arrive au trot vers la haie, où le paysan aiguise et enfonce des pieux pour réparer la clôture. Ce dernier jure entre ses dents qu'il lui fera payer cher cette fois. Pour que Renart ne le voie pas marmonner, il tient la tête baissée. Renart s'élance vers le paysan, et lui dit : « Que Dieu te garde, Liétart ! Va donc me chercher ton coq Blanchart qui me revient de droit, car tu n'aurais pas Brun l'ours chez toi, si je ne t'avais pas appris la ruse pour le prendre et le tuer. Tu dois donc bien me traiter. » Le paysan fait la sourde oreille, comme s'il n'avait rien vu ni entendu. Renart s'enfonce dans la haie à la manière d'un furet, tout en réfléchissant à ce qu'il va lui dire. Il l'interpelle à nouveau, et le paysan lève la tête en le regardant de travers : « Seigneur, dit-il, parbleu, vous êtes venu pour Blanchart ? Mais, ce coq est malingre et chétif, il ne mange rien d'autre que ce qu'il trouve dans le fumier. Il est si maigre, qu'il n'a que la peau sur les os, et s'il a l'air gros, c'est grâce à son plumage. Mais, ne vous inquiétez pas pour le coq. Si ça ne vous dérange pas d'attendre, laissez-le moi une semaine ou deux, le temps qu'il se soit bien engraissé, et il sera bien meilleur. D'autant plus qu'il est très vieux, il a déjà trois ou quatre ans, vous ne pourriez y enfoncer les dents sans vous les briser. Que Jésus-Christ m'en soit témoin, je serais rudement chagriné s'il vous arrivait un malheur à cause de moi. Si j'avais des jeunes poules, ou des oisons bien gras et tendres, vous pourriez être intéressé. Mais je n'ai ni oison, ni chapon, ni poule, et ça m'embête beaucoup pour vos babines. Certes, je m'en acquitterais volontiers si j'avais aussi une poule bien grasse. Si j'avais de quoi vous payer, jamais je ne chercherais à l'éviter, car je paie toujours bien volontiers toute personne qui s'en remet à moi, comme je le ferais pour un ami. Si j'avais quelque chose de bon, je n'hésiterais pas à vous inviter, et je ne chercherais pas à vous répondre ainsi, au risque de vous déplaire. » Renart ne peut se contenir davantage, il se dit qu'il a gardé le silence trop longtemps, alors que tout cela le contrarie et lui déplaît, car il n'a entendu que des mensonges : « Écoute, ignorant de paysan, tu en as trop dit, c'est à mon tour de parler maintenant. Tu crois bel et bien m'avoir privé de Blanchart, mais j'en sais plus en méchanceté, en ruse et en tromperie que tu n'en sauras jamais. Je t'ai aidé à te débarrasser d'un grand poids, en évitant à ton Rougel de se faire tuer et dévorer. C'est la vérité, comme tu le sais. Je t'ai offert Brun en sus grâce à ma ruse. Tu devais me céder ton coq Blanchart, tu m'avais donné ta parole. Je vois que tu as été à bonne école, là où on apprend à promettre sans rien donner. Tu m'as donc promis puis repris, mais au nom de celui qui fait tonner les cieux, tu auras des ennuis avant la fin de la quinzaine pour tes fausses et vaines promesses. Traître de paysan, sale serf, tu ne me sers que des paroles flatteuses. Je reconnais bien là tes mensonges, ton baratin et tes tromperies. Tu veux donc essayer de me flatter, mais tu vas souffrir à t'en arracher les cheveux, et à t'en mordre les doigts. Tu crois vraiment pouvoir t'en tirer grâce à tes plaisanteries ? Sois certain que je te ferai payer d'une manière ou d'une autre, fils de pute, sale rogne, traître, excommunié. Voilà comment je suis remercié, on peut dire que tu m'auras bien accueilli. Mais tu ne trompes personne. Sale paysan, espèce d'ours, bandit. Tu te crois malin ? Je vais te faire payer cher ce coup-là. Tu as dépassé les bornes aujourd'hui avec tes outrages, ta perfidie et tes tromperies. Quand un paysan croit avoir eu quelqu'un par la ruse, ça ne vaut jamais grand-chose. Je