samedi 14 janvier 2017

Le paysan Liétart - Hermeline s'échappe




Liétart est fou de joie
A


grant merveille s'esjoï
quand il entend son âne,
et voit Hermeline
prostrée et silencieuse,
qu'il traîne par terre,
Il court aussitôt chercher son épée,
rouillée et abîmée,
qu'il retire avec peine de son fourreau,
persuadé que c'était Renart.
L'épée levée, il va droit dessus
avec la ferme intention de se venger de lui.
Il veut lui trancher
la tête d'un coup, mais rate.
Hermeline, qui n'est plus fermement attachée,
bondit si haut
que le coup passe à côté.
Elle a eu grand-peur,
mais c'est Timer qui reçoit le coup,
et sa cuisse est tranchée nette.
Liétart l'aura donc lui-même vengée
de son ennemi mortel, et sans attendre.
Elle repart aussitôt chez elle
en traînant la cuisse de l'âne, toute joyeuse.
Elle retrouve Renart, interloqué
de la voir arriver,
il ne peut se retenir de rire
à la vue de la cuisse qu'elle traîne derrière elle.
« Alors, Renart, n'ai-je donc pas du mérite ?
Timer peut toujours se vanter,
car je lui ai fait cher payer.
Avec sa cuisse que nous avons là,
Timer n'est pas prêt à tirer du fumier.
Liétart avait l'intention de me tuer,
mais j'ai eu vite fait de me remuer,
de prendre mon élan et de sauter si haut
que je l'ai fait rater.
Il n'aura pas eu l'occasion de me saisir.
— En voilà une bonne nouvelle,
fait Renart, personne n'aurait imaginé ça.
Ni oiseaux, ni bêtes ne doivent
autant de reconnaissance que toi
au Seigneur Dieu, le Très-Haut,
pour t'avoir préservée ainsi de la mort.
Ce sale traître de Liétart
s'imagine être quitte envers moi après ça,
mais il ne perd rien pour attendre.
J'ai l'intention de l'attendre le temps qu'il faut
pour le rendre
plus en colère qu'il ne l'a jamais été.
— Gros trouillard, qu'attends-tu donc pour le faire ?
J'ai bien peur que tu manques de courage.
— Crois-tu vraiment que c'est le moment d'aller
l'attaquer dans sa maison ?
J'aurais vite fait d'être rattrapé dans ma course
par ses trois mâtins, s'il me les lançait après,
car ce ne sont pas de bons camarades de jeu !
Je vais devoir attendre encore un peu,
qu'il se retrouve seul dans le bois,
sans ses chiens pour l'aider.
Je m'attaquerai à lui
en lui proférant de telles menaces
qu'il ne voudra plus jamais nous
causer des ennuis.
— Renart, fait-elle, je le souhaite,
mais ne te fie jamais à ce paysan
quoi qu'il te promette ou te jure,
quoi qu'il te garantisse
au nom de Dieu ou par serment,
car ce paysan est de la pire race. »
Là-dessus, ils arrête leur conversation.


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Lietart, quant il son asne oï,
Si a Hermeline veüe
Qui mout estoit et mate et mue,
Et venoit traïnant par terre.
Maintenant cort s'espee querre
Q'ert esroilliee et frotee.
A paine l'a du fuerre ostee,
Que il cuide que Renart soit.
S'espee trete va tot droit,
Bien se cuide de lui vengier.
A .I. coup li cuida tranchier
La teste, mes il a failli.
Hermeline si haut sailli
Qui n'ert mie trop anrestee,
Que le coup ne l'a adesee
Dont ele a grant peor eüe.
Mes la colee a receüe
Tymer qui la cuisse a tranchie.
Lietart meïsmes l'a venchie
Tost de son anemi mortel.
Traïnant s'en va a l'ostel
La cuisse et grant joie fesant,
Renart trova mu et taisant.
Quant il l'a veüe venir,
De rire ne se pot tenir,
Quant la cuisse vit traïnant.
« Renart, dont ne sui je vaillant ?
Or se puet bien Tymer vanter
Que chier li ai fait comparer.
La cuisse en avon de ça,
Ja mes Tymer fiens ne menra.
Bien me cuida Lietart tuer,
Mes je me soi tost remuer
Et trespeter et tressaillir
Tant que a moi le fis faillir.
Ne m'a baillie ne tenue.
— Bele aventure m'est venue,
Fet Renart, que nus ne cuidoit.
Ne oisel ne beste ne doit,
Con tu fez, ne tel guerredon
A Damedieu, le tres haus hon,
Qui si t'a de mort garantie.
Lietart, le pugnés foimentie,
De moi cuide estre quite a tant,
Mes bien atent qui soratent.
Je atendrai mout bien lonc tens
Que j'en feré, ce que je pens,
Corrouciez plus qu'il ne fu onques.
— Mauvez coart, que atens donques ?
Je dout mout que cuer ne te faille.
— Et cuides tu donc que je l'aille
Dedenz sa meson asaillir ?
Tost porroie au cor faillir,
S'il me huioit ses .III. gainnons ;
J'aroie en eus max compaingnons.
Mes encor .I. poi souferrai
Que el bois seul le troverrai
Ou n'avra ja de chiens aïe.
Lors li feré une envaïe
Par parole et par menace,
Que ja mes n'ert tiex que il face
Chose qui anuier nos doie.
— Renart, fet ele, jel voudroie.
Mes ja el vilain ne te fie
Por ce s'il te jure et afie,
Ne por nul asseürement
Par sa foi ne par serement.
Trop est vilain de male escole. »
A tant lessierent la parole.
L'ours, Renart et le paysan Liétart C'est de l'ours et du Renard et du villain Lietard (28)
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