samedi 1 octobre 2016

Le paysan Liétart - Le paysan se moque de Renart




Renart, tourmenté par la faim qui le tiraille,
R


enart qui fain grieve et esmaie
arrive au trot vers la haie,
où le paysan aiguise et enfonce des pieux
pour réparer la clôture.
Ce dernier jure entre ses dents
qu'il lui fera payer cher cette fois.
Pour que Renart ne le voie pas marmonner,
il tient la tête baissée.
Renart s'élance vers le paysan,
et lui dit : « Que Dieu te garde, Liétart !
Va donc me chercher ton coq Blanchart
qui me revient de droit,
car tu n'aurais pas Brun l'ours
chez toi, si je ne t'avais pas appris
la ruse pour le prendre et le tuer.
Tu dois donc bien me traiter. »
Le paysan fait la sourde oreille,
comme s'il n'avait rien vu ni entendu.
Renart s'enfonce dans la haie
à la manière d'un furet,
tout en réfléchissant à ce qu'il va lui dire.
Il l'interpelle à nouveau,
et le paysan lève la tête
en le regardant de travers :
« Seigneur, dit-il, parbleu,
vous êtes venu pour Blanchart ?
Mais, ce coq est malingre et chétif,
il ne mange rien d'autre
que ce qu'il trouve dans le fumier.
Il est si maigre, qu'il n'a que la peau sur les os,
et s'il a l'air gros, c'est grâce à son plumage.
Mais, ne vous inquiétez pas pour le coq.
Si ça ne vous dérange pas d'attendre,
laissez-le moi une semaine ou deux,
le temps qu'il se soit bien engraissé,
et il sera bien meilleur.
D'autant plus qu'il est très vieux,
il a déjà trois ou quatre ans,
vous ne pourriez y enfoncer les dents
sans vous les briser.
Que Jésus-Christ m'en soit témoin,
je serais rudement chagriné
s'il vous arrivait un malheur
à cause de moi.
Si j'avais des jeunes poules,
ou des oisons bien gras et tendres,
vous pourriez être intéressé.
Mais je n'ai ni oison, ni chapon, ni poule,
et ça m'embête beaucoup pour vos babines.
Certes, je m'en acquitterais volontiers
si j'avais aussi une poule bien grasse.
Si j'avais de quoi vous payer,
jamais je ne chercherais à l'éviter,
car je paie toujours bien volontiers
toute personne qui s'en remet à moi,
comme je le ferais pour un ami.
Si j'avais quelque chose de bon,
je n'hésiterais pas à vous inviter,
et je ne chercherais pas à vous répondre ainsi,
au risque de vous déplaire. »
Renart ne peut se contenir davantage,
il se dit qu'il a gardé le silence trop longtemps,
alors que tout cela le contrarie et lui déplaît,
car il n'a entendu que des mensonges :
« Écoute, ignorant de paysan, tu en as trop dit,
c'est à mon tour de parler maintenant.
Tu crois bel et bien
m'avoir privé de Blanchart,
mais j'en sais plus en méchanceté, en ruse
et en tromperie que tu n'en sauras jamais.
Je t'ai aidé à te débarrasser
d'un grand poids,
en évitant à ton Rougel
de se faire tuer et dévorer.
C'est la vérité, comme tu le sais.
Je t'ai offert Brun en sus grâce à ma ruse.
Tu devais me céder ton coq Blanchart,
tu m'avais donné ta parole.
Je vois que tu as été à bonne école,
là où on apprend à promettre
sans rien donner.
Tu m'as donc promis puis repris,
mais au nom de celui qui fait tonner les cieux,
tu auras des ennuis avant la fin de la quinzaine
pour tes fausses et vaines promesses.
Traître de paysan, sale serf,
tu ne me sers que des paroles flatteuses.
Je reconnais bien là tes mensonges,
ton baratin et tes tromperies.
Tu veux donc essayer de me flatter,
mais tu vas souffrir à t'en arracher
les cheveux, et à t'en mordre les doigts.
Tu crois vraiment pouvoir t'en tirer
grâce à tes plaisanteries ?
Sois certain que je te ferai payer
d'une manière ou d'une autre,
fils de pute, sale rogne,
traître, excommunié.
Voilà comment je suis remercié,
on peut dire que tu m'auras bien accueilli.
Mais tu ne trompes personne.
Sale paysan, espèce d'ours, bandit.
Tu te crois malin ?
Je vais te faire payer cher ce coup-là.
Tu as dépassé les bornes aujourd'hui
avec tes outrages, ta perfidie et tes tromperies.
Quand un paysan croit avoir eu quelqu'un
par la ruse, ça ne vaut jamais grand-chose.
Je ne manquerai pas de te faire des misères
d'ici huit jours, sache-le bien.
Je te déclare la guerre dès maintenant,
je ne chercherai désormais qu'à te nuire. »



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S'en vint a la haie le trot,
La ou li vilains la soif clot
Et aguise ses piex et fiche.
Entre ses denz jure et afiche
Qu'il li vendra chier ceste voie.
Por ce que Renart ne le voie,
Enbronche sa chierre et abesse.
Renart vers le vilain s'eslesse,
Si li dist : « Diex te saut, Lietart !
Va moi querre le coc Blanchart.
Bien le doi avoir par raison.
N'eüsses pas en ta maison
Brun l'ors, se ne t'eüsse apris
L'enging par coi l'as mort et pris.
Je doi hui estre a bone cort. »
Li vilain fist chierre de sort
Et d'ome qui ne veïst goute.
Renart en la haie se boute
En la maniere de fuiret,
Si s'apense qu'il li diroit.
Renart le huche de rechief,
Et li vilain hauce le chief,
Si l'a de travers regardé :
« Sire, dist il, de la part Dé,
Estes vos por Blanchart venuz ?
Li cos est maigres et menuz,
Qu'il ne menjue nule riens
Fors ce que il trove en ces fiens.
Il est megres, n'a que les os,
Et la plume le tient si gros.
Se li demorer ne vos tarde,
Encore n'avra li cos garde.
.VIII. jors ou .XV. le laissiez,
Tant que il soit bien encressiez,
Et lors si vaudra assez miex.
Ensorquetout il est trop viex,
Il a passé .III. anz ou .IIII..
N'i porrïez les denz enbatre,
Tost vos briseriez les denz.
Se Jhesu Crist me soit aidanz,
Je seroie forment iriez,
Se vos estïez empiriez
Par chose qui par moi meüst.
Mes qui jones poules eüst
Et oisons cras et bons et tendre,
Bien vos i porrïez entendre.
Je n'ai oison, chapon ne poule.
Mout me poise por vostre goule.
Certes volentiers m'aquitasse,
S'eüsse bone poule crasse.
Se t'eüsse de quoi paier,
Ja ne le quersisse esloingnier,
Que hons, puis qu'il se met en moi,
Certes mout volentiers le pai
Con mon ami et je si fusse,
S'aucune bone chose eüsse
Dont je vos osasse semondre.
Nel quersisse vers vos repondre
Nule riens qui vos deüst plaire. »
Or ne se puet Renart plus taire.
Avis li est que trop se taist,
Et trop li anuie et desplaist
La mençonge c'ot et entent :
« Fox vilain, trop as dit, entent,
Or me represte le frestel.
Tu me cuides et bien et bel
Avoir escondit de Blanchart,
Mes je sai tant de mal et d'art
Et d'enging plus que tu ne sez.
Je t'ai aidié de mout granz fez
Et delivré et deschargié,
Que je t'ai Rougiel atargié
Que il fust mors et devorez.
Ice sez tu de veritez.
Et t'ai Brun par mon sens donné.
Tu m'avoies abandonné
Blanchart ton coc par ta parole.
Or as esté a autre escole
Ou l'en t'a apris a prametre,
Et du ton n'i veus noient metre.
Tu m'as or pramis sanz donner,
Mes par celui qui fet tonner,
Domage i avras ainz quinzainne
En ta pramesse fause et vainne.
Desloiaus vilains, puz et sers,
De blanches paroles me sers.
Je sai bien connoistre tes bordes
Et tes jengles et tes falordes.
Tu entens or a moi flater,
Mes de duel te feré grater
Tes temples et tes poins detordre.
Me cuides tu ainssi estordre
Et par tes bordes eschaper ?
Certes je te feré couster
En une maniere ou en .II.,
Filz au putain, vilain roingneus,
Desloiaux escumenïez.
Mout doiz bien estre mercïez
De moi, car biau m'as acoilli.
Tu es deceus devers nuli.
Puans vilains et ors et lerres,
Estes vos devenuz guilerres ?
Je vos vendré chier ceste guile.
Hui est li jors que trop avile
Et lecherie et boule empire,
Quant vilain cuide desconfire
Par guile home qui noient vaille.
Domage te feré sanz faille
Ainz .VIII. jors, ce saches de fi,
Des hui en avant te desfi,
Des or te seré je nuisanz. »
L'ours, Renart et le paysan Liétart C'est de l'ours et du Renard et du villain Lietard (28)
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