et dès le lendemain, il guette son arrivée dans la forêt, et s'assure qu'il est bien venu sans ses chiens ni aucune autre compagnie. Il s'écrie avec assurance : « Sale paysan, comment se fait-il que tu as mis dans le sel du gibier pris sur les terres réservées du comte ? Je vais te faire mourir dans la honte, et personne ne pourra te défendre. Je vais même te faire pendre au plus haut chêne de ce bois. Je vais tout de suite le raconter au comte et à ses gardes forestiers. Même si tu avais cinq setiers d'esterlins, ou de besants, et que tu lui en fasses cadeau, il n'en voudrait pas plus que tes excuses pour ne pas te pendre sur-le-champ, dès que je lui apprendrai. Rien ne pourra te racheter. Il n'aura aucune pitié de toi, dès qu'il saura la vérité, car le comte met volontiers à mort quiconque chasse sans permission dans ses bois, pour y voler son gibier. » Liétart tremble de peur, et lui répond : « Mon ami, écoutez-moi donc un peu, si vous le permettez. Il faut savoir pardonner à qui le demande du fond du cœur. J'ai très mal agi envers vous, j'implore votre pardon, je vous supplie, au nom de Dieu, de prendre pitié de moi ! C'est sur les conseils de ma femme, que j'ai agi à la légère à votre encontre. Ça me peine beaucoup d'avoir été aussi hasardeux, je promets de faire mieux à l'avenir. Vous pouvez me considérer dès maintenant comme votre vassal ou même votre serf. Au nom de Saint-Pierre de Rome, plus jamais je n'agirai mal envers vous, je vous considère dorénavant comme mon maître. J'en souffre autant que vous, sinon plus encore, sachez-le bien, de m'être si mal conduit envers vous, je me mets donc entièrement à votre service. — Dans ces conditions, fait Renart, j'accepte volontiers ta promesse de ne plus m'outrager ou me causer du tort, d'arrêter de me pourchasser, et de faire tuer tes trois mâtins. Tu me feras réparation, à genoux, et tu me donneras les dix poulets et Blanchart que tu m'avais promis, après m'avoir demandé conseil. — D'accord, mon seigneur, répond Liétart. Les mâtins seront tous les trois tués devant vous sur-le-champ. Je comprends à juste titre, que vous les ayez pris en haine, suite aux misères qu'ils vous ont faites. Je vous ferai justice de bonne grâce, je veux dorénavant être votre véritable ami, et dévoué. Que Dieu me maudisse si je mens ! Je vous donnerai toutes mes provisions. Je vais prendre très grand soin de vous, tout sera pour vous, oies, chapons, coqs et poules. Vous aurez chaque jour, en quantité et à volonté, toute la viande que vous désirerez. Les dix poulets seront saisis ainsi que Blanchart, sans plus attendre. Mais, que Dieu vous aide, gardez-vous de me faire aucun mal. Je suis disposé à satisfaire vos moindres désirs. Vous pouvez venir vous reposer chez moi quand bon vous semble. Je ne vous demanderai jamais de partir, vous pourrez rester autant que vous voudrez. Vous avez, en tout cas, trouvé là, un bon refuge. Si je me suis conduit inconsidérément avec vous, c'est suite à un mauvais conseil, ne soyez ni sur le qui-vive, ni effrayé, ni dans le doute. Que Dieu me garde de mal agir, je ne vous ferai plus jamais de choses déplaisantes. Vous n'auriez rien à gagner, si j'étais banni avec femme et enfants, ou pendu à une corde au gré du vent. Vous feriez mieux de me garder en vie, vous pourrez alors profiter de tout ce que je possède, tout est à votre disposition. » Renart répond : « Je vais bientôt savoir si tu me dis un mensonge ou la vérité. Donne-moi ce qui me fait plaisir sinon je ne me tairai pas. Si tu ne fais pas ce que je veux, c'est que tu tiens à ce que le comte le sache, et je te ferai souffrir sous peu, par contre, si tu es loyal, je ne te chercherai pas de noise. Mais, je n'entrerai pas dans ta maison tant que je ne verrai pas les chiens morts. — Mon cher seigneur, restez donc là, fait Liétart, je vais les tuer. Et ne bougez pas d'ici, je vous en conjure, tant