Renart, qui ne fera jamais rien de bon, sort ventre à terre de Maupertuis, son enclos fortifié. Il n'a plus de nourriture sous son toit, mais il croit bien en vérité, avoir les poules de Liétart, et son coq Blanchart, qui n'a plus longtemps à vivre, se dit-il. Il est persuadé que tout lui revient de droit, aussi bien Liétart que ses biens, pour avoir sauvé Rougel. Il guette le paysan au loin, en train de réparer une vieille clôture le long de son enclos. Il s'élance vers la haie où il se trouve, comme s'il était poussé par la faim. Il s'attend à obtenir sans difficulté, ce que le paysan lui a promis, mais il va en être autrement qu'il le croit. Le paysan le voit aussi, et se rappelle alors la promesse qu'il lui a faite. Il prend sa cognée et sa serpe, avec laquelle il a aiguisé ses pieux. Sa maison est tout près de la haie, qui en fait le tour. Il jure par Dieu et tous ses saints, entre ses dents, qu'avant de s'en retourner, « Renart sera bien mal loti s'il s'attend à souper avec moi. Renart croit qu'il va me faire payer plus qu'il m'en coûterait en plusieurs mois. Il s'imagine avoir sur-le-champ tout ce que je lui ai promis, alors que lui-même ne tient pas souvent sa parole. On est tout à fait dans son droit quand on trompe un trompeur. » Une fois dit cela, il rentre chez lui retrouver Brunmatin, en train de filer. « Vous arrêtez le travail de bon matin, monsieur le mauvais paysan, fait-elle. — Ma chère amie, ma demoiselle, fait-il, ne vous fâchez donc pas, ne vous mettez pas en colère contre moi. Je ne suis pas fou, fait-il, au point de vouloir me reposer dès le matin. Je viens, en fait, pour vous demander comment je pourrais tromper Renart qui arrive droit chez nous. Il doit s'imaginer que les poules et les poulets sont à lui, ainsi que Blanchart notre coq, comme je lui ai promis avant-hier, pour m'avoir aidé à me débarrasser de Brun. Voilà pourquoi il arrive à toute hâte, mais il va frapper à la mauvaise porte, si vous avez un bon conseil, ou si vous trouvez une bonne ruse, grâce à votre bon sens avéré. Si vous pouvez nous débarrasser de ce félon de tricheur, vous seriez alors la meilleure des trompeuses. Je ne suis pas venu pour autre chose, que Dieu me sauve, car je sais bien que je n'ai d'autre que vous pour me conseiller, ou qui puissiez mieux le faire. Puisque je suis vôtre et que vous êtes mienne, vous devez donc nous donner un bon conseil, qui vaudra autant pour vous que pour moi dans cette affaire. Alors, réfléchissez de tout votre cœur à la manière dont nous pourrons éloigner Renart qui se voit déjà en train de manger nos poules et nos chapons. Pour sûr, si nous nous en débarrassons sans heurt, et sans bourse délier, c'est qu'on aura été bien avisé, et que Dieu vous aura bien conseillée. » | 17540 17544 17548 17552 17556 17560 17564 17568 17572 17576 17580 17584 17588 17592 17596 17600 17604 17608 17612 17616 | Renart qui ja bien ne fera De Malpertuis, son fort plessié, S'en est issuz le col bessié. Sa pel ot de viande vuide, Que il bien de verité cuide Avoir les gelines Lietart Et aveques le coc Blanchart. Il ne sera, ce dit, plus vis. Bien cuide et si li est avis Que de tout sires estre doie, Et de Lietart et de la proie, Pour Rougiel que sauvé li a. De loing le vilain espia Qui entor son plessié estoit, Une viez soif i redreçoit. Vers la haie vers lui s'eslaisse, Conme cil qui la fain apresse. Bien cuide avoir sanz contredit Ce que li vilain li ot dit, Mes autrement ert qu'il ne pense. Le vilain le vit, si s'apense De la pramesse qu'il li fist. Sa sarpe et sa coingnie prist Dont aguisiez avoit ses piex. Pres de la haie ert ses ostiex, Qar de la haie estoit açains. Damedieu en jure et ses sains Entre ses denz, ainz qu'il s'en tort, Que « Renart ert a povre cort, S'il s'atent a moi a souper. Renart me cuide plus couster Qu'il ne me coustera des mois. Il cuide avoir tot demanois Ce que li ai en convenant, Mes ainssi com il a sovent Covenz fausez par mainte foiz, Il est mout bien reson et droiz De l'engingneor qu'en l'engint. » Einssi parlant a l'ostel vint, Ou trova filant Brunmatin. « Trop lessiez oevre par matin, Sire mauvez vilain, fet ele. — Ma bele suer, ma damoisele, Fet il, or ne vos corrouciez, Ne vers moi ne vos aïriez. Je ne sui pas, fet il, si fox Que le matin mete en repox, Ainz venoie a vos savoir Conment peüsse decevoir Renart qui ci aprés moi vient. Nos gelines a soues tient Et les poucins, et cuide et croit Que Blanchart, nostre coc, son soit, Por ce qu'avant hier li pramis Por Brun que en mes mains a mis. Por ce vient ci touz abrivez, Mes a mal port est arivez. Se vos bon conseil i trovez, Ore iert ton sens esprovez ; Et si controve .I. bon barat. Se vaincu le puez rendre ou mat, Le felon plain de tricherie, Tu feras bonne lecherie Et bon barat et bon enging. Por autre chose ça ne ving, Qar je sai bien, se Diex me saut, Je n'ai fors toi qui me consaut Ne qui miex conseillier me doie, Qar je sui tons et tu ez moie Et si me doiz dire mon bon, Qar li conseus est aussi ton Con il est miens en .I. endroit. Pense de bon cuer orendroit Conment nos puissons estrangier Renart qui bien cuide mengier Nos gelines et nos chapons. Certes, se de lui eschapons Que il n'i ait cox ne despens, Mout par sera bon nostre sens Et bien t'avra Diex apensee. » |
Bonsoir,
RépondreSupprimerJe tiens à vous remercier mille fois pour ce travail titanesque !
Grâce au texte d'origine et de votre traduction en regard, j'ai pu, au fil des histoires de Renart, apprendre à décrypter le vieux français. Grâce à vous, je parviens désormais à comprendre les grandes lignes des fabliaux sans traduction ! Merci beaucoup !!
Merci pour vos encouragements.
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