ne manquerai pas de te faire des misères d'ici huit jours, sache-le bien. Je te déclare la guerre dès maintenant, je ne chercherai désormais qu'à te nuire. » | 17712 17716 17720 17724 17728 17732 17736 17740 17744 17748 17752 17756 17760 17764 17768 17772 17776 17780 17784 17788 17792 17796 17800 17804 17808 17812 17816 | S'en vint a la haie le trot, La ou li vilains la soif clot Et aguise ses piex et fiche. Entre ses denz jure et afiche Qu'il li vendra chier ceste voie. Por ce que Renart ne le voie, Enbronche sa chierre et abesse. Renart vers le vilain s'eslesse, Si li dist : « Diex te saut, Lietart ! Va moi querre le coc Blanchart. Bien le doi avoir par raison. N'eüsses pas en ta maison Brun l'ors, se ne t'eüsse apris L'enging par coi l'as mort et pris. Je doi hui estre a bone cort. » Li vilain fist chierre de sort Et d'ome qui ne veïst goute. Renart en la haie se boute En la maniere de fuiret, Si s'apense qu'il li diroit. Renart le huche de rechief, Et li vilain hauce le chief, Si l'a de travers regardé : « Sire, dist il, de la part Dé, Estes vos por Blanchart venuz ? Li cos est maigres et menuz, Qu'il ne menjue nule riens Fors ce que il trove en ces fiens. Il est megres, n'a que les os, Et la plume le tient si gros. Se li demorer ne vos tarde, Encore n'avra li cos garde. .VIII. jors ou .XV. le laissiez, Tant que il soit bien encressiez, Et lors si vaudra assez miex. Ensorquetout il est trop viex, Il a passé .III. anz ou .IIII.. N'i porrïez les denz enbatre, Tost vos briseriez les denz. Se Jhesu Crist me soit aidanz, Je seroie forment iriez, Se vos estïez empiriez Par chose qui par moi meüst. Mes qui jones poules eüst Et oisons cras et bons et tendre, Bien vos i porrïez entendre. Je n'ai oison, chapon ne poule. Mout me poise por vostre goule. Certes volentiers m'aquitasse, S'eüsse bone poule crasse. Se t'eüsse de quoi paier, Ja ne le quersisse esloingnier, Que hons, puis qu'il se met en moi, Certes mout volentiers le pai Con mon ami et je si fusse, S'aucune bone chose eüsse Dont je vos osasse semondre. Nel quersisse vers vos repondre Nule riens qui vos deüst plaire. » Or ne se puet Renart plus taire. Avis li est que trop se taist, Et trop li anuie et desplaist La mençonge c'ot et entent : « Fox vilain, trop as dit, entent, Or me represte le frestel. Tu me cuides et bien et bel Avoir escondit de Blanchart, Mes je sai tant de mal et d'art Et d'enging plus que tu ne sez. Je t'ai aidié de mout granz fez Et delivré et deschargié, Que je t'ai Rougiel atargié Que il fust mors et devorez. Ice sez tu de veritez. Et t'ai Brun par mon sens donné. Tu m'avoies abandonné Blanchart ton coc par ta parole. Or as esté a autre escole Ou l'en t'a apris a prametre, Et du ton n'i veus noient metre. Tu m'as or pramis sanz donner, Mes par celui qui fet tonner, Domage i avras ainz quinzainne En ta pramesse fause et vainne. Desloiaus vilains, puz et sers, De blanches paroles me sers. Je sai bien connoistre tes bordes Et tes jengles et tes falordes. Tu entens or a moi flater, Mes de duel te feré grater Tes temples et tes poins detordre. Me cuides tu ainssi estordre Et par tes bordes eschaper ? Certes je te feré couster En une maniere ou en .II., Filz au putain, vilain roingneus, Desloiaux escumenïez. Mout doiz bien estre mercïez De moi, car biau m'as acoilli. Tu es deceus devers nuli. Puans vilains et ors et lerres, Estes vos devenuz guilerres ? Je vos vendré chier ceste guile. Hui est li jors que trop avile Et lecherie et boule empire, Quant vilain cuide desconfire Par guile home qui noient vaille. Domage te feré sanz faille Ainz .VIII. jors, ce saches de fi, Des hui en avant te desfi, Des or te seré je nuisanz. » |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire