dimanche 3 juillet 2016

Le paysan Liétart - Comment se débarrasser de Renart




Dès les premières lueurs du jour,
T


antost con li jors esclaira,
Renart, qui ne fera jamais rien de bon,
sort ventre à terre de Maupertuis,
son enclos fortifié.
Il n'a plus de nourriture sous son toit,
mais il croit bien en vérité,
avoir les poules de Liétart,
et son coq Blanchart,
qui n'a plus longtemps à vivre, se dit-il.
Il est persuadé
que tout lui revient de droit,
aussi bien Liétart que ses biens,
pour avoir sauvé Rougel.
Il guette le paysan au loin,
en train de réparer une vieille clôture
le long de son enclos.
Il s'élance vers la haie où il se trouve,
comme s'il était poussé par la faim.
Il s'attend à obtenir sans difficulté,
ce que le paysan lui a promis,
mais il va en être autrement qu'il le croit.
Le paysan le voit aussi, et se rappelle alors
la promesse qu'il lui a faite.
Il prend sa cognée et sa serpe,
avec laquelle il a aiguisé ses pieux.
Sa maison est tout près de la haie,
qui en fait le tour.
Il jure par Dieu et tous ses saints,
entre ses dents, qu'avant de s'en retourner,
« Renart sera bien mal loti
s'il s'attend à souper avec moi.
Renart croit qu'il va me faire payer plus
qu'il m'en coûterait en plusieurs mois.
Il s'imagine avoir sur-le-champ
tout ce que je lui ai promis,
alors que lui-même
ne tient pas souvent sa parole.
On est tout à fait dans son droit
quand on trompe un trompeur. »
Une fois dit cela, il rentre chez lui
retrouver Brunmatin, en train de filer.
« Vous arrêtez le travail de bon matin,
monsieur le mauvais paysan, fait-elle.
— Ma chère amie, ma demoiselle,
fait-il, ne vous fâchez donc pas,
ne vous mettez pas en colère contre moi.
Je ne suis pas fou, fait-il,
au point de vouloir me reposer dès le matin.
Je viens, en fait, pour vous demander
comment je pourrais tromper
Renart qui arrive droit chez nous.
Il doit s'imaginer
que les poules et les poulets sont à lui,
ainsi que Blanchart notre coq,
comme je lui ai promis avant-hier,
pour m'avoir aidé à me débarrasser de Brun.
Voilà pourquoi il arrive à toute hâte,
mais il va frapper à la mauvaise porte,
si vous avez un bon conseil,
ou si vous trouvez une bonne ruse,
grâce à votre bon sens avéré.
Si vous pouvez nous débarrasser
de ce félon de tricheur,
vous seriez alors
la meilleure des trompeuses.
Je ne suis pas venu pour autre chose,
que Dieu me sauve, car je sais bien
que je n'ai d'autre que vous pour me conseiller,
ou qui puissiez mieux le faire.
Puisque je suis vôtre et que vous êtes mienne,
vous devez donc nous donner un bon
conseil, qui vaudra autant pour vous
que pour moi dans cette affaire.
Alors, réfléchissez de tout votre cœur
à la manière dont nous pourrons éloigner
Renart qui se voit déjà en train de manger
nos poules et nos chapons.
Pour sûr, si nous nous en débarrassons
sans heurt, et sans bourse délier,
c'est qu'on aura été bien avisé,
et que Dieu vous aura bien conseillée. »


17540



17544



17548



17552



17556



17560



17564



17568



17572



17576



17580



17584



17588



17592



17596



17600



17604



17608



17612



17616
Renart qui ja bien ne fera
De Malpertuis, son fort plessié,
S'en est issuz le col bessié.
Sa pel ot de viande vuide,
Que il bien de verité cuide
Avoir les gelines Lietart
Et aveques le coc Blanchart.
Il ne sera, ce dit, plus vis.
Bien cuide et si li est avis
Que de tout sires estre doie,
Et de Lietart et de la proie,
Pour Rougiel que sauvé li a.
De loing le vilain espia
Qui entor son plessié estoit,
Une viez soif i redreçoit.
Vers la haie vers lui s'eslaisse,
Conme cil qui la fain apresse.
Bien cuide avoir sanz contredit
Ce que li vilain li ot dit,
Mes autrement ert qu'il ne pense.
Le vilain le vit, si s'apense
De la pramesse qu'il li fist.
Sa sarpe et sa coingnie prist
Dont aguisiez avoit ses piex.
Pres de la haie ert ses ostiex,
Qar de la haie estoit açains.
Damedieu en jure et ses sains
Entre ses denz, ainz qu'il s'en tort,
Que « Renart ert a povre cort,
S'il s'atent a moi a souper.
Renart me cuide plus couster
Qu'il ne me coustera des mois.
Il cuide avoir tot demanois
Ce que li ai en convenant,
Mes ainssi com il a sovent
Covenz fausez par mainte foiz,
Il est mout bien reson et droiz
De l'engingneor qu'en l'engint. »
Einssi parlant a l'ostel vint,
Ou trova filant Brunmatin.
« Trop lessiez oevre par matin,
Sire mauvez vilain, fet ele.
— Ma bele suer, ma damoisele,
Fet il, or ne vos corrouciez,
Ne vers moi ne vos aïriez.
Je ne sui pas, fet il, si fox
Que le matin mete en repox,
Ainz venoie a vos savoir
Conment peüsse decevoir
Renart qui ci aprés moi vient.
Nos gelines a soues tient
Et les poucins, et cuide et croit
Que Blanchart, nostre coc, son soit,
Por ce qu'avant hier li pramis
Por Brun que en mes mains a mis.
Por ce vient ci touz abrivez,
Mes a mal port est arivez.
Se vos bon conseil i trovez,
Ore iert ton sens esprovez ;
Et si controve .I. bon barat.
Se vaincu le puez rendre ou mat,
Le felon plain de tricherie,
Tu feras bonne lecherie
Et bon barat et bon enging.
Por autre chose ça ne ving,
Qar je sai bien, se Diex me saut,
Je n'ai fors toi qui me consaut
Ne qui miex conseillier me doie,
Qar je sui tons et tu ez moie
Et si me doiz dire mon bon,
Qar li conseus est aussi ton
Con il est miens en .I. endroit.
Pense de bon cuer orendroit
Conment nos puissons estrangier
Renart qui bien cuide mengier
Nos gelines et nos chapons.
Certes, se de lui eschapons
Que il n'i ait cox ne despens,
Mout par sera bon nostre sens
Et bien t'avra Diex apensee. »
L'ours, Renart et le paysan Liétart C'est de l'ours et du Renard et du villain Lietard (28)
Notes de traduction (afficher)

2 commentaires:

  1. Bonsoir,
    Je tiens à vous remercier mille fois pour ce travail titanesque !
    Grâce au texte d'origine et de votre traduction en regard, j'ai pu, au fil des histoires de Renart, apprendre à décrypter le vieux français. Grâce à vous, je parviens désormais à comprendre les grandes lignes des fabliaux sans traduction ! Merci beaucoup !!

    RépondreSupprimer