qu'ils ne seront pas tués tous les trois. — Bon, d'accord, dit Renart, voilà qui me semble raisonnable. » | 18516 18520 18524 18528 18532 18536 18540 18544 18548 18552 18556 18560 18564 18568 18572 18576 18580 18584 18588 18592 18596 18600 18604 18608 18612 18616 18620 18624 18628 18632 | L'endemain Lietart espia Qui dedens la forest venoit. Bien sot que avec lui n'avoit Nul de ses chiens ne compaingnie. Hardiement en haut s'escrie : « Pugnais vilain, par quel raison As tu en sel la venoison Qui fu prise el defois le conte ? Je te feré morir a honte, Nus hon ne t'en porroit desfendre. Certes je te feré ja pendre Au plus haut chesne de cest bois. Tout orendroit conter le vois Au conte ou a ses forestiers. Se tu avoies .V. setiers D'esterlins, ou fussent besans, Et tu l'en feïsses presens, N'en prandroit il nis une amende Que il maintenant ne te pende, Puis que je li feré savoir ; Ne porras raençon avoir. De toi nule pitié n'avra Si tost con le voir en savra. Li quens mout volentiers destruit Celui qui chace sanz conduit En bois et sa venoison emble. » Lietart qui tout de peor tremble Li dist : « Amis, or entendez .I. poi, se vos le conmandez. Par raison doit merci trover Qui de bon cuer la velt rover. J'ai mespris vers vos durement, Merci vos em pri et demant. Por Deu, de moi merci vos praigne ! Par le conseil de ma compaingne, Ai vers vos mespris conme fox. Mout me poise que fui si ox, Mes il estoit a avenir. Des ores me pouez tenir Conme vostre serf et vostre honme. Foi que doi saint Pere de Rome, Ja mes vers vos ne mesprandrai, Et des ore en avant tendrai De vos conme de mon seignor. Autel duel ai ge ou greingnor Con vos avez, ce sachiez bien. Se vers vos ai mespris de rien, Tout sui prest de vostre servise. — Volentiers par itel devise Prendrai, fet Renart, ton honmage Que tu ne honte ne donmage A ton pooir ne me porchaces, Et les .III. mastins tuer faces. A genoillons droit me feras, Et les .X. poucins me donras Et Blanchart que me prameïs Quant le conseil me requersis. — Sire, fait Lietart, je l'otroi. Li mastin seront trestuit .III. Tuez devant vos orendroit. Bien sai que vos en avez droit Que lor vie avez enhaïe, Car il vos firent vilanie. Droit vos en ferai volentiers. Vostre ami verai et entiers Voil estre des ore an avant. Diex me hee, se ge en ment ! Toute vos don ma norreture. De vos prandré mes si grant cure Que tot ert en vostre saisine ; Oe, chapon, coc et geline. Chascun jor avrez a plenté, Et tout a vostre volenté, Et tiex char con deviseroiz. Des .X. poucins saisiz seroiz Et de Blanchart mes sanz demore. Mes gardez, se Diex vos seceure, Que par vos nul mal ne nos viengne. Je sui prest que je me contiengne Vers vos tout a vostre plaisir. Vos vendroiz trestout a loisir En nostre meson sejorner. Ja ne vos en querrai torner Tant con demorer i vodroiz. .I. bon recet en toz endroiz Avez conquis et recovré. Por ce se j'ai vers vos ovré Folement et par mal conseil, N'en soiez vos ja en esveil Ne en esmai ne en doutance. Se Diex me gart de mesestance, Ja mes nul jor ne vodrai fere Chose qui vos doie desplere. Ne porrïez noient conquerre, Se g'iere essilliez de la terre Ne ma fame ne mon enfant, Ou se ge ere mis au vent. Mout devez miex ma vie amer, Que por vostre porrez clamer Tot ce que je ai conquesté. Tout est en vostre volenté. » Dist Renart : « Par tens voil savoir Se tu me diz mençonge o voir. Or fai donques le mien plaisir, Que ne me vodrai plus taisir. Se tu ne fez le mien voloir, Je te feré par tens doloir, Se tu fez que li quens le sache. Mes ja mes anui ne donmage, Se tu es pris, ne te querrai ; Ne en ta meson n'enterrai Tant que les chiens voie tuez. — Biau sire, or ne vos remuez, Fet Lietart, jes irai tuer. Je ne vos quier a remuer Tant que soient tué tuit troi. — Alez, dist Renart, je l'otroi, Vos dites et bien et raison. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire