où il retrouve les siens tiraillés par la faim, épuisés et malheureux. Mais, sa femme est pleine de joie quand elle voit Renart arriver avec les poulets attachés autour du cou, elle est comblée, et se voit déjà riche : « Liétart est-il quitte maintenant ? — Non, fait-il, mais il m'a bien doté. J'exploite le filon, c'est pour ça que je reviens chargé. Si je n'avais pas eu mon dû de la part de Liétart, comme je l'entendais, je l'aurais fait pendre au vent, en racontant au comte et à ses gens, qu'il a volé son gibier, comme je l'en ai persuadé. Il a tressailli, puis s'est mis à trembler, il avait grand-peur, et ne faisait pas semblant. C'est comme ça que je m'y suis pris, grâce à l'idée de le faire pendre dans le bois, à la plus haute branche d'un chêne. Mais, il a fait preuve de sagesse envers moi, il a fait acte de soumission à genoux, ce qui n'est pas pour me déplaire. — Renart, je vous vois tout à votre aise, dit Hermeline, car je crois que vous n'avez pas le ventre vide, contrairement à moi, après avoir mangé Blanchart qui était gros et dodu. Certes, vous avez trompé Liétart, mais qu'est-ce que ça me rapporte à moi ? Ça ne me sert pas à grand-chose que vous ayez eu votre dû, si vous me laissez, moi et nos enfants mourir de faim dans la misère. Mais, il serait vraiment indigne de ma part, de ne rien faire pour eux, alors que ces poulets, qui sont à portée de main, méritent que l'on s'intéresse à eux. » Là-dessus, elle saisit le plus tendre, et l'avale d'une seule bouchée. Elle tord le cou aux neuf autres, et les partage entre ses enfants, dont chacun reçoit une part équitable. Renart, impatient d'en tirer encore plus de profit, quitte Maupertuis, son repaire fortifié, dès le lendemain matin, pour rendre visite à son cher voisin Liétart, qui le reçoit dans la plus grande joie. Il le régale avec une oie bien grasse qu'il lui avait réservée, après l'avoir bien engraissée. Brunmatin, toute tremblante, fait ami-ami avec lui, elle le flatte et le complimente, mais Renart lui fait la grimace en cachette, sans qu'elle ne s'aperçoive de rien. Elle le sert sans arrière-pensée, elle n'ose rien lui refuser, car elle redoute trop qu'il les dénonce. Elle le nourrit à volonté, et Renart se met à prendre du gras, tellement il est friand de viande. Quant à Liétart, il a tout intérêt à prendre grand soin de le servir, il lui apporte les plats, dont Renart reprend aussi souvent et autant qu'il veut, puisque Liétart est son ami, et qu'il le sert toute la journée. Il fait de fréquents séjours chez lui, et à chaque fois qu'il quitte les lieux, il ne laisse rien au paysan ni oie, ni chapon, ni coq, blanc ou noir, ni poulet, ni oison, petit ou gros, ni même une poule, mais emmène tout chez lui. Je vous en raconterais bien d'autres sur Renart, mais je dois arrêter là, car d'autres tâches m'attendent. Je dois m'occuper d'autres sujets qui requièrent plus d'esprit, s'il plaît à Dieu de m'inspirer. Toutefois, jamais un clerc qui s'y entende, ne me blâmerait, ou me tiendrait rigueur des quelques maladresses que j'ai pu commettre dans ce tout premier ouvrage, car il est rare de ne faire aucune erreur du début à la fin, à moins d'être expérimenté en la matière. | 18708 18712 18716 18720 18724 18728 18732 18736 18740 18744 18748 18752 18756 18760 18764 18768 18772 18776 18780 18784 18788 18792 18796 | Ou il a trové sa mesniee Qui de fain ert mesaaisiee ; De fain estoit et noire et vainne. De joie fu sa fame plainne Quant ele vit Renart venir, A son col les poucins tenir, Por comble se tint et por riche : « Encore n'est pas Lietart quite. — Non, fet il, bien m'a heritez. Bien ai ceste chose esploitez, Quant si m'en sui venuz trossez. Se n'eüsse eü mon assez De Lietart tot a ma devise, Jel feïsse metre a la bise, Au conte a sa gent le deïsse, Por voir acroire li feïsse Que sa venoison li embla. Il tressailli et si trembla, Grant peor ot tot sanz faintise. J'avoie si la chose emprise Qu'ens el bois le feïsse pendre, A .I. chesne mout haut estendre. Mes vers moi a fait conme sage, A genoillons me fist honmage, N'est nule riens qui me desplaise. — Renart, mout estes ore a aise, Dist Hermeline, con je cuit, Que tu n'as pas le ventre vuit, Plus estes a aise que gié, Que vos avez Blanchart mengié Qui mout estoit gros et ronez. Se Lietart est bien ramponez Par vos, que me puet ce valoir ? Ne me puet pas granment chaloir, Se tu as eü touz tes buens. Moi et mi enfant et li tuens Laiz de fain morir a mesaise, Et je seroie mout mauvaise, Se tes enfans morir lessoie Tant con pres de ces poucins soie. A tiex poucins fet bon entendre. » A tant cort et prist le plus tendre, Si le menja a .I. seul mors. As autres .IX. a les cox tors, A sa mesnie les depart, Et a chascun donne sa part. Renart qui bee a son preu fere De Malpertuis son fort repere En vint l'endemain par matin Lietart veoir son bon voisin Qui le reçut a mout grant joie. Digner le fait d'une crasse oie Que il li avoit otroiee Et bien li avoit encressiee. Brunmatin qui tot en tremblant Li fesoit d'amor biau semblant, Si l'aplanie et si le loe. Et Renart li fesoit la moe En repost que ne le voit mie. Et ele le sert sanz boisdie Ne li ose riens refuser, Car mout se doutoit d'encuser. A sa volenté le pessoit. Et Renart forment s'engressoit, Que de la char ert envious. Et Lietart si fu covoitous, De lui servir a il grant cure. Bien aprocha sa norreture Renart qui sovent en prenoit Toutes les foiz que il vouloit, Que Lietart si fu ses amis, Et si le servoit trestout dis. Sovent i demore et sejorne, Et quant il de l'ostel s'en torne, Ne puet au vilain remanoir Oe, chapon, coc blanc ne noir, Ne poucinet, ne cras oison ; Tout porte Renart en maison, Ne n'i remest geline crasse. De Renart encor vos contasse En bon endroit, mes ne me laist, Que autre besoingne me croist. A autre chose voil entendre Ou l'en porra grenor sens prandre, Se Diex plest et se il m'amende. Ja de clerc qui reson entende Ne seré blasmé ne repris, Se j'ai en aucun leu mespris En toute ma premiere ovraingne, Que poi avient c'on ne mespraigne Ou au chief ou a la parclose, S'il n'est aüsez de la chose. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire