N'i a nul qui ne l'aut lober, Tiex i a qui lor giete boe, Et Renart si lor fet la moe, Si s'en monte sus en la sale. Li rois ot le vis taint et pale, Que grant dolor ot en son chief, Mes mout li torne a grant meschief Quant voit Renart laiens entrer, Et Renart qui bien sot parler Le salue cortoisement : « Icil Dieu, fet il, qui ne ment, Qui fist et ciel et mer et terre, Gart le meillor roi de la terre ! Ce est mesires li lions, A tesmoing de touz ses barons, Ceus qui sont tenuz a preudonme. Sire, je sui venuz de Rome Et de Salerne et d'outre mer Por vostre garison trover. » Li rois respont sanz atendue : « Renart, vos savez moult d'erlue. Or ça que mal soiez venuz, Filz au putain, nain descreüz, Par mon chief, or estes vos pris ! Ou avez tant hardement pris Que devant moi venir osez ? Ja ne soie mes alosez, Quant je vos tieng dedenz ma lice, Se je ne faz de vos justice Tel con ma cort esgardera. — Avoi, sire, ce que sera ? Fet Renart, gardez que vos dites. Seront ce donques les merites Que je avré de mon servise Que je vos ai la poison quise Qui bone est contre vostre mal ? Par Dieu le pere esperital, Ele m'a fait mout de mal traire, Et or me volez ja desfaire, Si ne savez encor por coi. Por Dieu, sire, entendez a moi, Refreniez .I. petit vostre ire, Si orrez ce que je voil dire. Ne savez pas, or le sachiez Que por vos sui mout donmagiez. Tant ai alé par la contree Qui assez est et grant et lee, Je ai esté par toute Ardane, En Lombardie et en Toscane, Puis que soi vostre enfermeté ; Ne jui en chastel n'en cité Plus d'une nuit, ce sachiez bien. N'a dela mer fuisicïen, Ne en Salerne, ne aillors, A cui n'aie parlé por vos. Bien a passé .III. mois, ce cuit, Que en cest païs ne jui nuit. En Salerne trouvai .I. sage A cui ge dis vostre malage, Si vos envoie garison. — Dis me tu voir ? dist li lion. — Ouïl, sire, tout vraiement, Vez ci la poison em present Qui vostre mal fera garir. Ele m'a fait maint mal soufrir. Foi que doi saint Pere de Ronme, Je vos rendré sain conme ponme, Se vos volez mon conseil croire. — Conment, fet Noble, est chose voire Que tu dis que me gariras ? Ne sai se fere le porras. — Ouïl, sire, foi que vos doi, Ja mar en serez en esfroi, Que je vos cuit tout respasser. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire