en poussant des braiments, et en ruant, les pattes bien en arrière. Il part à vive allure, à l'amble, puis au grand trot, jusqu'à son arrivée à Maupertuis. Il s'allonge de tout son long devant la porte, et retient son souffle du mieux qu'il peut comme s'il était mort, puis recouvre son museau de terre. Hermeline ouvre la porte, et dit à Renart en voyant Timer : « Mon seigneur, fait-elle, Dieu soit avec moi, nous avons là une telle quantité de viande fraîche, que nous n'arriverons pas à la consommer en moins de deux mois, à mon avis. Il y a là, à notre porte, par la grâce de Dieu, étendu de tout son long, un âne aussi grand que gros, qui a dû mourir il y a quelques heures. Donne-moi les courroies de Liétart, car je voudrais m'attacher à lui pour le tirer à l'intérieur. — Quelle folle ! dit Renart, certainement pas. Tire-le, toi, si tu veux, mais, moi, jamais je ne le tirerai, car, que Dieu et tous ses saints m'en soient témoins, je crois qu'il fait semblant. Il nous prend pour des imbéciles, et aura vite fait de nous causer malheur. Avant de t'attacher avec les courroies, mords-lui plutôt les fesses, le poitrail, la tête et les flancs suffisamment fort, jusqu'au sang. S'il reste sans bouger, alors nous pourrons le mettre à l'abri, car on sera sûr qu'il est mort. » Sur ce, elle s'approche pour le mordre, elle s'attaque à ses fesses si fortement que du sang s'en échappe, puis à son poitrail, ses flancs et sa tête, mais Timer est une bête endurcie, capable de résister à la souffrance, et il ne bouge pas d'un poil. « Renart, fait-elle, tu as été bien lâche de ne pas aller chercher les courroies. Sache qu'il est bien mort, sans aucun doute. As-tu toujours peur qu'il t'attaque ? Tu t'inquiètes vraiment pour rien. Apporte toutes les courroies que tu avais jetées derrière la porte. » Renart va les chercher, doutant toujours que l'autre ne fasse semblant. Puis, elle lui explique comment ils vont s'y prendre, et elle lui noue la courroie la plus solide à la queue. « Renart, fait-elle, tiens-toi là, tu es chargé de tirer. Il va sembler plus lourd comme il est mort, et je ne suis pas aussi forte que tu l'es, mon cher ami, tu devras tirer le côté le plus lourd. Moi, je tirerai en fonction de ma force, mais toi, efforce-toi de bien tirer, car tu t'es bien reposé, et tu as regagné suffisamment de force. » Sans plus attendre, ni en dire davantage, ils s'attachent solidement avec les courroies. Une fois bien attachés, ils se mettent à le tirer, tant et si bien, qu'ils le traînent jusqu'au seuil. Timer ouvre alors un œil, et soulève la tête, car il aimerait bien partir, mais, pas avant qu'ils soient bien attachés. Renart, toujours avisé, le voit soulever sa tête, et comprend aussitôt que l'autre leur veut du mal. Il est en grand danger de mort, s'il ne trouve pas un moyen de lui échapper. Inquiet, il appelle sa femme : « Hermeline, ma chère amie, viens vite ici, et détache-moi. J'en perds mes mots à cause de la puanteur qui sort de son sale trou, je me sens si mal que je ne peux le souffrir davantage, ni l'endurer plus longtemps. Venez vite ici, au nom de Dieu, avant que mon cœur ne défaille. Cette odeur infecte, cette bête puante, qui sent du trou plus que toute autre bête, m'a complètement affaibli, et m'empêche de tirer. Ne me blâmez pas si je me plains. Je suis à deux doigts de m'évanouir à cause de cette odeur qui m'enveloppe tout entier. J'ai des haut-le-cœur et mal au ventre, à cause du vent nauséabond émanant de ce trou répugnant. Il vaudrait mieux être sur le plancher des latrines, et s'y allonger, que d'être à côté du trou de son cul, qui me donne tellement mal au cœur. Je vais certainement mourir, ma chère amie, il lâche des vents insupportables. Si j'étais attaché du côté de sa tête, je sais que sans aucune aide, j'arriverais à le tirer au pas de course, et tu n'aurais pas besoin de le faire. Vous ne pouvez m'apporter d'autres secours, ni me faire plus plaisir qu'en me sortant de cette misère. Je suis déjà tout couvert de sueur, je suis pris d'angoisse et de peur, à cause de l'ignoble saleté que ce trou rejette sur tout mon corps. Si tu ne me crois pas, viens donc respirer cette puanteur qui m'étouffe, et me donne mal au cœur. Au nom de Dieu, vient renifler toi-même, et dépêche-toi de me détacher. Cette odeur me soulève le cœur, je suis à l'article de la mort. » Hermeline est prise d'une grande pitié. Elle craint qu'il dise vrai, et redoute, si elle n'agit pas sans délai comme il lui commande, de le voir mourir à l'instant. | 18208 18212 18216 18220 18224 18228 18232 18236 18240 18244 18248 18252 18256 18260 18264 18268 18272 18276 18280 18284 18288 18292 18296 18300 18304 18308 18312 18316 18320 18324 18328 18332 | Tymer li asnes, recanant Et des piez derrier regibant, Si s'en va mout grant aleüre Et le grant trot et l'ambleüre, Tant que il vint a Malpertuis. Touz estenduz se couche a l'uis, Au plus qu'il puet s'alaine tient, Con se il ert mort se contient, De terre a son musel couvert. Hermeline a son huis ouvert, A Renart dist quant Tymer voit : « Sire, fet el, se Diex m'avoit, Mout grant plenté char fresche avons, Ja tant despendre n'en savrons .II. mois de l'an, con j'en voi ci. Pres de cest huis, la Dieu merci, Je voi gesir ici de lonc .I. asne qui est grant et lonc, Il fu mort ore devant none. Les corroies Lietart me donne, Qar je les voudrai atachier A lui et a moi por sachier Et por atrere le ceanz. — Fole, dist Renart, c'est noienz. Se tu veus, si i tire et sache. Ja n'i tireré, que je sache, Se Diex m'aït et tuit li saint, Conme je cuit que il se faint. A fox nos velt espoir tenir, Tost m'en porroit mesavenir. Avant qu'a corroies t'ataches, Si le mort tost par mi les naches, El piz, en la teste et es flans Si forment qu'en saille li sans. S'il ne se muet ne ne remue, Bien le porrons mener en mue, Quant nos por voir le savron mort. » A tant va cele, si le mort, Par devers les naches l'asaut Si forment que le sanc en saut, El piz, es flans et en la teste, Mes Tymer qui ert dure beste Et qui trop mal endurer puet, Ne se remue ne ne muet. « Renart, fet ele, ore es mauvez, Quant por les corroies ne vez. Il est mort, saches tu sanz faille. As tu peor que ne t'asaille ? Tu te criens por noient et doutes, Aporte les coroies toutes Que tu jetas desrier la porte. » Renart les corroies aporte Qui doute encor qu'il ne se faingne, Et cele li mostre et ensaingne Conment il feront, si li neue La plus fort corroie a la queue. « Renart, fet ele, ci tendras, Du trere chargié en seras. Plus poise por ce qu'il est mort, Mes je ne sui pas si tres fort Conme vos estes, biaus doz frere. Por ce doiz au plus pesant trere. Et je treré selonc ma force. Et tu de bien trere t'esforce, Que tu es mout bien reposez, Si doiz estre plus fort assez. » Plus ne demorent ne ne dient, As corroies forment se lient. Quant il sont forment atachié, Tant ont tiré et tant sachié Que traïné l'ont sor le sueil. Tymer si a overt .I. eil Et a levé la teste en haut, Que talent a que il s'en aut Mes que il bien soient lïez. Et Renart conme vezïez Li vit la teste sorlever, Bien sot que il le volt grever Si est en grant peril de mort, Se par raison ne li estort, Il se doute, sa fame apele : « Hermeline, m'amie bele, Acor ça tost, si me deslie. La parole m'empire et lie. De la puor de l'ort pertuis Ai ge tant mal que je ne puis Soufrir la plus ne endurer, Ne puis ci longuement durer. Acorez ça, se Dex vos saut, A poi que le cuer ne me faut. Ceste puor orde, punaise, Qui put plus que trou de punaise, M'a tout le cors afleboié Et de traire tout desvoié. Se me plain, ne me doiz blasmer. A poi que ne me fet pasmer Ceste puor qui el cors m'entre. Doloir me fait le cuer el ventre Cil ort vent du pertuis pugnais. Miex vosisse estre soz .I. es De privee ou je me geüsse, Que pres du pertuis du cul fusse Qui tant m'a fet avoir mau cuer. Certes je morrai, bele suer, Il me sert de trop mauvez vent. Se j'estoie lïez devant, Je sai bien que sanz nul secors Le treroie je le grant cors. Ja ne t'i covendra a trere. Ne me puez nul secors ci fere A nul endroit qui si me plaise Con d'oster de ceste mesaise. Touz sui ja couvert de suor De l'angoisse et de la puor, De l'ordure, de la viltance Que cil pertuis el cors me lance. La puor, se tu ne me crois, Puez sentir dont je sui destrois, Qui tout me fet le cuer doloir. Si t'aït Diex, or vien oloir, Acor ça, deslie moi tost. Ceste puor le cuer me tost, Par pou que ne m'a mort jeté. » Hermeline en a grant pité. Bien cremoit que voir li deïst, Et cremoit, s'ele nel feïst Sanz delai son conmandement, Il i morroit soudainement ; |
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