car ses blessures le font souffrir. Comme il veut récupérer la force qu'il a perdue, il ne fait rien du tout, et ne sort pas de Maupertuis, sa demeure fortifiée. Il se réconforte pleinement à l'idée de nuire à Liétart dès qu'il se sentira capable de le faire. Huit jours plus tard, il s'en va au petit matin pour s'en prendre au paysan qui s'apprête à atteler ses bœufs. Pendant qu'il les rassemble, Renart lui dérobe les courroies qu'il avait posées près du buisson. Il les prend discrètement, car, il est maître dans l'art de voler. À présent, le paysan peut bien rassembler ses bœufs pour les reconduire à l'étable ! Il pousse des cris et chante à haute voix, sans prendre garde à ce qui se passe. Puis, sans s'attarder davantage, il se dirige droit vers le buisson, où il ne voit plus ses courroies. Il les cherche tout autour, ça l'embête bien, car il sait qu'elles étaient là. Il cherche et recherche, en long et en large, et il pourrait chercher encore longtemps, mais, comme on dit : qui ne trouve rien, se retrouve sans rien. Le paysan s'enflamme de colère, et jure vivement, encore et encore, parce qu'il a perdu sa journée. Il est à la fois affligé et perplexe, quand il repense à Renart qui, de rage, l'avait défié : « Ah ! malheureux, dit-il, c'est Renart, il était aux aguets, ce voleur, ce traître. Il a commencé à me punir, en me rendant la monnaie de ma pièce, tout ça parce que je ne veux pas lui donner Blanchart qui devait lui revenir. Voilà, ma récompense maintenant ! Et je ne suis pas de taille à lutter contre lui, il aurait vite fait de me briser la tête avant même que je m'en rende compte. Je me repentirais bien volontiers, mais ça ne servirait à rien. Je n'aurais jamais dû le défier, Renart ne va chercher qu'à me nuire, il veut me ruiner en me volant ce dont je ne peux me passer. Il sait bien, que le marché est loin, et que je vais devoir marcher longtemps avant d'y arriver. Le trajet va être très pénible pour moi, le chemin me paraîtra encore plus long à cause de mes hanches qui me font mal. Je peux oublier mes parcelles pour le moment, et envoyer mes bœufs à travers champs. Renart a réussi à contrarier mes plans, à me détourner de mon travail, et à me forcer à m'arrêter malgré moi, alors que je n'ai besoin ni de vacances, ni de repos, la nuit comme le jour. Il va s'appliquer à m'humilier chaque jour davantage. » Pendant que Liétart se lamente, Timer, un âne espagnol, qui ne craint ni gelée ni neige, entend son maître se plaindre. Il n'a jamais entendu de si grande douleur, et voudrait bien savoir ce qui lui arrive : « Seigneur, fait-il, il vous faut demander conseil, et bien vous y tenir. Vous ne pourrez pas ainsi, arranger vos affaires, ou espérer augmenter vos avoirs, même de la valeur d'un pauvre licol. Renart, s'il le peut, ne vous laissera rien du tout, car il a un cœur de félon, et son intention est de vous ruiner. Mais, je pourrais vous donner un bon conseil pour tromper Renart, si vous me promettez avec sincérité de me donner une bonne mesure d'orge. — Timer, dit Liétart, par saint Georges, vous aurez une bonne quantité de farine, et une mesure entière de mon orge, si vous réussissez à duper ce sauvage, ce félon de rouquin. Je vous donnerai autant de bons chardons bien tendres que vous voudrez, si vous arrivez à tromper ce larron avéré, qui vole tout ce qu'il trouve. Il trompe toutes les bêtes, dont les oiseaux à qui il brise souvent la tête. Je ne connais personne, aussi savant soit-il, ni oiseau, ni bête sauvage, dont l'intelligence soit si grande, qu'il puisse le rouler ou lui jouer un tour. Car, si j'en avais la connaissance, je serais prêt à le chercher de l'autre côté de la Manche, pour pouvoir tuer ce traître. Personne ne pourrait le tromper, car Renart en sait trop en renardie, aucune bête n'a autant d'audace. Renart s'y entend tellement à mal agir, qu'on peut lui faire confiance, car il se réjouit du mal qu'il fait. — Mon cher seigneur, ne vous inquiétez pas tant, lui répond Timer, car je crois bien, comme on dit : tel est pris qui croyait prendre. Il n'est personne de si intelligent qui ne rate jamais rien, ni de fou qui ne fasse jamais rien de sensé. Seigneur Liétart, à Dieu ne plaise que Renart ait tant de chance, au point de se sentir toujours assurer de ne jamais se faire duper. Moi, qui ne m'y connais guère en matière de faire le mal, si vous êtes loyal avec moi, je vous ramènerai bien attachés Renart le larron avec sa femme, ficelés solidement dans vos courroies. — Timer, si seulement tu pouvais le faire... — Et, pourquoi ne le pourrais-je pas ? par Dieu, j'aurai vite fait de le surprendre. J'ai prévu un bon tour qui va les tromper, et causer leur fin à tous les deux. Je me ferai passer pour mort devant la porte de Maupertuis, sa maison fortifiée, je ferai semblant d'être bien mort. Dès qu'ils me trouveront, ils s'attacheront à mes pattes, avec vos courroies, comme des fous, pour me tirer. Puis, je me relèverai d'un coup, et je les laisserai retomber, assommés, et puisqu'ils seront solidement attachés, je vous les ramènerai en les traînant. — Timer, je tiendrai parole, lui dit le mauvais paysan, si vous arrivez à le faire, et vous aurez une grande mesure de mon orge. » | 18064 18068 18072 18076 18080 18084 18088 18092 18096 18100 18104 18108 18112 18116 18120 18124 18128 18132 18136 18140 18144 18148 18152 18156 18160 18164 18168 18172 18176 18180 18184 18188 18192 18196 18200 18204 | Renart qui des plaies se delt. Por ce que bien recovrer velt Sa force qu'il avoit perdue, Ne fet ovre, ne se remue De Malpertuis, sa meson fort. Ce li donne grant reconfort Qu'il set por voir qu'il grevera Lietart quant pener s'en voudra. .VIII. jors trestoz plains se sejorne, A mie nuit .I. main s'en torne Por le vilain contralïer Qui ses bues a pris a lïer. Et tandis con il les assemble, Renart ses corroies li emble Qu'il avoit pres del buisson mises. Renart coiement les a prises, Qui estoit bon mestres d'embler. Or puet li vilain assembler Ses bues et remener en toit : Il oiloit et forment chantoit Con cil qui de riens ne se garde. Il ne demeure ne ne tarde, Vers le buisson s'en va tot droit, Mes ses corroies pas n'i voit. Tot entor le buisson les quert, Mout li poise que si seus ert. Qert et requert par mi la terre Et encor les peüst il querre Con cil qui ne trove ne prant, Li vilain qui tot d'ire esprant Jure et rejure en apert, Por ce que sa jornee pert. Il est dolent et trespensez, Et de Renart s'est apensez, Qui par ire le desfia : « Hé ! las, dist il, il m'espia, Renart li lierres, li traïtres. Il m'a conmencié les merites Et le guerredon hui a rendre, Por ce que je ne li voil rendre Blanchart qui devoit estre son. Or en est cil guerredon mien. Je ne puis a lui forçoier. Il me porroit ja despecier La teste que ja nel savroie, Volentiers m'en repentiroie, Mes riens ne vaut la repentance. Mar i fis onques desfiance A Renart qui si me puet nuire. Il a s'entente a moi destruire, Qar ce m'emble dont j'ai besoing. Bien sai que li marchiez est loing, J'aroie ainz maint pas marchié Que fusse venuz du marchié. Trop me seroit li aler griés, Qar la voie n'est mie briés A ce que tort sui de .II. hanches. Or puis ouan mes en mes manches Les bues par les chans envoier. Bien me fet Renart desvoier, De ma besoingne destorber, Mau gré mien me fet sejorner. N'eüsse mestier de sejor Ne de repos, ne nuit ne jor. Tot dis me croist honte et entente. » Tantdis con Lietart se demente, Tymer, .I. asnes espanois, Qui ne crient gelees ne nois, Oï dementer son seignor, Si n'ot onques mes duel grenor. Des lors savra qu'il a, s'il puet : « Sire, fet il, il vos estuet Bon conseil prandre et demander. Ne porrïez pas amender Einssi vostre avoir ne acroistre Le vaillant d'un povre chevestre. Renart, s'il puet, ne vos laira Riens nule, quar felon cuer a ; S'entente a en vos essillier. Mes bien vos savré conseillier Con Renart sera abetez, Se loiaument me prametez A donner une mine d'orge. — Tymer, dist Lietart, par saint Jorge Vos avroiz .I. poi de farine Et de mon orge plainne mine, Se por vos estoit engingniez Le felon rous, le rechingniez. Je vos donré bons chardons tendre Tant conme vos en vodrez prendre, S'engingniez le larron revoit Qui tout emble quant que il voit. Il engingne oisiax et bestes, Sovent lor fet croistre les testes. Je ne sai nul home si sage, Ne oisel, ne beste sauvage, Qui onques si grant sens eüst Que ja engignier le peüst, Ne qui le peüst decevoir, Por quoi jel peüsse savoir, Que je ne l'alasse requerre Nis outre la mer d'Engleterre Por le traïtor afoler. Mes nus nel porroit bareter ; Trop set Renart de renardie, Nule beste n'est si hardie. Renart si est de mal entendre Et a lui puet on bien entendre. Il est a mal faire haitiez. — Biau sire, ne vos esmaiez, Ce dit Tymer, l'en dit, ce cuit : Encontre vezïé recuit. Il n'est nus qui si sage soit Qui aucune foiz ne foloit, Ne fol qui aucun sens ne face. Sire Lietart, ja Diex ne place Que Renart ait si bon eür Que il soit toz jors asseür C'on ne l'engint aucune foiz. Je qui ne sui gueres adroiz Par semblance de savoir mal, Se vos covent avez loial, Renart le larron o sa fame Vos rendré par col ou par jambe Forment lïez a vos corroies. — Tymer, se faire le pouoies ... — Je ne sai pas conment ? Par Dé, Je l'avré mout tost esgardé. Je ai bon barat porveü Par qoi il seront deceü, Dont sera mort et ele morte. Mort me feré devant sa porte De Malpertuis, son fort repaire, Bien savré semblant de mort faire. Si tost con il me troveront, A mes membres se lïeront De vos corroies conme fol, Et je souleveré le col, Si feré chierre de dormant. Quant lïez les avré forment, Traïnant les vos amenrai. — Tymer, loiauté vos tendrai, Ce dist li vilain deputaire, Se vos ainssi le pouez faire, De mon orge avrez grant part. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire