il se lève et prend congé, car il n'y a plus de temps à perdre. Il monte sur son cheval, et s'éloigne au grand trot, sans perdre un instant. Il galope toute la matinée par le chemin le plus direct, il se hâte, il se démène, il chevauche à travers bois et garenne, et finit par arriver à Thérouanne. Renart, craignant qu'on lui fasse la guerre, a fait chercher des charpentiers et des spécialistes, pour lui fabriquer des pierrières à installer sur le haut du château, des mangonneaux de plusieurs tailles, et de solides portes coulissantes pour fermer les palissades. Il fait aussi dégager les fossés, et renforcer les points d'entrée, pour qu'on ne puisse pas lui nuire. Mais voici qu'arrive Ronel le messager, porteur de la lettre royale. Renart se trouve devant sa porte, sans prendre garde à lui. Il jette un coup d’œil derrière son dos, et voit Ronel s'approcher. Ça ne lui plaît pas du tout, sachez-le bien, mais il est trop tard pour trouver une ruse. « Seigneur Renart, je vous salue, fait Ronel, au nom du meilleur roi que l'on puisse trouver jusqu'en terre irlandaise. » Renart répond : « Que Dieu le protège ! — Je dois vous livrer un message, dit Ronel, mais sans intention de vous nuire. Écoutez bien, le roi vous demande avec insistance, il vous ordonne même, comme cette lettre en témoigne, de venir à lui sans-faute, pour expliquer devant sa cour, les raisons de votre mépris et de votre affront. Vous devez vous présenter mercredi, je vous le dis de sa part. Vous avez maltraité votre roi, jamais personne au monde n'a ainsi mis à mal l'honneur de son souverain. Il vous a fait chercher l'autre jour, mais vous n'avez pas daigné venir, il est donc normal que vous en soyez puni. Il vous demande, je vous le dis, comme en témoigne cette lettre, que vous vous décidiez de venir, car, si vous refusez, le roi viendra lui-même vous défier. » Renart répond : « Ça ne sera pas nécessaire, il faudrait être fou pour s'opposer à son seigneur. Jamais de la vie, je ne ferai quoi que ce soit qui lui déplaise, car cela me ferait trop de peine. Je vais aller à lui sans tarder, soyez sans crainte. Ah, tant de gens cherchent à me brouiller avec lui, mais par tous les saints de Rome, je n'ai jamais vu d'autre messager, je vous le garantis en toute bonne foi, malheureusement, qui ne pèche point est souvent puni. J'irai donc à la cour avec vous, pour entendre ce qu'il a à me dire, et je ferai tout ce qu'il m'ordonnera sans discuter. » Ronel dit : « Vous feriez mieux, on dira alors que vous êtes raisonnable. Maintenant que j'ai transmis mon message, il n'y a plus lieu de traîner, faites vite ferrer vos chevaux, car, comme je vous l'ai dit, il faut être à la cour mercredi. Je dois aussi vous avouer que je ne veux pas partir sans vous, nous irons donc tous les deux ensemble. » Renart répond : « C'est parfait, je vais laisser mes ouvriers travailler pendant ce temps-là. » | 19136 19140 19144 19148 19152 19156 19160 19164 19168 19172 19176 19180 19184 19188 19192 19196 19200 19204 19208 19212 19216 | S'est levez, si a pris congié, Que il n'i a plus delaié. Montez est, si s'en est tornez, Que il n'i est plus demorez. Le grant troton s'en est alez, La matinee a tant erré. Bien sot tenir la voie droite, Tant se haste et tant s'esploite, Tant chevauche bois et garenne Qu'il est venuz a Terouanne. Renart qui se doutoit de guerre Avoit fet porchacier et querre Charpentiers de plusors manieres Qui li fesoient ses perrieres Qui el chastel seront asises, Et mangoniax de maintes guises, Et bones portes coleïsces Li fesoient devant ses lices. Ses fossez fesoit redrecier Et ses passages enforcier Que l'en ne le puist donmagier. A tant es vos le mesagier Roonel qui les letres porte, Renart trove devant sa porte Qui de lui ne se donoit garde. Par derriere son dos regarde, S'a veü venir Roonel. Sachiez que ne li fu pas bel, Que vers lui n'a mestier treslue. « Renart, mesire vos salue, Fait Roonel, li mieudres rois Qui soit en la terre as Irois, Ce est li mieudre que l'en truisse. » Et dist Renart : « Diex le garisse ! — Or vos conteré mon mesage, Dist Roonel, et sanz outrage. Or entendez, le roi vos mande Et tot a estrous vos conmande, Vez la letre qui le tesmoigne, Que a lui veniez sanz essoigne Dedenz sa cort fere droiture Del despit et de la laidure. Soiez trestout prest mecredi, De la seue part le vos di. Mespris avez vers vo seignor, Onques mes hons tel desenor Ne fist a son seignor en terre. L'autre jor vos envoia querre Et vos n'i daignastes venir, Si vos en doit mal avenir. Par moi vos mande, jel vos di, Et par ces letres qui sont ci, Se vos i daignerez venir. Se de ce li voulez faillir, Li rois meïsmes vos desfie. » Et dist Renart : « Ce n'i a mie. Fox est qui son seignor estrive. Ja mes a nul jor que je vive Ne feré riens qui li desplaise, Ainz souferroie grant mesaise. A lui irai sanz demorance, Ja mar en serez en doutance. Or m'ont a lui mellé si home, Mes par les sainz c'on quiert a Ronme, Onques son mesage ne vi, La moie foi vos en plevi, Mes tiex ne peche qui encort. Or irai avec vos a cort Oïr qu'il me demandera. Tout quant que il conmandera Ferai sanz contredit de rien. » Dist Roonel : « Vos ferez bien, Si en serez tenuz por sage. Or ai bien forni mon mesage, N'i a dont mes fors de l'errer. Fetes tost voz chevaus ferrer, Qar il covendra, ce vos di, Que a cort soion mecredi. Et si vos en dirai le voir, Je ne voil pas sanz vos movoir, Ainz en iron andui ensemble. » Renart respont : « Ce bien me semble Et je leré ci mes ovriers Qui overront endementiers. » |
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