son esclavine, la pose par terre, et place son barillet dessus. Mais, voici Ronel qui arrive, tout content de voir Renart, car il espère toujours s'en prendre à lui, et se venger de lui pour l'avoir fait pendre par le cou. Il en porte encore la trace, Renart s'était bien joué de lui. « Sire roi, dit le mâtin, écoutez donc ce que j'ai à dire. Comment pouvez-vous croire ce coquin ? Il dit qu'il est allé à Montpellier ou à Salerne, et s'en vante, alors qu'il n'a jamais dépassé Valence, et le voilà devenu médecin maintenant. Il y a longtemps qu'on aurait dû le pendre. Dois-je vous rappeler le terrible outrage qu'il m'a fait en tant que messager du roi, en me faisant pendre dans la vigne, vous devez en tirer vengeance. Je n'ai eu que des malheurs avec lui, il a trahi votre confiance, je l'accuse de félonie, en voici la preuve, jugez mon cou. — Sire, lui dit Renart, écoutez-moi, ce mâtin me semble bien dérangé, soit il radote, soit il a trop bu, soit il a perdu la raison. Il y a bien trois mois, je vous le garantis, que je n'ai pas séjourné dans le pays. Si Ronel s'est trouvé chez moi, ce vieux débauché, ce brigand, c'est parce que ma femme, dame Hermeline, est une fort belle jeune femme. Il a dû mal ou bêtement se conduire avec elle, mais elle est trop rusée pour lui, et s'est vengée de ce coquin, ça ne fait aucun doute. » Le chat se lève alors, lui que Renart a fait prendre au collet un jour. « Va-t-en, sale chien ! dit-il. Maudit soit, excepté Noble le lion dont je suis le vassal, et lui mon roi, quiconque vous a permis de prononcer de telles injures, de telles idioties, et de traiter aussi bassement, un baron aussi éminent que Renart. Ma foi, tu es bien niais. Le jour où tu t'es fait attraper, comme tu viens de t'en vanter, je passais devant l'enclos où seigneur Renart habite. J'y trouvais dame Hermeline, toujours aussi racée. Je lui ai demandé des nouvelles de Renart, et elle m'a répondu, Dieu m'en soit témoin, qu'il s'était rendu à Salerne, et avait emmené cent livres avec lui, pour faire préparer la potion qui permettrait à seigneur Noble le lion de retrouver la santé. Et, il s'est démené corps et âme, sachant bien que monseigneur souffrait d'une grave maladie même s'il n'en disait rien. » Noble lui répond : « Par saint Nicolas, Tibert, vous dites vrai, cela fait déjà un mois que ça dure. — Sire, dit Renart, il dit la vérité, pourtant, comme vous le savez certainement, Tibert me hait à mort. S'il me croyait coupable, il ne le cacherait sûrement pas, et je ne doute pas qu'il me condamnerait. Mais, il est honnête et fiable, on peut donc se fier à sa parole. — Tout cela est très bien, dit Noble. Tibert, laissez-nous à notre affaire, quant à vous, Renart, occupez-vous de moi, et prenez vite les mesures qui s'imposent. On fera tout ce que vous dites, il n'y aura personne pour vous contredire, ou vous conseiller de faire ceci ou cela. Je me remets entre vos mains. J'ai tellement mal que je n'y vois goutte, je ne pense pas tenir jusqu'à la Pentecôte, si Dieu ne me prend pas en pitié. Je me contenterais de la moitié des souffrances qui m'accablent, si Dieu le voulait bien. J'ai tellement mal à la tête, Dieu m'en soit témoin, que j'ai l'impression qu'on me la coupe en quatre. Ma vue se trouble souvent au point de ne plus rien y voir, et j'ai la bouche si amère qu'aucune nourriture n'a de goût. J'ai mal partout, et tellement à la poitrine que j'ai toutes les peines à souffler. Je ne saurais vous décrire la moitié des douleurs qui me consument. » Renart lui répond : « Vous serez guéri d'ici trois jours. Apportez-moi un urinal pour que j'examine la gravité de la maladie. » L'urinal est installé, Noble se redresse sur son séant, pisse, et le remplit à moitié. Renart dit alors : « C'est parfait. » Puis, il prend l'urinal, va au soleil, le lève vers le haut, l'observe ostensiblement, le tourne et le retourne pour voir s'il se mélange bien. Il observe le cercle de ses humeurs, et comprend, sans aucun doute possible, que le roi a besoin d'aide. Il revient vers le roi en fanfaronnant : « Sire, fait-il, que Dieu me vienne en aide, je constate que vous avez une fièvre aiguë, mais j'ai la potion qui la supprimera, sire, faites-moi confiance. » Il prend son bras, lui tâte le pouls, et constate qu'il n'est pas très régulier. Il lui palpe les côtes, le poitrail et les flancs, et dit : « Sire, par saint Esblant, pour un peu j'arrivais trop tard. Il faut absolument traiter votre maladie si vous voulez guérir. » Noble répond : « Je ne désire rien d'autre, je suis prêt à céder la moitié de mon royaume, par saint Guillaume, pour retrouver la santé. — Si tel est votre désir, lui fait Renart, alors