elle lui répond sans hésitation : « Que Dieu me garde ! j'ai trouvé une bonne ruse qui nous rapportera gros. Renart n'aura rien de ce que vous lui avez promis, si vous savez comment agir avec discrétion et conviction. Prenez trois mâtins, les meilleurs de France, dont le moins valeureux ne craint pas Renart, qui sont là-bas dans le chenil. Amenez-les en cachette dans votre grange, et attachez-les en vous assurant que les chaînes sont solides. Donnez-leur du pain pour qu'ils n'aboient pas, car ils pourraient bien alerter seigneur Renart par leurs aboiements. Il retournerait alors dans sa tanière, et nous aurions fait tout cela pour rien, tout serait alors à recommencer. Au contraire, laissez-le s'approcher pour venir ici en toute assurance. Faites bien retenir les mâtins par votre valet, tous les trois ensemble, dans le calme, à la porte de la grange. Quand Renart sera assez près, criez bien sur les chiens pour les exciter, et lâchez-les sur Renart. S'ils le serrent d'assez près, ils lui déchireront la peau, et lui feront un bonnet rouge. Je crois bien qu'on tirera au moins sept ou huit sous de sa fourrure, car c'est la bonne saison. Faisons donc comme je dis, car il n'y a rien d'autre à faire. Quant à vous, pour mieux attirer Renart qui est déjà descendu si près, retournez à votre clôture, et reprenez votre travail. Ne vous disputez pas avec Renart s'il vous demande de lui donner Blanchart, mais répondez-lui doucement en quelques mots : « Renart, sachez franchement que vous ne devriez plus vous soucier de Blanchart, dont la chair est dure. Il ne mange rien qui vaille, sauf ce qu'il trouve dans la paille. Il ne serait même pas cuit après une journée et une nuit entières, si on le mettait à rôtir dès maintenant. Quelque chose de plus tendre conviendrait mieux à votre goût, j'en suis sûr, mais certainement pas un tel morceau. Il vous faudrait des poulettes bien tendres, ou des oisillons, ou des chapons. Mais, si vous y tenez vraiment, alors laissez-moi l'engraisser une quinzaine de jours, c'est dans votre intérêt, car il n'est pas encore bon à manger. » Voilà comment nous pourrons tromper ce traître de flatteur. De telles paroles vaudront bien mieux qu'un simple refus. Vous l'éconduirez bien plus facilement en lui racontant cela, qu'en cherchant querelle avec lui. C'est ainsi que nous nous vengerons de lui. Lovel, Corbeau et Tison se chargeront de le ramener à la maison, s'ils parviennent à l'attraper. Alors, il ne cherchera plus jamais à souper avec vous, ni à vous réclamer quoi que ce soit. — Par la foi que je dois l'apôtre saint Pierre, voilà, ma chère amie, un bon conseil. Renart pourra toujours fuir à grands bonds, on l'aura quand même grâce à nos trois mâtins quand ils se jetteront sur lui. Il aura bien besoin de renforts s'ils l'attrapent et le mettent à terre. Ma douce amie, je retourne de ce pas m'occuper de ma clôture. Je ne veux pas rester pas là davantage pour qu'il ne nous échappe pas. Le valet se tiendra dans la grange avec les chiens comme vous avez dit, et quand je les appellerai, il les détachera. » Sur ce, il retourne vers la haie. | 17620 17624 17628 17632 17636 17640 17644 17648 17652 17656 17660 17664 17668 17672 17676 17680 17684 17688 17692 17696 17700 17704 | Li a respondu sanz demore : « J'ai trové, se Diex me secore, .I. bon barat qui mout vaudra, Par qoi Renart a tout faudra A ce que pramis li avez, Se vos bien fere le savez Coiement sanz aparcevance. .III. mastins les meillors de France, — Li pires des .III. ne le doute — Qui laienz sont en cele croute, Amenez conme vezïez, En vostre granche les lïez, Et gardez que bons lïens aient. Du pain lor donnez qu'il n'abaient, Que bien porroient esmaier Dant Renart par lor abaier, Si s'en iroit a son recet, Einssi n'arions nos riens fet, Tout seroit a reconmencier. Mes bien le laissiez avancier Et tot asseür ça venir. Les matins fetes bien tenir A vostre garçonnet toz .III. A l'uis de la granche toz cois. Quant Renart ert bien aprouchiez, Les chiens maintenant li huiez, Si les lessiez aler aprés. S'il le pueent tenir de pres, Il li despeceront la pel Si li feront rouge chapel. Bien nos vaudra, si con je cuit, Au mains sa pel .VII. sols ou .VIII. A ce que ele est de saison. Einssi con j'ai dit, le faison, Nos ne le porrions miex fere. Et vos, por miex Renart atrere, Que ja est si pres avalez, A vostre soif vos en alez Et vostre oevre reconmenciez. A Renart de riens ne tenciez S'il vos dit Blanchart li donez, Vos doucement li responnez A pou de parole briément : “Renart, sachiez le vraiement, “Vos ne devez ja avoir cure “De Blanchart, qu'il a la char dure. “Il ne menjue riens qui vaille “Fors ce que il trove en la paille “Et si ne l'aroit l'en pas cuit “En .I. jor ne en une nuit, “Qui le metroit cuire orendroit. “Tendre chose vos covendroit, “Je sai trestout vostre revel, “N'avez cure de tel morsel. “Il vos covendroit gelinetes, “Oisiax, chapons, tendres pouletes. “Et se vos nel volez laissier, “Si le laissiez ainz encressier “.XV. jors, si ert vostre preuz, “Qu'il n'est encore a mengier preuz.” Einssi le porrons engingnier Le traïtor, le losengier. Teles paroles et tel dit Si vaudront bien .I. escondit. Quant tiex paroles li direz, Assez plus bel l'escondirez Que se vos tencïez a lui. Einssi nos vengerons de lui. Lovel et Corbel et Tison Bien l'en ameront en maison, Se cil le pueent atraper. Ja mes n'ert o vos au souper, Ne riens ne querra plus du nostre. — Foi que doi sain Pere l'apostre, Bele suer, bon est li consauz. Ja tant ne fuira les granz sauz Renart que nos ne le preingnons A l'aïde des .III. gaingnons Qui li feront grant envaïe. Or avra il mestier d'aïe, S'il le pueent prandre et abatre. Je m'en vois a ma soif esbatre, Bele suer, itant vos di ge. Ici ne remaindré je mie, Que il ne face aucune guenche. Li garçon tendra a la granche Les chiens si con vos avez dit ; Quant jes huerai, ses deslit. » A tant va ariere a la haie. |
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