vous êtes entre de bonnes mains. Vous n'aurez plus à souffrir, car d'ici la fin de la semaine, je vous ferai retrouver la santé. | 20328 20332 20336 20340 20344 20348 20352 20356 20360 20364 20368 20372 20376 20380 20384 20388 20392 20396 20400 20404 20408 20412 20416 20420 20424 20428 20432 20436 20440 20444 20448 20452 20456 20460 20464 20468 | S'esclavine et l'a mise jus, Si a son baril mis desus. A tant estes vos Roonel, Quant vit Renart, mout li fu bel. Bien le cuida adonmagier Et de lui se cuida vengier Du col qui li fu estenduz La ou il fu par lui penduz. Encor li pert la trace el col, De quoi Renart le tint por fol. « Dant rois, ce a dit li gaingnons, Qar entendez a mes raisons. Creez vos donc cel pautonnier ? Il dit qu'il fu a Monperlier Et en Salerne et si s'en vante, Mes onques ne passa Valance, S'est ore mires devenuz. Pieça deüst estre penduz. Or vos membre du grant outrage Qu'il me fist en vostre mesage Quant en la vingne me fist pendre ; Bien en devez venjance prendre. Mout me fist mal sa compaingnie, Envers vos a sa foi mentie, Je l'en apel de traïson, Vez ci mon gage, je le don. — Sire, ce dist Renart, oez, Cist mastins est mout desreez, Il radote ou trop a beü Ou il a tout son sens perdu. Trois mois a bien, ce vos plevis, Que ne fui mes en cest païs. Se Roonel fu en meson, Cel viel lecheor, cil gloton, Ma fame est mout bele meschine, Et si a non dame Hermeline, Se il li quist honte et folie Et ele sot tant de voisdie Qu'el se venja del pautonier, Ce ne fet pas a merveillier. » Adonques s'est levez li chaz Que Renart fist ja prandre au laz. « Va ta voie, dist il, gainnon, Dahez, sanz Noble le lion Qui je sui hons et il mes sire, Cui vos donna congié del dire Tel goulee et tel estoutie, Qant apelas de vilanie Si haut baron con est Renart. Par ma foi, tu es trop musart. Le jor que tu fuz atrapez Si con t'en ez ici vantez, Passai je devant le plessié Ou dant Renart ert herbergié. Illec trovai dame Hermeline Qui mout par est de franche orine, Noveles li quis de Renart Et el me dist, se Diex me gart, Qu'il estoit en Salerne entrez A tout .C. livres monneez Pour fere afaitier la poison De quoi dant Noble le lion Peüst encor avoir santé. Mout par en a son cors pené, Bien savoit que mesire avoit Grant mal de quoi il se douloit, Ja soit ce qu'il nel deïst pas. » Dist Noble : « Par saint Nicolas, Tybert, vos dites verité, Voire devant .I. mois passé. — Sire, dist Renart, il dist voir. Or pouez bien de fi savoir Que Tybert si me het de mort. S'il en seüst vers moi le tort, Certes il ne le celast mie, Ainz me jujast, je n'en dout mie. Mes preudons est et veritables Et de sa parole est estables. — Ce est, ce dist Noble, bien fait. Tybert, lessiez ester cest plait. Et vos, Renart, pensez de moi, Si en prenez hastif conroi. Ce que vos ferez fet sera, Ja nus ne vos en desdira, Ne ne dira ne plus ne mains. Je me met du tout en voz mains. J'ai .I. tel mal que ne voi goute, Ja ne cuit veoir Pentecoste, Se Diex n'en a de moi pitié. Trop eüsse de la moitié Du mal dont me sent si grevé, Se il venist a Dieu a gré. En la teste ai .I. mal si grant Qu'il me semble, se Diex m'ament, Qu'el me soit par quartiers fendue Et si me trouble la veüe Sovent si que je ne voi goute, Si ai la bouche amere toute Que riens nee ne m'a savor. Par tot le cors ai grant dolor, Le piz ai tel que a grant paine Puis je a moi traire m'alaine. Je ne vos puis la moitié dire De la dolor qui me fait frire. » Ce dist Renart : « Guariz serez Ainz que tiers jor voiez passez. Aportez moi .I. orinal, Si verré la force du mal. » Li orinaux fu aportez. Noble est en seant levez, Si a pissié plus que demi, Et dist Renart : « Bien est ainssi. » Lors le prent et au soleil va, L'orinal sus en haut leva, Mout le regarde apertement, Torne et retorne mout sovent Por voir s'il se torneroit. Le cercle de ses humors voit, Bien set, ce dist, et si le cuide Que li rois a mestier d'aïde. Au roi en vient et fet le baut : « Sire, fait il, se Dex me saut, Bien voi vos avez fievre agüe, J'ai la poison qui bien la tue, Sire roi, foi que je doi vos. » Le braz prant et taste le pous, Voit qu'il n'ert pas trop destrempez, Sa main li met lonc le costez Et sor le piz et sor le flanc Et dist : « Sire, par saint Esblant, A poi ne sui venuz trop tart. En vostre mal covient esgart, Se talent avez de guarir. » Dist Noble : « Rien tant ne desir, Bien voudroie de mon roiaume Avoir donné, par saint Guillaume, La moitié, que je fusse sains. — Chaüz estes en bones mains, Fet soi Renart, se vos volez, Ja ne seroiz si adoulez Que, ançois que past la semainne, Ne vos face la teste sainne. |
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